Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association SEPANSO Dordogne, l'association pour la protection de la vallée du Buisson (APVB), M. B... C... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 par lequel le préfet de la Dordogne a porté dérogation à l'interdiction de perturbation d'espèces animales protégées et de destruction de leurs habitats dans le cadre de la création d'un magasin U Express sur la commune de Buisson-du-Cadouin.
Par un jugement n°2205251 du 5 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 avril, 11 novembre et
18 décembre 2024, la SEPANSO Dordogne, représentée par Me Guillini, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 février 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 du préfet de la Dordogne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la SARL Probuis le versement d'une somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- le jugement attaqué méconnaît le principe du contradictoire en l'absence de communication d'un mémoire et d'une note en délibéré sur lesquels les premiers juges se sont pourtant fondés ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu la fin de non-recevoir tirée du caractère superfétatoire de l'arrêté contesté dès lors qu'une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées était nécessaire ;
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 2 août 2022 :
- l'arrêté est entaché d'une incompétence de l'auteur de l'acte ;
- il est insuffisamment motivé ;
- le dossier de demande est insuffisant ;
- la procédure de consultation du public par voie électronique est irrégulière ;
- la concertation du public par voie électronique est irrégulière ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les trois critères cumulatifs prévus par l'article L. 411-2 du code de l'environnement ne sont pas remplis.
Par des mémoires en défense enregistrés les 7 août et 11 décembre 2024, la
SARL Probuis, représentée par Me Demaret, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 décembre 2024, le ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Surteauville, représentant la Sepanso Dordogne et de Me Pelissier, représentant la société Probuis.
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 décembre 2020, la SARL Probuis a déposé une demande de permis de construire portant sur la création d'un magasin U Express d'une surface de plancher totale de 1 592 m² et comprenant la création d'une station-service, d'une station de lavage et d'une laverie automatique, sur un terrain situé " Le Bourg bas " sur le territoire de la commune de
Le Buisson-de-Cadouin. Par un arrêté du 25 mars 2021, le maire de Le Buisson-de-Cadouin a accordé l'autorisation sollicitée, puis par un arrêté du 7 juin 2022, cette même autorité a accordé un permis de construire modificatif portant sur la suppression de la station de lavage, de quelques places de stationnements et l'agrandissement de l'étage du bâtiment. Dans le cadre de ce projet, la société pétitionnaire a déposé le 23 novembre 2021 une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées sur le fondement des dispositions de l'article
L. 411-2 du code de l'environnement. Par arrêté du 2 août 2022, le préfet de la Dordogne lui a accordé l'autorisation sollicitée. Par la présente requête, l'association Sepanso Dordogne relève appel du jugement du 5 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne le respect du principe du contradictoire :
2. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges, qui n'ont pas communiqué deux mémoires datés des
20 novembre 2023 et 22 décembre 2023 enregistrés pour la société pétitionnaire postérieurement à la clôture d'instruction fixée au 13 septembre 2023, se soient fondés sur ces derniers. Par suite, et alors que ces mémoires ne comportaient au demeurant pas d'éléments nouveaux, le moyen d'irrégularité tiré de ce que le principe du contradictoire aurait été méconnu doit être écarté.
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
3. Le tribunal de Bordeaux a rejeté comme irrecevable la demande présentée par la SEPANSO Dordogne au motif que la délivrance d'une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées n'était pas nécessaire pour autoriser le projet en litige et qu'ainsi l'arrêté du 2 août 2022 était entaché d'une méconnaissance du champ d'application de la loi et revêtait un caractère superfétatoire.
4. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...)/ 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (...)c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement". Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes. / Les espèces sont indiquées par le nom de l'espèce ou de la sous-espèce ou par l'ensemble des espèces appartenant à un taxon supérieur ou à une partie désignée de ce taxon. " Les arrêtés du 20 janvier 1982 et du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixent, respectivement, la liste des végétaux et des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
5. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation
" espèces protégées ".
6. Il résulte de l'instruction que par arrêté du 2 avril 2021, la préfète de la région Nouvelle-Aquitaine a, en l'absence de sensibilité environnementale particulière, dispensé le projet en litige de la réalisation d'une étude d'impact, tout en indiquant, dans cette décision, que le porteur de projet devait s'assurer, avant le démarrage des travaux, de la présence ou de l'absence d'espèces protégées ou de leurs habitats sur le site d'implantation et alentours. La SARL Probuis a fait réaliser, dans ce cadre, un diagnostic environnemental dont il ressort, dans sa dernière version datée du 7 juin 2022, postérieure à l'avis défavorable émis par le conseil scientifique régionale du patrimoine naturel (CSRPN) du 10 février 2022 et qui prend en compte les remarques de ce conseil, que le terrain d'implantation du projet n'est compris dans aucun des sites Natura 2000 situés à proximité, qu'il s'agisse de la zone spéciale de conservation " La Dordogne " ou de celle des " Coteaux calcaires de la vallée de la Dordogne " ou des zones naturelles d'intérêt écologiques, faunistiques et floristique (ZNIEFF) du même nom auxquelles s'ajoute celle des " Couasnes de Siorac et du Buisson ". Les enjeux de conservation qualifiés de moyen à fort, se concentrent, s'agissant des habitats naturels, sur les bosquets et fourrés, les noyers et une prairie de fauche. S'agissant de la flore, l'enjeu est qualifié de fort pour une zone à orchidées. S'agissant des chiroptères et de l'avifaune, l'enjeu est qualifié de fort pour une seule espèce d'oiseau, la cisticole des joncs, et de moyen pour 3 espèces de chauve-souris et 4 autres espèces d'oiseaux, le rouge-queue à front blanc, le bouscarle de Cetti, le chardonneret élégant et le tarier pâtre. Ainsi, et alors que les enjeux de conservation sont pour le reste, globalement qualifiés de faibles, il résulte de l'instruction que la pétitionnaire a prévu plusieurs mesures d'évitement et de réduction consistant en l'évitement d'une grande partie de prairie et de friche via un balisage précis en amont du chantier, validé par un écologue, la préservation de la zone à orchidées qui est exclue de la zone de chantier, toujours en présence d'un écologue, la mise en place d'un enclos de protection autour des troncs de 3 noyers, ou encore la mise en œuvre d'un calendrier de travaux de façon à éviter les périodes sensibles pour l'avifaune et les chiroptères, ou enfin un choix de la période la moins sensible pour l'abattage des noyers et pour les différents travaux impactant les espèces recensées. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'en tenant compte des mesures d'évitement et de réduction proposées par la société, quand bien même elles ne sont reprises dans aucun acte, le risque de destruction et de perturbation d'espèces protégées et d'habitats est diminué au point qu'il apparaît insuffisamment caractérisé et ont considéré que l'arrêté litigieux, en tant qu'il délivre une telle dérogation, présente un caractère superfétatoire. Par suite, la demande présentée devant le tribunal administratif tendant à son annulation n'était pas recevable.
7. Il résulte de ce qui précède que l'association SEPANSO Dordogne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du pétitionnaire et de l'Etat, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la requérante demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'association SEPANSO Dordogne une somme de 1 500 euros à verser à la SARL Probuis sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'association SEPANSO Dordogne est rejetée.
Article 2 : La SEPANSO Dordogne versera à la SARL Probuis une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêté sera notifié à l'association SEPANSO Dordogne, à la société à responsabilité limitée PROBUIS et au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré après l'audience du 20 février 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mars 2025.
La rapporteure,
Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00828