La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/02/2025 | FRANCE | N°22BX02094

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 20 février 2025, 22BX02094


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 juillet 2022 et le 12 septembre 2023, la société Energie des trois sentiers, représentée par Me Guinot et Me Gauthier, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'une installation de production d'électricité éolienne sur les communes de la Chapelle-Saint-Laurent et Neuvy-Bouin ;



2°) de

lui accorder l'autorisation environnementale sollicitée, de définir en tant que de besoin les prescripti...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 juillet 2022 et le 12 septembre 2023, la société Energie des trois sentiers, représentée par Me Guinot et Me Gauthier, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'une installation de production d'électricité éolienne sur les communes de la Chapelle-Saint-Laurent et Neuvy-Bouin ;

2°) de lui accorder l'autorisation environnementale sollicitée, de définir en tant que de besoin les prescriptions nécessaires au fonctionnement de l'installation dans le respect des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et ordonner à l'administration de procéder aux formalités de publicité de son arrêt selon les dispositions de l'article R. 181-44 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfète des Deux-Sèvres, sur le fondement des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, à titre principal, de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à titre infiniment subsidiaire, de statuer sur la demande d'autorisation environnementale dans ledit délai de deux mois, et ce, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté n'est pas motivé, dès lors qu'il se borne à indiquer que le projet n'est pas compatible avec le plan local d'urbanisme inter-communal de l'agglomération du Bocage Bressuirais approuvé le 9 novembre 2021, sans toutefois préciser avec quelles dispositions du PLUi le projet ne serait pas compatible ; de même, le second motif de refus, tenant à l'impact visuel, est tout aussi insuffisant, l'arrêté n'étant à ce sujet assorti d'aucune considérations de fait ;

- c'est à tort que la préfète a considéré, suivant l'avis de la DDT du 10 mai 2022 visé par l'arrêté, que la zone Ap du PLUi, zone agricole protégée, n'autorisait pas l'installation d'éoliennes, dès lors que les éoliennes relèvent de la sous-destination " locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés " au sein de la destination " équipements d'intérêt collectif et services publics ", comme cela résulte clairement de la fiche du ministère publié en 2017 relativement à ces nouvelles destinations et sous-destinations des PLU alurisés ;

- les éoliennes n'étant ni des " bâtiments " ni des " constructions " au sens de l'emprise au sol, selon le lexique national d'urbanisme, mais des " installations ", la définition des destinations et sous-destinations tout comme l'article 3 de la section 2 du règlement de la zone A, en ce qu'il réglemente la " volumétrie et l'implantation des constructions ", ne leur sont pas applicables, en vertu de la fiche du ministère publié en 2017 ; c'est également le sens de la réponse ministérielle JOAN 8 juin 2021, p. 4788 ;

- à supposer que les éoliennes soient des constructions, la préfète n'établit pas que leur emprise au sol excède celle autorisée par le PLUi si l'on s'en tient à l'idée de consommation de terrain ;

- l'article 2.2 relatif aux usages et affectations des sols, constructions et activités admis sous conditions autorise en zone A " les installations classées pour la protection de l'environnement nécessaires à l'activité agricole ou pour les équipements d'intérêt collectif " ;

- c'est au terme d'une erreur de droit et d'appréciation que la préfète des Deux-Sèvres a estimé que les mesures de réduction des impacts, notamment la plantation de haies, ne seraient pas suffisantes pour réduire l'impact visuel du projet jusqu'à un niveau acceptable ; en effet, d'une part la préfète n'a pas suivi la méthode précisée par les décisions du Conseil d'Etat, qui consiste à apprécier, dans un premier temps, la qualité du site dans lequel le projet s'insère et à évaluer, dans un second temps, les effets qu'il pourrait y avoir sur le site ; d'autre part, la préfète ne pouvait légalement se fonder sur la méconnaissance d'une règle d'une RNU alors que les éoliennes sont dispensées de permis de construire en vertu de l'article R. 425-29-2 du code de l'urbanisme ; enfin, la préfète ne pouvait légalement estimer que le projet méconnaît les règles d'urbanisme relatives à la protection des paysages.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,

- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gauthier, représentant la société Energie des trois sentiers.

Une note en délibéré présentée par la société Energie des trois a été enregistrée le 31 janvier 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Le 18 janvier 2020, la société Energie des trois sentiers a déposé une demande d'autorisation environnementale, complétée le 3 mars 2021, pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien sur les communes de La Chapelle Saint-Laurent et Neuvy-Bouin (Deux-Sèvres). Par un arrêté du 10 juin 2022, la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer cette autorisation environnementale. La société Energie des trois sentiers demande à la cour d'annuler cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

3. L'arrêté litigieux est fondé sur deux motifs, le premier, qui constitue le motif principal, tiré de la circonstance que le projet de la requérante " n'est pas compatible avec les règles d'urbanisme en vigueur sur les communes d'implantation, édictées par le plan local d'urbanisme inter-communal de l'Agglomération du Bocage Bressuirais approuvé le 9 novembre 2021 ", le second tiré de ce que les mesures de réduction des impacts annoncées par la société, " notamment la plantation de haies, ne sont pas suffisantes pour réduire l'impact visuel de son projet jusqu'à un niveau acceptable ". Toutefois, s'agissant de son motif principal, l'arrêté ne précise pas les règles du plan local d'urbanisme qui seraient méconnues par le projet de la société requérante. S'il vise l'avis de la direction départementale des territoires (DDT) du 10 mai 2022, il ne s'y réfère pas et cet avis n'a pas été joint à la notification de l'arrêté litigieux à la société Energie des trois sentiers. Par suite, l'arrêté du 10 juin 20222 est insuffisamment motivé et doit être annulé.

