Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Pouquet a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la société publique locale de Brive et son agglomération (SPLBA), ou à défaut la communauté d'agglomération du bassin de Brive (CABB), à lui verser une somme de 213 153,91 euros hors taxes, soit 255 784,70 toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts, pour avoir été illégalement évincée du marché de construction de l'institut de formation en soins infirmiers.
Par un jugement n° 1901417 du 23 février 2023, le tribunal administratif de Limoges a condamné la communauté d'agglomération du bassin de Brive à lui verser une somme de 206 908,12 euros en ce compris la provision déjà obtenue d'un montant de 123 920 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 20 avril 2023 et le 26 octobre 2023, la communauté d'agglomération du bassin de Brive, représentée par Me Le Chatelier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 février 2023 ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande indemnitaire de la société Pouquet, à titre subsidiaire, de minorer l'indemnité versée au titre du manque à gagner et de rejeter la demande présentée au titre du chômage partiel ;
3°) de mettre à la charge de la société Pouquet une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'éviction de la société Pouquet était régulière ; son offre, bien que la note finale obtenue soit légèrement supérieure à celle attribuée à l'offre de l'entreprise Parouteau, n'était pas la mieux-disante ; elle a été écartée conformément aux principes posés à l'article L. 3 du code de la commande publique tendant à " assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics " ; l'appréciation du critère technique a conduit à un écart de notation d'un point et demi sur le seul sous-critère relatif aux mesures mises en œuvre pour la prise en compte de l'environnement et la gestion des déchets ; le prix de la société retenue était inférieur de 49 000 euros par rapport au prix de la société Pouquet ; c'est donc à tort que le tribunal a jugé irrégulière l'attribution du marché à la société la mieux-disante ;
- la phase de négociation s'est régulièrement déroulée, sans méconnaitre le principe de transparence de la commande publique ;
- l'offre de la société Parouteau n'était pas irrégulière puisqu'elle justifiait des compétences équivalentes aux qualifications Qualibat exigées ;
- subsidiairement, l'indemnité mise à sa charge doit être minorée ; d'une part, le préjudice relatif au manque à gagner, calculé sur la base d'un taux de marge avant impôt, a été surévalué dès lors qu'il est constant qu'un tel préjudice est la perte de marge nette, soit un taux de marge de 8 % ; d'autre part, le préjudice économique tenant au placement en chômage partiel de certains salariés, évalué à la somme de 34 814, 12 euros, ne relève pas de la catégorie des préjudices indemnisables au titre des conséquences d'une éviction irrégulière d'un marché et devra être écarté.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 septembre 2023 et un mémoire complémentaire enregistré le 25 juin 2024, non communiqué, la société Pouquet, représentée par la selarl BRG, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la CABB sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le marché devait lui être attribué ; l'attributaire d'un marché public est choisi au regard de l'offre économiquement la plus avantageuse qui, lorsque les critères d'appréciation sont pondérés, est évaluée globalement au regard de l'ensemble des critères analysés objectivement dont découlent une notation et un classement ; en attribuant discrétionnairement le marché à la candidate classée en second rang, le pouvoir adjudicateur a méconnu les critères qu'il a lui-même fixés et a manqué à son obligation de mise en concurrence ;
- la procédure de passation du marché est également viciée à raison de la violation de la confidentialité des offres au cours de la négociation qui découle nécessairement de la baisse du prix de l'offre de la société Parouteau de 13 % dans le but de proposer un prix légèrement inférieur à son prix ;
- la procédure de passation est encore viciée à raison de l'irrégularité de l'offre de la société Parouteau ; la CABB devait éliminer son offre à l'issue de la négociation en application de l'article 59 du décret du 25 mars 2016, et même avant, au stade du contrôle des candidatures, dès lors que cette société ne détenait pas les qualifications Qualibat n° 1312 et n° 2211 exigées ;
- elle a droit à l'intégralité du manque à gagner subi, outre les frais de présentation de son offre ; les justificatifs comptables qu'elle produit attestent du taux de marge avant impôt ; elle a également droit à la réparation d'un préjudice complémentaire résultant de l'autorisation d'activité partielle induite par la perte du marché.
Par une ordonnance du 24 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 28 juin 2024 à 12 heures.
Une note en délibéré a été enregistrée le 5 décembre 2024 pour la société Pouquet.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- les observations de Me Halpern, représentant la CABB,
- et les observations de Me Mouriesse, représentant la société Pouquet.
