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25/03/2025 | FRANCE | N°23BX00034

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 25 mars 2025, 23BX00034


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le groupement d'entreprises constitué de la société Hydrotech et de la société Eiffage TP, qui en est la mandataire et aux droits de laquelle vient désormais la société Eiffage Génie Civil, a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'arrêter le décompte général et définitif du marché portant sur le lot n° 2 de la quatrième tranche des travaux de construction des ouvrages d'alimentation en eau potable de la partie ouest de la commune de Saint-Pierre, conclu pa

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le groupement d'entreprises constitué de la société Hydrotech et de la société Eiffage TP, qui en est la mandataire et aux droits de laquelle vient désormais la société Eiffage Génie Civil, a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'arrêter le décompte général et définitif du marché portant sur le lot n° 2 de la quatrième tranche des travaux de construction des ouvrages d'alimentation en eau potable de la partie ouest de la commune de Saint-Pierre, conclu par acte d'engagement du 21 septembre 2011 et relatif aux " réservoirs, stations de pompage, chambre de vannes et équipements hydromécaniques et électriques associés ", et de condamner la commune à lui verser pour solde du prix du marché la somme de 808 888,74 euros toutes taxes comprises (TTC), augmentée des intérêts moratoires contractuels.

Par une ordonnance n° 1900243 du 7 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 6 janvier 2023, le 27 mai 2024 et le 10 septembre 2024, le groupement d'entreprises constitué de la société Hydrotech et de la société Eiffage Génie Civil qui en est la mandataire, représenté par Me Le Port, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler cette ordonnance du 7 novembre 2022 ;

2°) de le décharger du paiement des pénalités de retard mises à sa charge par la commune de Saint-Pierre pour un montant de 791 598,98 euros TTC ;

3°) d'arrêter le décompte général et définitif du marché à la somme de 5 174 279,25 euros TTC intégrant le montant de la rémunération complémentaire fixé par avenant et de condamner la commune de Saint-Pierre à lui verser le solde du prix, soit 808 888,74 euros TTC, augmenté des intérêts moratoires au taux de 8 % à compter du 1er mars 2016 et de la capitalisation de ceux-ci à compter du 1er mars 2017 ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- s'agissant du bien-fondé de l'ordonnance attaquée, le magistrat désigné a commis une erreur dans l'application de l'article R. 414-3 du code de justice administrative dès lors que les pièces jointes à sa demande ont été correctement transmises ;

- s'agissant du décompte général et définitif du marché de travaux, sa demande de rémunération complémentaire, d'un montant de 443 243,50 euros hors taxe (HT) est fondée ; elle correspond, d'une part, aux coûts d'immobilisation de ses moyens en personnels et en matériels à l'indemnisation desquels il a droit en cas de prolongation de la durée d'exécution du marché pour une cause qui, comme en l'espèce, ne lui est pas imputable et, d'autre part, à l'indemnisation des pertes en industrie équivalant à la sous-couverture des frais généraux due à l'allongement de la durée d'exécution du marché, et enfin, au coût des sujétions techniques rencontrées au cours de l'exécution des travaux dont l'origine est imputable à la commune ; à la suite de l'avis rendu par le comité de règlement amiable, la commune a d'ailleurs accepté de verser une indemnité de 320 000 euros ;

- il doit être déchargé du paiement des pénalités de retard mises à sa charge par le maitre de l'ouvrage pour 183 jours - du 5 mai au 5 novembre 2014 - dès lors que l'allongement du délai d'exécution des travaux ne lui est pas imputable puisqu'il résultait des travaux supplémentaires exigés par les ordres de service n°s 10 et 11 conduisant à fixer la fin des travaux à la date du 16 juin 2014 ; en outre, la mise à disposition de l'énergie électrique, initialement prévue le 7 juin 2014, est intervenue seulement le 3 septembre 2014, soit avec un retard de 77 jours ; ainsi, le total des jours de retard retenu par la commune est totalement couvert par les prolongations auxquelles il avait droit ; subsidiairement, le taux de pénalité journalier retenu, de 1/1000ème du prix du marché, ne lui est pas opposable dès lors que, dérogeant au taux de 1/3000ème fixé à l'article 20.1 du cahier des clauses administratives générales du marché, il n'a pas été repris au dernier article du cahier des clauses administratives particulières ; le montant des pénalités éventuellement dues, au vu des transactions intervenues durant la procédure amiable, ne saurait dépasser la somme de 43 257 euros sur la base de 30 jours de retard qu'il a acceptés de prendre en charge, ou subsidiairement la somme de 148 515,70 euros sur la base d'un abaissement consenti par la commune à 103 jours de retard ;

- enfin, il a droit aux intérêts moratoires au taux de 8 %, applicables à compter de la date de réception de sa réclamation par la commune, prolongée du délai de 30 jours prévu à l'article 37 de la loi du 28 janvier 2013, soit à compter du 1er mars 2016 ; la capitalisation des intérêts sera due à compter du 1er mars 2017 en application de l'article 1343-2 du code civil.

