Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bio Propreté OI a demandé au tribunal administratif de la Réunion de condamner la région Réunion à lui verser la somme totale de 122 042,60 euros, assortie des intérêts moratoires, en règlement de ses prestations de nettoyage de locaux et de fourniture de consommables et matériels.
Par un jugement n° 2100378 du 23 novembre 2022, le tribunal administratif de la Réunion a condamné la région Réunion à verser à la société Bio Propreté OI la somme de 111 667,79 euros, majorée des intérêts moratoires à compter du 2 mars 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 janvier 2023, la région Réunion, représentée par Me Lafay, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 novembre 2022 du tribunal administratif de La Réunion ;
2°) de rejeter la demande de la société Bio Propreté OI ;
3°) de mettre à la charge de la société Bio Propreté OI la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que la minute n'est pas signée ;
- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction manifeste ;
- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit ;
- la demande de la société Bio Propriété OI est forclose ;
- la demande de la société Bio Propriété OI est infondée et injustifiée, dès lors qu'elle ne démontre pas la réalité des prestations qu'elle aurait réalisées pour la région.
La requête a été communiquée à la société Bio Propreté OI, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vincent Bureau,
- et les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Réunion Inter Services, devenue société Bio Propreté OI, a effectué à compter de novembre 2015 des prestations de nettoyage de locaux administratifs et de fourniture de consommables et matériels pour le compte de la région Réunion. Le marché public dont la société Bio Propreté OI était titulaire avait pour date d'échéance le 2 novembre 2019. Par un courrier du 25 novembre 2020, la société Bio Propreté OI a demandé à la région Réunion de lui régler la somme de 122 042,60 euros au titre des prestations qu'elle a effectuées postérieurement au 2 novembre 2019. Par un courrier du 2 février 2021, la région Réunion a rejeté cette demande. La région Réunion relève appel du jugement du 23 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de La Réunion l'a condamnée à verser à la société Bio Propreté OI la somme de 111 667,79 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement du 23 novembre 2022 a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation qui a été notifiée aux parties ne comporte pas ces signatures manuscrites est sans incidence sur la régularité du jugement.
3. En second lieu, si la région Réunion soutient que le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que les premiers juges l'ont condamnée au paiement des intérêts moratoires contractuels sur le fondement de l'article L. 2192-13 du code de la commande publique après avoir affirmé que la relation contractuelle entre la région Réunion et la société Bio propreté OI avait pris fin le 2 novembre 2019, un tel moyen, qui se rattache au bien-fondé du jugement, est sans incidence sur sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'existence d'un contrat :
4 D'une part, il résulte de l'instruction que le marché public dont la société Bio Propreté OI était titulaire avait pour date d'échéance le 2 novembre 2019 et que cette dernière a signé un projet d'avenant le 2 janvier 2020 afin de le prolonger jusqu'au 31 mars 2020 suite " aux différents déménagements et nouvelles affectations des services de la Région ", cela " afin de permettre aux services de la Région de lancer et d'attribuer le futur marché dans les meilleures conditions ". Si la région n'a pas signé cet avenant, il est constant qu'elle a émis quatre bons de commande entre le 20 novembre 2019 et le 20 juillet 2020 pour les prestations de nettoyage portant sur la période de novembre 2019 à mai 2020, pour un total de 109 667,79 euros toutes taxes comprises (TTC), et qu'elle a assuré le suivi de ces prestations en adressant diverses demandes à la société Bio Propreté OI, portant par exemple sur la fourniture de certains produits, sur l'absence de port de gants de la part de l'un ses employés, ou sur une invitation à " reprendre partiellement (...) le nettoyage ". En outre, il ressort d'un courrier du 11 février 2020 adressé à la société que la commission d'appel d'offre de la région, réunie le 29 octobre 2019, avait émis un avis favorable à la prolongation du marché jusqu'en mars 2020. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le marché public doit être regardé comme ayant été tacitement prolongé au-delà du 2 novembre 2019.
5. D'autre part, alors que le l'exécutif régional, en vertu de l'article L. 4231-8 du code général des collectivités territoriales, a pu consentir à la prorogation temporaire tacite du contrat, les circonstances que cette prorogation n'a pas donné lieu à une publicité préalable et à une mise en concurrence ne caractérisent pas des vices d'une gravité telle que le juge ne pourrait régler le litige sur le terrain contractuel.
En ce qui concerne la recevabilité du litige contractuel :
6. Aux termes de l'article 34.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux fournitures courantes et de services (CCAG/FCS) : " Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet de la part du titulaire d'un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu ". Aux termes de l'article 37 de ce cahier : " 37.1. Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. / 37.2. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. / 37.3. Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ".
