Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 9 mai 2023 par laquelle le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial présentée au bénéfice de son épouse, ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 2305564 du 5 avril 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 juin 2024, M. B..., représenté par Me Dufraisse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 9 mai 2023, ensemble la décision de rejet de son recours hiérarchique ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde d'autoriser le regroupement familial sollicité au bénéfice de son épouse dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à défaut procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision litigieuse est entachée d'un défaut de motivation notamment en ce qu'elle ne mentionne aucun élément chiffré et ne comporte aucune précision permettant de s'assurer de la prise en compte des pièces complémentaires produites ;
- le préfet a retenu à tort qu'il ne justifiait pas disposer des ressources suffisantes au regard des dispositions de l'article R. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit en retenant que ses ressources devaient être appréciées à la date du dépôt de sa demande ; la seule date prévue par les textes est celle de l'enregistrement de la demande lorsque le dossier est complet ;
- la décision du préfet est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il remplit l'ensemble des conditions nécessaires pour qu'il soit fait droit à sa demande ;
- cette décision méconnait en outre l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 novembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il indique s'en remettre à ses écritures de première instance.
A la demande de la cour, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, M. B... a produit un mémoire et des pièces le 9 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1598 du 16 décembre 2020 ;
- le décret n° 2021-1741 du 22 décembre 2021 ;
- l'arrêté du 27 septembre 2021 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance ;
- l'arrêté du 19 avril 2022 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance ;
- l'arrêté du 29 juillet 2022 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Kolia Gallier Kerjean a été entendu au cours de l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kolia Gallier Kerjean,
- et les observations de Me Dufraisse, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 9 mars 1995, est entré sur le territoire français en 2011. Il s'est vu délivrer une carte de résident valable jusqu'au 29 mai 2023 qui a été renouvelée, le 27 juillet 2023, pour une durée de dix ans. Le 27 septembre 2020, il a épousé en Tunisie Mme C... D..., également ressortissante tunisienne. M. B... a adressé aux services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le 11 février 2022, une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse. Par une décision du 9 mai 2023, le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à cette demande. M. B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation de cette décision ainsi que celle de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique. Il relève appel du jugement du 5 avril 2024 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. En premier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le requérant ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur de droit qu'aurait commis les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.
3. En deuxième lieu, M. B... reprend en appel le moyen qu'il avait invoqué en première instance tiré de l'insuffisante motivation de la décision attaquée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Bordeaux au point 2 de son jugement.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans (...) ". L'article L. 434-7 du même code dispose : " L'étranger qui en fait la demande est autorisé à être rejoint au titre du regroupement familial s'il remplit les conditions suivantes : / 1° Il justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille (...) ". Selon l'article L. 434-8 du même code : " Pour l'appréciation des ressources mentionnées au 1° de l'article L. 434-7 toutes les ressources du demandeur et de son conjoint sont prises en compte, indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. / Ces ressources doivent atteindre un montant, fixé par décret en Conseil d'Etat, qui tient compte de la taille de la famille du demandeur et doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième (...) ". Aux termes de l'article R. 434-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 434-7, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : / 1° Cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes ; (...) ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le caractère suffisant du niveau de ressources du demandeur est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette même période, même si, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande. Seule la présentation d'un dossier complet permet la délivrance par l'administration de l'attestation de dépôt de la demande de regroupement familial et détermine la date à partir de laquelle doit être apprécié le caractère suffisant des ressources. En outre, en application du décret du 16 décembre 2020 portant relèvement du salaire minimum de croissance, le montant mensuel brut du salaire minimum interprofessionnel de croissance était de 1 554,58 euros pour l'année 2021, porté à 1589,47 euros mensuels à compter du 1er octobre 2021 par l'arrêté du 27 septembre 2021 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance, à
1 603,12 euros mensuels à compter du 1er janvier 2022 par le décret du 22 décembre 2021 portant relèvement du salaire minimum de croissance, puis à 1 645,58 euros mensuels à compter du 1er mai 2022 par l'arrêté du 19 avril 2022 relatif au relèvement du salaire minimum de croissance.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, saisi d'une demande datée du
11 février 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a enregistré le dossier complet de M. B... le 26 août 2022. Ainsi, le caractère suffisant du niveau de ressources de l'intéressé doit être apprécié sur la période de douze mois précédant cette date, soit du mois d'août 2021 au mois de juillet 2022. Il ressort des bulletins de paye produits par le demandeur que ses ressources, au sens et pour l'application des dispositions précitées, doivent être évaluées à 1 216 euros net par mois, ce qui est inférieur à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance net sur cette période qui s'élève à 1 268 euros. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que le préfet aurait fait une inexacte application des dispositions précitées au point 4 et entaché la décision litigieuse d'une erreur d'appréciation doivent être écartés.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Si l'autorité administrative peut légalement rejeter une demande de regroupement familial sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle ne peut le faire qu'après avoir vérifié que, ce faisant, elle ne porte pas une atteinte excessive au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. M. B... se prévaut de l'ancienneté de son séjour en France et de l'impossibilité de s'engager dans sa vie professionnelle par un contrat à durée indéterminée qui lui laisserait des congés insuffisants pour rendre visite à son épouse. Toutefois, il ne justifie pas d'une opportunité sérieuse de contrat à durée déterminée à laquelle il aurait dû renoncer et il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce que l'intéressé continue de rendre visite à son épouse en Tunisie et à ce que celle-ci séjourne temporairement en France auprès de lui sous couvert d'un visa de court séjour. Dans ces conditions, le préfet n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel l'arrêté litigieux a été édicté et le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée en toutes ses conclusions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier Kerjean, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
Kolia Gallier KerjeanLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24BX01345 2