Par des mémoires en défense enregistrés le 14 mars 2024 et le 17 juin 2024, la commune de Saint-Pierre, représentée par Me Charrel, conclut au rejet de la requête, à titre principal pour irrecevabilité, à titre subsidiaire au fond, et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge des sociétés Eiffage Génie Civil et Hydrotech sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le recours en appel est irrecevable dès lors que l'ordonnance attaquée n'est pas produite dans une version complète, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 412-1 du code de justice administrative ;

- l'ordonnance du magistrat désigné est fondée ;

- subsidiairement, les demandes du groupement d'entreprises ne sont pas fondées ; elle n'entend pas revenir sur l'accord amiable aux termes duquel elle a accepté de verser au groupement une indemnité de 320 000 euros et d'abaisser les pénalités de retard qui lui sont dues à la somme de 443 243, 50 euros ; aucune somme supplémentaire ne peut être mise à sa charge, qui constituerait une libéralité dès lors que l'appelant n'en établit pas la base légale ou contractuelle ; en tout état de cause, la réalité des préjudices financiers allégués n'est pas démontrée ;

- le groupement d'entreprises ne conteste que partiellement le montant des pénalités de retard.

Par une ordonnance du 11 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 11 octobre 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Valérie Réaut ;

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- et les observations de Me Thareau, représentant la commune de Saint-Pierre de La Réunion.

Considérant ce qui suit :

1. Par un marché public signé le 21 septembre 2011 et notifié le 6 avril 2012, la commune de Saint-Pierre de La Réunion a confié au groupement d'entreprises composé de la société Hydrotech et de la société Eiffage TP devenue Eiffage Génie Civil, qui en est la mandataire, l'exécution des travaux du lot n° 2 relatif aux " réservoirs, station de pompage, chambre des vannes et aux équipements hydromécaniques et électriques " de la quatrième tranche des travaux de desserte en eau potable de la partie ouest de la ville, pour un prix de 3 694 969,35 euros hors taxe (HT). Après la réception des travaux, le groupement d'entreprises a transmis le 29 septembre 2015 un projet de décompte final du marché incluant une demande de rémunération complémentaire. Celle-ci a été rejetée dans le décompte général établi le 18 janvier 2016 par le maitre d'œuvre et signé par le maitre de l'ouvrage, lesquels ont appliqué des pénalités de retard pour 183 jours. Le groupement d'entreprises a signé le décompte général le 11 février 2016 en l'assortissant de réserves et d'un mémoire en réclamation resté sans réponse. Saisi par la société Eiffage Génie Civil, le comité consultatif interdépartemental de règlement amiable (CCIRA) des différends ou litiges relatifs aux marchés publics de Paris a rendu un avis le 17 septembre 2018, notifié le 4 janvier 2019, donnant partiellement satisfaction à chacun des cocontractants. C'est dans ce contexte que la société Eiffage Génie Civil a saisi le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, qui lui a accordé une provision de 320 000 euros toutes taxes comprises (TTC) aux termes d'une ordonnance du 2 mars 2021, réformée ensuite par une ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 21 décembre 2021 ramenant le montant de la provision accordée à 197 624,15 euros TTC. Parallèlement, le groupement d'entreprises a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une action tendant à la fixation du décompte général et définitif du marché et à la condamnation de la commune à lui verser le solde du prix du marché, estimé à 808 888,74 euros TTC, augmenté des intérêts moratoires au taux contractuel à compter du 6 juin 2015. Par une ordonnance du 7 novembre 2022, dont le groupement d'entreprises relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal de La Réunion a rejeté cette demande pour irrecevabilité.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Saint-Pierre :

2. En vertu des dispositions combinées des articles R. 412-1 et R. 811-3 du code de justice administrative, les requêtes d'appel doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées d'une copie du jugement attaqué.