7. D'une part, l'apparition d'un différend, au sens des stipulations précitées, entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. En revanche, en l'absence d'une telle mise en demeure, la seule circonstance qu'une personne publique ne s'acquitte pas, en temps utile, des factures qui lui sont adressées, sans refuser explicitement de les honorer, ne suffit pas à caractériser l'existence d'un différend au sens des stipulations précédemment citées.
8. D'autre part, il résulte des stipulations précitées de l'article 37 du CCAG/FCS que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. En revanche, dans l'hypothèse où l'acheteur a résilié unilatéralement le marché, puis s'est abstenu d'arrêter le décompte de liquidation dans le délai qui lui était imparti, si le titulaire ne peut saisir le juge qu'à la condition d'avoir présenté au préalable un mémoire de réclamation et s'être heurté à une décision de rejet, les stipulations de l'article 37 relatives à la naissance du différend et au délai pour former une réclamation ne sauraient lui être opposées.
9. Il résulte de l'instruction que le différend, au sens des stipulations citées ci-dessus de l'article 34 du CCAG-FCS, est né en l'espèce du courrier de la région Réunion en date du 2 septembre 2020 rejetant toute indemnisation sur le fondement contractuel en réponse aux factures que lui avaient adressées la société Bio Propreté OI. Si la région soutient que la société n'a transmis aucun mémoire en réclamation, il résulte également de l'instruction que par un courrier recommandé avec accusé de réception du 25 novembre 2020, que la région ne conteste pas avoir réceptionné, la société a contesté ce refus au motif qu'elle a réalisé les prestations considérées à la demande de la région, tout en joignant de nouveau les factures. Dans ces conditions, ce courrier, adressé moins de 2 mois après la naissance du différend, doit être regardé comme un mémoire en réclamation au sens du CCAS-FG et la région Réunion n'est pas fondée à soutenir que la demande de la société Bio Propriété OI était forclose.
En ce qui concerne les droits à réparation :
S'agissant des prestations réalisées :
10. Si la région Réunion soutient que la société Bio Propreté OI ne démontre pas avoir assuré les prestations prévues au marché après le 2 novembre 2019, il résulte de l'instruction que ladite région a établi quatre bons de commande entre le 20 novembre 2019 et le 20 juillet 2020 pour les prestations de nettoyage portant sur la période de novembre 2019 à mai 2020, et qu'elle a activement assuré le suivi de ces prestations, ainsi qu'en attestent des courriels adressant diverses demandes à l'entreprise portant par exemple sur la fourniture de certains produits, sur l'absence de port de gants de la part de l'un ses employés, ou sur une invitation à " reprendre partiellement (...) le nettoyage ". La circonstance que la société n'ait pas remis à la région les fiches d'autocontrôle prévues par les articles 8.3 et 8.4 du cahier des clauses particulières, ainsi que ses attestations fiscales et sociales, est sans incidence sur la réalité des prestations réalisées et sur le droit de la société au paiement de ces dernières. En outre, si la région se prévaut de l'arrêt des prestations durant le confinement provoqué par la pandémie de covid-19, de mars à mai 2020, il est constant qu'elle a émis en juillet 2020 des bons de commande portant sur cette période. Par suite, la région Réunion n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à verser à la société Bio Propreté OI, au titre des prestations de nettoyage effectivement effectuées, la somme correspondant au montant total des quatre bons de commande qu'elle a émis, qui s'établit non pas à 106 667,79 euros comme l'a retenu par erreur le tribunal administratif, mais à 109 667,79 euros.
S'agissant des achats de matières premières :
11. Si la région a demandé à la société requérante de lui fournir un certain nombre de produits précisément désignés, il résulte de l'instruction que les matières premières étaient comprises dans le prix unitaire. Par suite, la région Réunion est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à verser à la société Bio Propreté OI la somme de 5 000 euros au titre de l'achat de matières premières.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que la région Réunion a été condamnée à verser à la société Bio Propreté OI doit être ramenée de 111 667,79 euros à 109 667,79 euros.
Sur les frais liés au litige :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La région Réunion est condamnée à verser à la société Bio Propreté OI la somme de 109 667,79 euros.
Article 2 : Le jugement n° 2100378 du 23 novembre 2022 du tribunal administratif de la Réunion est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Réunion et à la société Bio Propreté OI.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Vincent Bureau, conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 décembre 2024.
Le rapporteur,
Vincent Bureau
Le président,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au préfet de la Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00263