En ce qui concerne la légalité interne :

4. En premier lieu, et d'une part, aux termes de l'article R. 151-27 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au plan local d'urbanisme intercommunal de la communauté d'agglomération du Bocage Bressuirais (PLUi) : " Les destinations de constructions sont : (...) 4° Equipements d'intérêt collectif et services publics (...) ". L'article R. 157-28 du même code définit comme sous destination de la destination " 4° Equipements d'intérêt collectif et services publics ", notamment, les " locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés (...) ". Enfin, l'article 4 de l'arrêté du 10 novembre 2016 pris pour l'application de ces dispositions dispose que " La sous-destination "locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés" recouvre les constructions des équipements collectifs de nature technique ou industrielle. Cette sous-destination comprend notamment les constructions techniques nécessaires au fonctionnement des services publics, les constructions techniques conçues spécialement pour le fonctionnement de réseaux ou de services urbains, les constructions industrielles concourant à la production d'Energie. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les installations de production d'électricité relèvent, en tant que " locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés ", de la catégorie des " Equipements d'intérêt collectif et services publics " du plan local d'urbanisme.

5. D'autre part, l'article 2.1 du titre V du règlement du PLUi prévoit qu'en zone A et ses secteurs, excepté dans le secteur Ap, sont admises les destinations et sous destination " locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilées, sous réserve qu'ils soient liés à la réalisation d'infrastructures et des réseaux ", et qu'en secteur Ap, sont admises les destinations et sous destinations " locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilées sous conditions cumulatives suivantes : / qu'ils soient liés à la réalisation d'infrastructures et des réseaux ; / que les dispositions de l'article 3 soient respectées en termes d'emprise au sol et de hauteur ".

6. Les quatre éoliennes du projet de la société Energie des trois sentiers sont implantées en zone agricole, dite zone A du PLUi de la communauté d'agglomération du Bocage Bressuirais, et trois d'entre elles sont en zone Ap, zone agricole faiblement constructible. L'arrêté en cause a refusé à la société Energie des Trois sentiers l'autorisation sollicitée au motif, comme le précise le ministre, que les éoliennes ne seraient pas des constructions, mais des installations qui ne seraient donc pas autorisées en zone Ap par le PLUi de la communauté d'agglomération du Bocage Bressuirais. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 4, les éoliennes constituent des " locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés " relevant de la catégorie des " Equipements d'intérêt collectif et services publics. Ainsi, la société Energie des Trois sentiers est fondée à soutenir, alors que le ministre ne fait pas valoir que le projet méconnaitrait les autres conditions propres à la zone Ap du PLUi, que c'est à tort que la préfète des Deux-Sèvres s'est fondée sur ce motif pour refuser l'autorisation sollicitée.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I. L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ".

8. L'arrêté litigieux est également fondé sur la circonstance que les mesures de réduction des impacts annoncées par la société, " notamment la plantation de haies, ne sont pas suffisantes pour réduire l'impact visuel de son projet jusqu'à un niveau acceptable ".

9. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que la préfète des Deux-Sèvres n'aurait pas examiné la qualité et la sensibilité du site d'implantation avant de s'interroger sur l'impact du projet sur ces lieux.

10. D'autre part, la préfète des Deux-Sèvres n'ayant pas fait application de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, mais de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, qui renvoie à l'article L. 511-1 du même code, le moyen tiré de ce que l'article R. 111-27 ne serait pas applicable aux éoliennes doit en tout état de cause être écarté. De même, la préfète ne s'étant pas fondée, s'agissant de ce second motif, sur les règles d'urbanisme, la société requérante ne peut utilement soutenir que la préfète ne pouvait légalement estimer que le projet méconnait les règles d'urbanisme relatives à la protection des paysages.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, pour les motifs énoncés aux points 3 et 6, l'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres du 10 juin 2022 refusant à la société Energie des trois sentiers l'autorisation d'exploitation d'un parc éolien sur les communes de La Chapelle Saint-Laurent et Neuvy-Bouin doit être annulé.

Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation sollicitée et les conclusions à fin d'injonction :

12. Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

13. Le présent arrêt n'implique pas la délivrance d'une autorisation, mais implique en revanche que la préfète des Deux-Sèvres, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, réexamine la demande de la société Energie des trois sentiers et prenne une nouvelle décision dans un délai qu'il y a lieu de fixer à quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Energie des trois sentiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres du 10 juin 2022 refusant à la société Energie des trois sentiers l'autorisation d'exploitation d'un parc éolien sur les communes de La Chapelle Saint-Laurent et Neuvy-Bouin est annulé.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète des Deux-Sèvres de réexaminer la demande de la société Energie des trois sentiers et de prendre une nouvelle décision dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la société Energie des trois sentiers la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Energie des trois sentiers et à la ministre de la transition de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée à la préfète des Deux-Sèvres et à la communauté d'agglomération du bocage bressuirais.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2025.

La présidente-assesseure,

Bénédicte MartinLa présidente-rapporteure,

Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne à la ministre de la transition de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX02094 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02094
Date de la décision : 20/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur ?: Mme Frédérique MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : SCP LACOURTE RAQUIN TATAR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-20;22bx02094 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award