Vu la procédure suivante :
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La cour administrative d'appel de Bordeaux
1ère chambre
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C..., M. B... E..., M. F... A... et l'association SEPANSO Dordogne ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 mars 2021, par lequel le maire de la commune de Le Buisson-de-Cadouin (24) a délivré à la société à responsabilité limitée (SARL) PROBUIS un permis de construire portant sur la création d'un magasin U Express d'une surface de plancher totale de 1592 m² et comprenant la création d'une station-service, d'une station de lavage et d'une laverie automatique, sur un terrain situé " Le Bourg bas " sur le territoire de la commune, ensemble la décision de rejet de leur recours gracieux, ainsi que l'arrêté du 7 juin 2022 délivré par cette même autorité et portant permis de construire modificatif.
Par un jugement n°2104320 du 5 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 3, 17 avril et 10 décembre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Guillini, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 février 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler les arrêtés des 25 mars 2021 et 7 juin 2022 du maire de la commune de Le Buisson-de-Cadouin ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Le Buisson-de-Cadouin et de la
SARL Probuis le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- le jugement attaqué méconnaît le principe du contradictoire en l'absence de communication d'un mémoire et d'une note en délibéré sur lesquels les premiers juges se sont pourtant fondés ;
- il avait intérêt à agir contre les arrêtés contestés ;
En ce qui concerne la légalité des arrêtés des 25 mars 2021 et 7 juin 2022 :
- l'arrêté du 25 mars 2021 est entaché d'un vice de forme ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article R. 431-16 a) du code de l'urbanisme en l'absence d'étude d'impact ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article R.431-16 c) du code de l'urbanisme et L. 414-4 IV Bis du code de l'environnement en l'absence d'évaluation d'incidences Natura 2000 ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article R.111-2 du code de l'urbanisme ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme ;
- les prescriptions de l'arrêté du 25 mars 2021 sont illégales et l'arrêté ne respecte pas les orientations d'aménagement ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article II AU3 du PLU et des orientations d'aménagement ;
- ils méconnaissent les dispositions des articles II AU4 du PLU et L. 111-11 du code de l'urbanisme ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article II AU8 du PLU ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article II AU11 du PLU ;
- ils méconnaissent les dispositions de l'article II AU13 du PLU ;
- ils méconnaissent le plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) de la Vallée de la Dordogne ;
- le classement du terrain en zone AU est illégal et entache par voie d'exception les arrêtés contestés d'illégalité.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 août 2024, la SARL Probuis, représentée par Me Demaret, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 août 2024, la commune de Le Buisson-de-Cadouin représentée par Me Heymans, conclut à titre principal au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire à l'application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Surteauville, représentant M. F... A..., de Me Platel, représentant la commune du Le Buisson-de-Cadouin et de Me Pelissier, représentant la société Probuis.
Une note en délibéré présentée par la société Probuis a été enregistrée le 24 février 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 décembre 2020, la SARL Probuis a déposé une demande de permis de construire portant sur la création d'un magasin U Express d'une surface de plancher totale de 1592 m² et comprenant la création d'une station-service, d'une station de lavage et d'une laverie automatique, sur un terrain situé " Le Bourg bas " sur le territoire de la commune de Le Buisson-de-Cadouin. Par un arrêté du 25 mars 2021, le maire de Le Buisson-de-Cadouin a accordé l'autorisation sollicitée. Le 24 janvier 2022, la SARL Probuis a déposé une demande de permis de construire modificatif portant sur la suppression de la station de lavage, l'agrandissement de 22 m2 de l'étage et la suppression de places de stationnement. Par un arrêté du 7 juin 2022 le maire de Buisson-de-Cadouin a accordé l'autorisation sollicitée. Mme D... C..., M. B... E..., M. F... A... et l'association SEPANSO Dordogne ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés des 25 mars 2021 et 7 juin 2022. Par la présente requête, M. A... relève appel du jugement du 5 février 2024 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. Le tribunal de Bordeaux a rejeté comme irrecevable la demande présentée par la SEPANSO Dordogne au motif qu'elle était tardive, et la demande présentée par Mme C..., M. E... et M. A... au motif que ces derniers ne justifiaient pas d'une qualité leur donnant intérêt à agir contre les arrêtés des 25 mars 2021 et 7 juin 2022 contestés. M. A..., seul appelant, soutient qu'il justifie d'un tel intérêt en sa qualité de voisin immédiat, et en tout état de cause, à raison de l'atteinte causée par le projet aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il ne conteste pas les autres causes d'irrecevabilité retenues par les premiers juges.
3. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
5. Il ressort des pièces du dossier que le projet, qui consiste, dans sa version modifiée, en la création d'un magasin U Express d'une surface de plancher de 1614 m2, d'un parking de 79 places de stationnements et d'une station-service, s'implante sur des parcelles cadastrées section 68 A n°170, n°3185, n°3187 et n°3188 situées au lieu-dit " Le Bourg bas " en secteur rural de la commune de Le Buisson-de-Cadouin.
6. D'une part, M. A... est propriétaire d'une maison à usage d'habitation implantée sur les parcelles cadastrées n° 419, n°418 et n°425 situées au 22 rue de la Boétie, à l'angle de la rue de Cabans. Sa propriété, située en limite d'urbanisation, s'ouvre au nord sur un vaste secteur naturel qui voit s'implanter, à environ 300 mètres, le projet en litige, dont il est séparé par de nombreuses parcelles. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que M. A... n'avait pas, pour l'application des principes rappelés au point 4, la qualité de voisin immédiat du terrain d'assiette du projet.
7. D'autre part, pour justifier de son intérêt à agir, M. A... se prévaut notamment des nuisances visuelles qu'entrainent le projet sur son bien dans lequel il exploite, sous l'enseigne " Un ange passe " une activité de chambres d'hôtes constituée de cinq chambres. Il ressort des pièces du dossier et notamment des trois constats d'huissier des 9 novembre 2021, 4 mai 2022 et 27 février 2023, qui ne sont pas utilement contredits, que le vaste espace naturel séparant la propriété de M. A... du projet est plat, essentiellement enherbé et à usage agricole, et que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les haies et bosquets qui s'implantent en bordure de sa propriété et au niveau du " coude " du chemin de la Virade, ne permettent pas de constituer un masque visuel, notamment depuis les chambres d'hôtes situées à l'étage qui ont une vue, certes lointaine, mais directe sur le projet, alors même qu'elles avaient jusqu'alors une vue dégagée sur la campagne environnante. En outre, si contrairement à ce que soutient
M. A..., le permis de construire modificatif n'autorise pas un nouvel accès au projet à proximité de chez lui depuis la rue du Lac et le chemin de la Virade, la partie de ce chemin rendue carrossable étant destinée à permettre l'évacuation des personnes physiques en cas d'inondation, il ressort des pièces du dossier que la création d'un supermarché U Express comportant 79 places de stationnement et une station-service dans un secteur vierge de toute construction, en dehors d'une maison laissée à l'abandon, génère un flux de circulation qui n'existait pas auparavant. Or, l'accès principal à cet établissement commercial se fera via la route départementale D51, qui est la voie principale de desserte de la rue de la Boétie dans laquelle s'implante la propriété de M. A.... Dans ces conditions, les nuisances générées par l'augmentation du trafic routier sur les conditions de jouissance de son bien, notamment en termes de quiétude du voisinage et de sécurité, sont réelles. Ainsi, et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les atteintes alléguées par le requérant, notamment visuelles, sont, compte tenu de son activité de chambres d'hôtes, susceptibles d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a considéré qu'il ne justifiait pas d'un intérêt à agir contre les arrêtés contestés.
8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'irrecevabilité de la requête pour défaut d'intérêt à agir de M. A... contre les arrêtés contestés. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens d'irrégularité soulevés par M. A..., le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions aux fins d'annulation des arrêtés des 25 mars 2021 et 7 juin 2022 présentées par M. A....
9. Il y a lieu de renvoyer M. A..., devant le tribunal administratif de Bordeaux pour y être à nouveau statué sur sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SARL Probuis et de la commune de Le Buisson-de-Cadouin demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SARL Probuis et de la commune de
Le Buisson-de-Cadouin une somme de 1 500 euros chacune à verser à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°2104320 du 5 février 2024 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions aux fins d'annulation des arrêtés des 25 mars 2021 et 7 juin 2022 présentées par M. A....
Article 2 : M. A... est renvoyé devant le tribunal administratif de Bordeaux pour qu'il soit statué sur sa demande d'annulation des arrêtés des 25 mars 2021 et 7 juin 2022.
Article 3 : La SARL Probuis versera à M. A... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La commune de Le Buisson-de-Cadouin versera à M. A... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêté sera notifié à M. F... A..., à la société à responsabilité limitée PROBUIS et à la commune de Le Buisson-de-Cadouin.
Délibéré après l'audience du 20 février 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mars 2025.
La rapporteure,
Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00830