Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre des armées sur sa demande du 19 mars 2018 tendant à la revalorisation du montant de l'indemnité différentielle qui lui a été versée entre le 1er septembre 1990 et le 30 septembre 2013, d'autre part, d'enjoindre au ministre de lui verser les sommes actualisées correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue sur cette période et celle à laquelle il a droit, sous astreinte.
Par un jugement n° 1801259 du 26 décembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 février 2020 et 27 avril 2022, M. A..., représenté par Me Duchadeau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 décembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision par laquelle le ministre des armées a implicitement rejeté sa demande du 19 mars 2018 tendant à la revalorisation du montant de l'indemnité différentielle qui lui a été versée entre le 1er septembre 1990 et le 30 septembre 2013 ;
3°) d'enjoindre au ministre de lui verser, à titre principal, les sommes actualisées, correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue sur cette période et celle à laquelle il a droit, soit la somme totale de 100 894 euros, sauf à parfaire, sous astreinte ; à titre subsidiaire de lui verser dans les mêmes conditions les sommes correspondantes sur la période de septembre 2009 à janvier 2013, soit la somme totale de 25 035,89 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'État, outre les entiers dépens, la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative relativement à la procédure de première instance, et la somme de 2 000 euros en application des mêmes dispositions, relativement à la présente instance.
M. A... soutient que :
- le tribunal a fait une inexacte application des dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 alors que, d'une part, la prescription n'était pas acquise dès lors qu'il se trouvait dans une situation d'ignorance légitime quant à sa créance au sens de l'article 3 de cette loi, d'autre part, le retard pris par l'administration à régulariser sa situation justifie qu'il soit dérogé à la règle jurisprudentielle du préjudice continu et de la prescription glissante ;
- l'administration aurait dû, en raison des circonstances particulières tenant à sa situation, relever la prescription comme le permettent les dispositions de l'article 6 de cette loi ; à cet égard, le tribunal a commis une erreur de droit en omettant d'examiner la possibilité d'un tel relèvement en raison de sa situation ;
- la prescription a été interrompue en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 par le recours qu'il a introduit contre la décision du 18 septembre 2013 par laquelle l'administration l'a informé de la modification du calcul de l'indemnité différentielle, le délai de prescription de la créance n'ayant recommencé à courir qu'à l'issue de l'arrêt de la cour d'administrative d'appel de Bordeaux du 16 février 2018, soit le 1er janvier 2019, de sorte que la créance litigieuse ne sera prescrite que le 31 décembre 2022 ; a minima, il a droit au versement des sommes dues pour la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013, soit un montant total de 25 035,89 euros ;
- les articles 1er , 3 et 6 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 méconnaissent les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles des articles 13 et 14 de cette convention ;
- le calcul de son indemnité différentielle méconnaît les dispositions du décret du 23 novembre 1962 relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère des armées.
Par un mémoire distinct enregistré 4 septembre 2020, M. A... a demandé à la cour de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des articles 1er , 3 et 6 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 en tant qu'ils méconnaissent le droit de propriété des agents de l'administration garanti par les articles 1er , 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe d'égalité entre les agents publics et le principe d'égalité des agents devant la justice garantis par l'article 6 de la Déclaration, le droit des agents à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration et le principe de responsabilité garanti par l'article 4 de la Déclaration.
Par une ordonnance n° 20BX00671 du 1er décembre 2020, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
La clôture d'instruction a été fixée au 3 juin 2022 à 12 heures par une ordonnance du 2 mai 2022.
Un mémoire, pour M. A..., a été enregistré le 6 octobre 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Un mémoire en défense, pour le ministre des armées, a été enregistré le 11 octobre 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Par un arrêt n° 20BX00671 du 8 novembre 2022, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 décembre 2019, a annulé la décision implicite du ministre des armée rejetant la demande de M. A... en date du 19 mars 2018 en tant qu'elle concerne la période du 1er janvier 2009 au 30 décembre 2013, a condamné l'État à verser à M. A... une somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013 et celle qu'il aurait dû percevoir au cours de cette période, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A....
Par une décision n° 470319 du 20 mars 2024, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 novembre 2022 en tant qu'il a, à son article 3, fixé les modalités de calcul de la somme que l'État est condamné à payer à M. A..., et a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire enregistré le 26 décembre 2024, M. A... reprend, par les mêmes moyens, ses conclusions antérieures tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des armées de lui verser la somme de 25 035,89 euros à compter de la notification de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; il demande également qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La procédure a été communiquée au ministre des armées, qui n'a pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962 ;
- le décret n° 89-753 du 18 octobre 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public ;
- et les observations de Me Duchadeau, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ancien ouvrier de l'État, a été intégré, à compter du 1er septembre 1990, dans le corps des techniciens supérieurs d'études et de fabrications (TSEF). Depuis son intégration dans ce corps, M. A... perçoit une indemnité différentielle. Estimant que les montants versés au titre de cette indemnité sur la période du 1er septembre 1990 au 30 septembre 2013 inclus étaient inférieurs à ceux auxquels il avait droit, M. A... a, par courrier du 19 mars 2018, sollicité la révision de ces montants et le versement de la somme correspondante. N'ayant pas obtenu de réponse, M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision implicite de rejet du ministre des armées et d'enjoindre à celui-ci de lui verser la somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue sur cette période et celle à laquelle il avait droit. Par un jugement du 26 décembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt n° 20BX00671 du 8 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du 26 décembre 2019 ainsi que la décision implicite de rejet du ministre des armées en tant qu'elle concernait la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013, a condamné l'État à verser à M. A... une somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue durant cette période et celle qu'il aurait dû percevoir, et a rejeté le surplus de l'appel de M. A.... Par une décision n° 470319 du 20 mars 2024, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 8 novembre 2022 en tant seulement qu'il a, à son article 3, fixé les modalités de calcul de la somme que l'État est condamné à payer à M. A..., et a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour.