Considérant ce qui suit :
1. La société publique locale de Brive et son agglomération (SPLBA), agissant au nom et pour le compte de la communauté d'agglomération du bassin de Brive (CABB) en vertu d'un contrat de mandat signé le 13 septembre 2017, a lancé une procédure en vue de la passation d'un marché public de travaux alloti pour la construction du " pôle de formation santé " dans le campus universitaire de Brive-la-Gaillarde. Deux offres ont été présentées pour le lot n° 3 relatif aux travaux de terrassements et de gros œuvre. Après la phase de négociation et la présentation des offres finales, le pouvoir adjudicateur a attribué ce lot à la société Parouteau, classée en second rang. La société Pouquet a été informée du rejet de son offre par un courrier du 23 janvier 2019. En vue d'être indemnisée des préjudices résultant de son éviction qu'elle a estimée irrégulière, elle a saisi la SPLBA et la CABB de réclamations préalables respectivement reçues le 21 mai 2019 et le 6 septembre 2019. Par une ordonnance du 26 janvier 2021, le juge des référés a condamné la CABB à lui verser une provision d'un montant de 123 920 euros. Par un jugement du 23 février 2023, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande dirigée contre la SPLBA et a accueilli l'action dirigée contre la CABB en fixant le montant de la réparation due à la société Pouquet à la somme de 206 908,12 euros et le montant de la somme à lui verser, déduction faite de la provision, à la somme de 82 988,12 euros. La CABB relève appel de ce jugement en tant qu'il statue sur les conclusions dirigées à son encontre.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
2. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé peut engager un recours de pleine juridiction tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la procédure ayant conduit à son éviction. Il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 52 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " I. - Le marché public est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché public ou à ses conditions d'exécution. / Le lien avec l'objet du marché public ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément à l'article 38. / L'attribution sur la base d'un critère unique est possible dans des conditions fixées par voie réglementaire. / II. - Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence ".
4. Il résulte de l'instruction que le pouvoir adjudicateur a choisi d'analyser les offres au regard de trois critères pondérés. Le règlement de consultation a ainsi prévu que la valeur technique est prépondérante et représente 50 % de la notation, le prix et les délais d'exécution représentant respectivement 40 % et 10 % de cette notation. Selon le rapport d'analyse des offres, à l'issue de la procédure de négociation, l'offre finale de la société Pouquet pour un prix de 1 549 000 euros hors taxe (HT) a obtenu la note de 98,73/100 tandis que l'offre finale de la société Parouteau pour un prix de 1 500 000 euros hors taxe (HT) a obtenu la note de 98,50/100. En décidant d'attribuer le marché à cette société classée au second rang, la CABB a méconnu les règles qu'elle s'est elle-même données, définies dans le règlement de la consultation. Dès lors qu'elle n'avait pas opté pour une sélection des offres au regard du seul critère du prix et qu'il n'est ni allégué ni démontré que les critères de sélection des offres auraient été irrégulièrement appliqués, la CABB ne peut utilement faire valoir que son choix a consisté à privilégier l'offre la moins-disante de la société Parouteau qui n'a pas été classée au premier rang à l'issue de l'analyse des offres. Il s'ensuit qu'en attribuant le marché à la candidate classée au second rang, la CABB a méconnu les règles de la commande publique. Ainsi, quand bien même l'offre de la société Parouteau n'était pas irrégulière et la phase de négociation a été menée de manière transparente, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que la société Pouquet a été irrégulièrement évincée de la procédure de passation du marché public en litige.
5. En second lieu, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité.
6. Il résulte de l'instruction qu'après analyse de son offre en fonction des critères définis dans le règlement de la consultation, la société Pouquet, dont les garanties ne sont pas discutées, était classée au premier rang et avait donc une chance sérieuse d'être attributaire du marché public.
En ce qui concerne les préjudices :
7. Lorsque le candidat irrégulièrement évincé aurait eu des chances sérieuses d'être attributaire du marché, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il a droit, en outre, à être indemnisé de son manque à gagner et ce chef de préjudice inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
8. En premier lieu, le manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise. L'indemnité due à ce titre, qui est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être regardée comme un profit de l'exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l'impôt sur les sociétés. Il en résulte que le taux de marge retenu est le taux avant impôt.
9. Compte tenu du prix du marché établi à 1 549 000 euros HT et du taux de marge avant impôt de 11,11 %, tel qu'il résulte de l'attestation de son expert-comptable du 6 mai 2019, la réparation du préjudice subi par la société Pouquet au titre du manque à gagner s'établit à la somme de 172 094 euros HT, laquelle inclut nécessairement les frais de présentation de l'offre qui, en l'absence de stipulation contraire de l'acte d'engagement, n'ont pas à faire l'objet d'une indemnisation distincte.
10. En second lieu, le préjudice résultant du coût supporté par l'entreprise Pouquet en conséquence du placement en chômage partiel d'une partie de ses salariés au titre des mois d'avril à juin 2019 n'est pas une composante du manque à gagner résultant de la perte du marché et cette perte ne saurait être regardée comme en étant la cause déterminante. Par suite, ce préjudice, évalué à la somme de 34 814, 12 euros, ne peut être mis à la charge de la communauté d'agglomération du bassin de Brive, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal.
11. Il résulte de ce qui précède que la CABB est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges à mis à sa charge le versement à la société Pouquet d'une indemnité de 34 814, 12 euros. Il y a lieu de réformer le jugement attaqué du tribunal administratif de Limoges et de ramener la condamnation prononcée par le tribunal à la somme de 172 094 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts.
Sur les frais de l'instance :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la CABB sur le fondement de l'article L. 761 1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à la demande présentée au même titre par la société Pouquet.
DECIDE :
Article 1er : Le montant de l'indemnité due par la CABB à la société Pouquet est ramené à la somme de 172 094 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2019 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 6 septembre 2020.
Article 2 : Le jugement n° 1901417 du tribunal administratif de Limoges du 23 février 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la société Pouquet présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération du bassin de Brive et à la société Pouquet.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 décembre 2024.
La rapporteure,
Valérie Réaut
Le président,
Laurent PougetLe greffier
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au préfet de la Corrèze en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX01085 2