Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 19 mars 2021 par laquelle le recteur de la région académique de Guyane a décidé d'un changement d'affectation.
Par un jugement n° 2101053 du 22 juin 2023, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er août 2023 et le 31 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me Stanislas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 22 juin 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 19 mars 2021 par laquelle le recteur de l'académie de Guyane a prononcé son changement d'affectation ;
3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de Guyane de l'affecter sur le poste qu'elle occupait antérieurement, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement, le tribunal a omis de statuer sur le moyen qui n'est pas inopérant tiré de ce qu'elle devait obtenir la communication préalable de son dossier administratif, notamment du rapport établi par sa supérieure hiérarchique le 14 janvier 2021, en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- sa nouvelle affectation caractérise une rétrogradation ; nommée conseillère technique de service social le 1er juillet 2013, elle relève du corps des conseillers techniques de service social des administration de l'État alors que le poste sur lequel elle est affectée relève du corps interministériel des assistants de service social des administrations de l'État ; elle a perdu ses missions d'encadrement et d'expertise ainsi que la progression de carrière qu'elle était sur le point d'obtenir ; sa rémunération a été abaissée ; la décision lui fait donc grief ;
- l'emploi auquel elle a été nommée devait faire l'objet d'une déclaration de vacance, en application de l'article 41 de la loi du 26 janvier 1984 ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le changement d'affectation n'a pas été décidé dans l'intérêt du service ; la décision attaquée constitue une sanction déguisée ; elle devait donc être précédée de la procédure disciplinaire prévue aux articles L. 532-4 et L. 532-5 du code général de la fonction publique ;
- la décision en litige, qui ne permet pas de respecter les contraintes liées à son état de santé, présente un caractère discriminatoire interdit par les dispositions de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 et de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 ;
- la décision est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors qu'il s'est agi de l'écarter de son poste sans motif légitime dans le seul but de l'écarter des fonctions de conseillère technique.
Par un mémoire enregistré le 9 janvier 2024, la défenseure des droits, saisie par Mme A..., a présenté ses observations.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2024, le recteur de la région académique de Guyane conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande présentée devant le tribunal était tardive ;
- elle était également irrecevable dès lors que la décision attaquée est une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours ;
- subsidiairement, aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par une ordonnance du 6 décembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 20 décembre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi du 22 avril 1905 ;
- la loi n° 83-63 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le décret n° 2017-1050 du 10 mai 2017 ;
- le décret n° 2017-1051 du 10 mai 2017 ;
- le décret n° 2017-1052 du 10 mai 2017 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut,
- et les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a intégré la fonction publique de l'État le 1er septembre 2006 en qualité d'assistante de service social des administrations de l'État. Après avoir réussi le concours de conseillère technique en service social, elle a été affectée au centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de la Martinique à compter du 1er septembre 2013, puis au rectorat de l'académie de Guyane à compter du 1er septembre 2015, au sein du service social académique en faveur des personnels. Par une décision du 19 mars 2021, le recteur a décidé de l'affecter à un nouvel emploi à compter du 20 mars 2021. Mme A... relève appel du jugement du tribunal administratif de la Guyane du 22 juin 2023 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier de la première instance que, dans son mémoire en réplique enregistré le 25 mai 2023 et communiqué le même jour au recteur de l'académie de Guyane, Mme A... a soulevé un nouveau moyen de légalité externe tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905. Le tribunal n'a pas répondu à ce moyen, qui n'était pas inopérant. Il s'ensuit que la requérante est fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 22 juin 2023 est irrégulier et doit être annulé.
3. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande aux fins d'annulation de la décision du 19 mars 2021 du recteur de l'académie de Guyane présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de la Guyane.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 19 mars 2021 :
4. En premier lieu, Mme A..., fonctionnaire de l'État, ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article 41 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.
5. En deuxième lieu, un changement d'affectation revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
6. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la décision attaquée a eu pour objet de mettre un terme à la situation conflictuelle existant au sein du service social du rectorat de la Guyane en raison d'une mésentente persistante entre Mme A... et la responsable du service, compromettant le bon fonctionnement de celui-ci. D'autre part, si la requérante prétend que la décision d'affectation litigieuse a eu pour effet de la rétrograder puisqu'elle avait déjà exercé les fonctions d'assistante sociale au lycée Félix Eboué plus tôt dans sa carrière, entre 2006 et 2012, il ressort toutefois des pièces du dossier que sa nouvelle affectation n'est pas équivalente dès lors qu'elle est désormais positionnée sur un poste de responsable du service social en faveur des élèves du 1er degré dans un secteur comprenant trois établissements, le lycée Félix Eboué et les collèges de Maripasoula et Papaichton. Cet emploi est présenté dans le courriel du recteur annonçant la réorganisation du service social académique comme comportant des attributions relevant du métier de conseiller technique. Enfin, la requérante a conservé le niveau de rémunération afférant au premier grade de conseillère technique. Eu égard aux circonstances dans lesquelles le changement d'affectation est ainsi intervenu, et alors qu'aucun élément du dossier n'indique une volonté du recteur de sanctionner un comportement fautif de l'intéressée, la décision en litige est dépourvue de caractère disciplinaire. Par suite, les moyens tirés de ce que la mesure litigieuse constituerait une sanction disciplinaire déguisée et de ce que les garanties procédurales entourant une sanction de cette nature n'auraient pas été respectées ne peuvent qu'être écartés.
7. En troisième lieu, en vertu des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause.
8. La décision attaquée, fondée sur l'existence d'un conflit relationnel entre Mme A... et la responsable du service social académique, doit être regardée comme ayant été prise en considération de la personne de l'intéressée. Il ressort des pièces du dossier que la requérante a été informée de l'intention du recteur de procéder à sa mutation dans l'intérêt du service lors d'un entretien avec le directeur des ressources humaines qui a eu lieu le 25 février 2021. Elle a disposé, préalablement à l'édiction de la mesure litigieuse du 19 mars 2021, d'un délai suffisant pour demander la communication de son dossier. Ainsi, et alors même qu'elle n'aurait pas été informée de la possibilité d'une telle communication avant cette date, Mme A... a été mise à même de présenter une demande en ce sens. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 doit donc être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur état de santé (...) ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de (...) son état de santé, (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable./ Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés (...) ". Enfin, aux termes de l'article 4 de cette même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (...) ".
10. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que l'acte litigieux repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'acte contesté devant lui a été ou non pris pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
11. Pour établir la discrimination dont elle serait victime, Mme A... fait valoir que son état de santé s'oppose au port du masque sanitaire, susceptible d'être requis pour occuper son nouvel emploi, ce que ne pouvait ignorer le recteur, qu'elle avait saisi d'une demande tendant au bénéfice de journées de télétravail pour motif de santé. Cependant, alors au demeurant que Mme A... n'établit pas que son état de santé serait incompatible avec le port du masque sanitaire, la circonstance alléguée qu'elle ne pourrait exercer ses nouvelles fonctions pour ce motif ne caractérise pas, en tout état de cause, une discrimination au sens des dispositions précitées.
12. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins-de-non-recevoir opposées en défense, Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 19 mars 2021 par laquelle le recteur de l'académie de la Guyane a prononcé son changement d'affectation dans l'intérêt du service. Par suite, la requête doit être rejetée, en ce compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2101053 du 22 juin 2023 du tribunal administratif de la Guyane est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de la Guyane par Mme A... est rejetée, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la ministre de l'éducation nationale. Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Guyane et à la défenseure des droits.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La rapporteure,
Valérie RéautLe président,
Laurent Pouget Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02155