2. Il résulte de ce qui a été dit au point 1 que la décision par laquelle le ministre des armées a implicitement refusé de revaloriser le montant de l'indemnité différentielle de M. A... en tant que ce refus porte sur la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013 a été définitivement annulée par l'arrêt de la cour du 22 novembre 2022.
3. Aux termes de l'article 1er du décret du 23 novembre 1962 relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère des armées : " Les techniciens d'études et de fabrications relevant du ministère des armées provenant du personnel ouvrier ou du personnel contractuel régi par le décret du 3 octobre 1949 perçoivent, le cas échéant, une indemnité différentielle ; cette indemnité est égale à la différence entre, d'une part, le salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenaient les anciens ouvriers ou le salaire réellement perçu par les anciens contractuels à la date de leur nomination et, d'autre part, la rémunération qui leur est allouée en qualité de fonctionnaire (...) ". Le décret du 18 octobre 1989 portant attribution d'une indemnité compensatrice à certains techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense a maintenu en son article 6, pour ceux de ces techniciens qui en bénéficiaient lors de leur nomination dans ce corps, le bénéfice de cette indemnité différentielle.
4. Il résulte de ces dispositions que l'indemnité différentielle à laquelle peuvent prétendre les techniciens d'études et de fabrications provenant du personnel ouvrier et dont le bénéfice peut être maintenu au profit des techniciens supérieurs d'études et de fabrications qui en bénéficiaient, doit être calculée sur les émoluments correspondant au salaire le plus élevé pouvant être perçu, à la date de leur nomination, dans la profession qu'ils ont exercée en dernier lieu avant d'être promus fonctionnaires. Conformément à l'article 3 du décret, alors en vigueur, du 31 janvier 1967 relatif à la détermination des taux des salaires des techniciens à statut ouvrier du ministère des armées, afin de fixer la rémunération à laquelle peuvent prétendre les agents ayant le statut d'ouvrier d'État, il y a lieu d'ajouter à ces taux les primes et indemnités fixées par des instructions interministérielles. Au nombre de ces primes et indemnités figure la prime de rendement et, en vertu d'une instruction du ministre des armées du 13 juin 1968, les primes de rendement allouées aux ouvriers et aux techniciens à statut ouvrier des armées varient de 0 à 32 % du salaire du 1er échelon du groupe professionnel auquel ils appartiennent, la moyenne des primes ainsi accordées ne pouvant toutefois dépasser 16 % du salaire minimum de chaque groupe.
5. Il résulte de l'instruction, en particulier du certificat de cessation de paiement établi le 23 octobre 1990, produit par le ministre en première instance, que M. A..., avant sa nomination, le 1er septembre 1990, au grade de technicien supérieur d'études et de fabrications (TSEF), appartenait à la profession de radioélectricien des ouvriers d'État dans le groupe V, échelon 5. Il résulte de l'annexe V de l'instruction du 4 septembre 2017 relative à la nomenclature des professions ouvrières que la profession de radioélectricien qui a été remplacée par celle d'ouvrier des techniques de l'électronique, laquelle comprenait notamment la profession des ouvriers des techniques de l'énergie, était limitée au groupe VII. Le requérant produit toutefois un protocole transactionnel daté du 8 juillet 2019 indiquant qu'il avait été reclassé dans la profession des ouvriers des techniques de l'électronique (radioélectricien) entre le 1er janvier 1984 et le 1er septembre 1985 et il n'est pas sérieusement contesté qu'il s'agit de la dernière profession exercée par l'intéressé à la date de sa nomination au grade de technicien supérieur, le 1er septembre 1990. Or, ainsi que le fait valoir M. A..., il résulte de l'instruction 52035/DEF/DPC/CRG du 5 mai 1975 relative à la classification des professions ouvrières des armées, qui était applicable au 1er septembre 1990, que les agents exerçant les fonctions de radioélectricien avaient accès au classement " hors groupe ", autrement dénommé groupe VIII, qui constituait ainsi le sommet de l'échelle de salaire pour ces fonctions. Par suite, l'indemnité différentielle à laquelle pouvait prétendre M. A... au titre de la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013 devait être calculée sur le salaire maximum correspondant au groupe VIII de la profession de radioélectricien.
6. En outre, ainsi que l'a jugé la cour par son arrêt du 8 novembre 2022, devenu définitif sur ce point, les dispositions de l'article 1er du décret du 23 novembre 1962 imposaient de retenir, pour le calcul de l'indemnité différentielle, la prime de rendement au taux maximal de 32 %.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à solliciter la condamnation de l'État à lui verser la somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue et celle qu'il aurait dû percevoir sur cette période en retenant le salaire maximum mentionné au point 5 et une prime de rendement au taux de 32 %. En l'état des éléments dont elle dispose, la cour n'est pas en mesure de déterminer précisément le montant de la somme due à M. A.... Il y a donc lieu de le renvoyer devant les services du ministère des armées pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette somme.
8. Les présent arrêt faisant droit aux conclusions à fin de condamnation présentées par M. A..., il n'y a pas lieu de faire droit à ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'État est condamné à verser à M. A... une somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013 et celle qu'il aurait dû percevoir au cours de cette période, calculée selon les modalités décrites au point 7 du présent arrêt.
Article 2 : L'État versera à M. A... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président-rapporteur,
Laurent Pouget Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00700