3. En réponse à la demande que la cour leur a adressée par courrier du 18 janvier 2023, les sociétés appelantes ont produit le même jour une copie intégrale de l'ordonnance attaquée. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par la commune de Saint-Pierre doit être écartée.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance du 7 novembre 2022 :

4. Aux termes de l'article R. 414-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la date d'enregistrement de la demande des sociétés requérantes devant le tribunal administratif de La Réunion : " Lorsqu'elle est présentée par un avocat, (...) la requête doit, à peine d'irrecevabilité, être adressée à la juridiction par voie électronique au moyen d'une application informatique dédiée accessible par le réseau internet. (...) ". L'article R. 414-3 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, ajoute que : " (...) Les pièces jointes sont présentées conformément à l'inventaire qui en est dressé. / Lorsque le requérant transmet, à l'appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus. S'il transmet un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d'irrecevabilité de la requête. / (...) ". En vertu de l'article R. 612-1 de ce code : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser (...) ".

5. Les dispositions citées au point 4 relatives à la transmission de la requête et des pièces qui y sont jointes par voie électronique définissent un instrument et les conditions de son utilisation qui concourent à la qualité du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et à la bonne administration de la justice. Elles ont pour finalité de permettre un accès uniformisé et rationalisé à chacun des éléments du dossier de la procédure, selon des modalités communes aux parties, aux auxiliaires de justice et aux juridictions. A cette fin, elles organisent la transmission par voie électronique des pièces jointes à la requête à partir de leur inventaire détaillé et font obligation à son auteur de les transmettre soit en un fichier unique, chacune d'entre elles devant alors être répertoriée par un signet la désignant, soit en les distinguant chacune par un fichier désigné, l'intitulé des signets ou des fichiers devant être conforme à l'inventaire qui accompagne la requête. Ces dispositions ne font pas obstacle, lorsque l'auteur de la requête entend transmettre un nombre important de pièces jointes constituant une série homogène, telles que des factures, à ce qu'il les fasse parvenir à la juridiction en les regroupant dans un ou plusieurs fichiers sans répertorier individuellement chacune d'elles par un signet, à la condition que le référencement de ces fichiers ainsi que la numération, au sein de chacun d'eux, des pièces qu'ils regroupent soient conformes à l'inventaire.

6. Pour établir l'irrecevabilité manifeste de la demande des sociétés Eiffage Génie Civil et Hydrotech, le magistrat désigné a relevé qu'elles n'avaient produit les pièces jointes à leur requête ni par un fichier distinct pour chaque pièce ni par un fichier unique répertoriant chaque pièce par un signet la désignant au moins par un numéro d'ordre attribué par l'inventaire détaillé.

7. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la demande comportait un bordereau de communication de pièces présentant l'inventaire détaillé de celles-ci, de manière exhaustive, par un intitulé comprenant, pour chacune d'elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu'un libellé suffisamment explicite. Ces pièces ont été produites par deux fichiers groupés comprenant, pour le premier, les pièces inventoriées n°s 1 à 16 sauf les pièces n°s 3, 4, 5 et 16, et pour le second, les pièces répertoriées de 17 à 28 sauf la pièce n° 20. Les dispositions citées au point 4 ne pouvant être regardées comme interdisant une communication des pièces au moyen de plusieurs fichiers groupés, et dès lors que chacune des pièces transmises par ces deux fichiers groupés était répertoriée par un signet et désignée conformément à l'inventaire du bordereau joint, le premier juge ne pouvait rejeter la demande pour le motif retenu mentionné au point 6.

8. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Eiffage Génie Civil et Hydrotech sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le premier juge a rejeté leur demande comme manifestement irrecevable sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer le jugement de l'affaire au tribunal administratif de La Réunion.

Sur les frais liés au litige :

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les sociétés Eiffage Génie Civil et Hydrotech sur le fondement des dispositions l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de ces sociétés, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Saint-Pierre demande au titre des frais de l'instance.

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 1900243 du 7 novembre 2022 est annulée.

Article 2 : Le jugement de l'affaire est renvoyé au tribunal administratif de la Réunion.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Pierre sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eiffage Génie Civil, à la société Hydrotech et à la commune de Saint-Pierre de la Réunion.

Délibéré après l'audience du 25 février 2025 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Valérie Réaut, première conseillère,

M. Vincent Bureau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2025.

La rapporteure,

Valérie Réaut

Le président,

Laurent Pouget Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX00034


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00034
Date de la décision : 25/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Valérie RÉAUT
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : LE PORT YANNICK- AWEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-25;23bx00034 ?
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