Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné en l'absence de départ volontaire.
Par un jugement n° 2401476 du 4 juillet 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a renvoyé les conclusions de la requête de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 29 mai 2024 par laquelle le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, ainsi que les conclusions accessoires qui s'y rapportent, devant une formation de jugement collégiale du tribunal administratif et annulé les décisions du 29 mai 2024 par lesquelles le préfet de la Vienne a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2024, le préfet de la Vienne demande à la cour d'annuler ce jugement n° 2401476 du tribunal administratif de Poitiers du 4 juillet 2024.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé la magistrate du tribunal, la mesure d'éloignement qu'il a édictée, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de la durée de la présence en France de l'intéressé, de ses liens personnels et familiaux en France, de ses attaches dans son pays d'origine, de ses conditions d'existence et de son insertion dans la société française ;
- par la voie de l'effet dévolutif, les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal doivent être écartés.
Par ordonnance du 10 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 octobre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Nicolas Normand a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant surinamien né en 1992, est entré en France la même année et a résidé en Guyane jusqu'en mai 2013, date à laquelle il serait entré, selon ses déclarations, sur le territoire métropolitain. Entre octobre 2011 et octobre 2021, il a été titulaire de plusieurs cartes de séjour. Incarcéré le 10 septembre 2021, il n'a pas sollicité le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle d'une durée de cinq ans qui avait expiré le 10 octobre 2021. Le 12 mars 2024, M. A... a été placé sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique au domicile de sa sœur à Poitiers. Le 10 avril 2024, il a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 29 mai 2024, le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être renvoyé. Le préfet de la Vienne relève appel du jugement du 4 juillet 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a prononcé l'annulation des décisions du 29 mai 2024 par lesquelles il a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. En application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser de délivrer un titre de séjour à un ressortissant étranger, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision serait prise.
4. Il ressort tant de la fiche pénale produite par le préfet de la Vienne que du jugement lui-même, prononcé le 16 novembre 2023, par le tribunal judiciaire de Paris, que M. A... a été écroué le 10 septembre 2021 et condamné à une peine d'emprisonnement de 4 ans pour des faits, commis en août 2021, de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement et arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes suivis de libération avant le 7ème jour et refus de remettre aux autorités judiciaires ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie. S'il ressort de cette même fiche pénale que les infractions ayant donné lieu à cette condamnation ont été " corrigées " le 5 avril 2024, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette " correction " révèlerait, comme l'a estimé à tort la magistrate désignée, que " la nature des faits effectivement commis par M. A... n'est pas, en l'état, établie par les pièces du dossier ", alors que le jugement précité du tribunal judiciaire de Paris, produit pour la première fois devant le juge d'appel, confirme la réalité et la nature de l'infraction commise par M. A.... Compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction commise, ainsi que de son caractère récent, et alors en outre, qu'il ressort de mentions figurant dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ), non contestées, que l'intéressé est défavorablement connu des services de police pour des faits d'usage et détention de stupéfiants (2014, 2015 et 2021), de violences habituelles suivies d'incapacité n'excédant pas 8 jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, commises entre 2015 et 2019, de menace de mort réitérée commise en 2019 par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, de tentative de viol réitérée commise en 2019 par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et de vol en réunion commis en 2021, la présence de M. A... sur le territoire français constitue, ainsi que l'a estimé le préfet de la Vienne dans la décision attaquée, une menace à l'ordre public. Ce constat n'est pas infirmé par la décision du juge d'application des peines du tribunal judiciaire de Nanterre en date du 29 février 2024 qui a accordé à l'intéressé une libération conditionnelle à compter du 12 mars 2024 sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique avec obligation d'exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation après avoir relevé que M. A... n'avait jamais été incarcéré ou condamné auparavant, qu'il avait intégré depuis décembre 2023 le " module respect ", régime de détention dans lequel le détenu bénéficie d'une plus grand liberté, qu'il avait participé à de nombreuses activités en détention et qu'il avait mis en place des versements volontaires à ses victimes.
5. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que M. A... qui est entré en Guyane avec son père, en 1992, à l'âge de 1 mois, a effectué toute sa scolarité dans ce département français d'outre-mer, où résident d'ailleurs toujours son père et l'une de ses sœurs, qu'il justifie, à la date de l'arrêté attaqué, avoir résidé de façon habituelle et continue en France pendant 10 ans sous couvert de titres de séjour régulièrement délivrés sur la période courant du 11 octobre 2011 au 20 octobre 2021, a obtenu un CAP " Préparation et réalisation d'ouvrages électriques " en juin 2010, qu'il justifie encore qu'une autre sœur réside en métropole et l'héberge et qu'il a exercé une activité professionnelle en qualité d'électricien en Guyane en 2013 et 2014 puis, après son déménagement en métropole, en Seine-Maritime de 2014 à 2019. En outre, il est le père d'un enfant français né en 2018, issu de son union avec une ressortissante française rencontrée en Guyane en 2012 et avec laquelle il a vécu jusqu'à leur séparation en 2020. Si l'intéressé a reconnu lors de son audition devant les services de police le 29 mai 2024 que son ancienne compagne disposait à l'amiable, avant même son incarcération, de la garde effective de l'enfant, il ressort néanmoins des pièces du dossier et notamment d'une attestation de la mère de l'enfant en date du 31 mai 2024 et de justificatifs de voyage en train entre Paris et Rouen que M. A... entretient de réels liens affectifs avec son enfant et que, depuis qu'il exécute sa détention à domicile sous surveillance électronique, soit le 12 mars 2024, M. A... s'est rendu à trois reprises, aux mois de mai, juin et juillet, dans le département de la Seine-Maritime où réside son fils et contribue ainsi, dans les limites de ses possibilités, à l'entretien et à l'éducation de celui-ci. Dans ces conditions, dans les circonstances de l'espèce, alors même que M. A... s'est maintenu en situation irrégulière après l'expiration de son dernier titre de séjour le 10 octobre 2021 et jusqu'à sa demande de titre de séjour déposée le 10 avril 2024, qu'il est sans ressources et qu'il n'était pas en situation régulière sur le territoire français durant sa période d'incarcération de 2 ans et 8 mois, le préfet de la Vienne, en prononçant une mesure d'éloignement à son encontre, a porté à sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision a été prise et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Vienne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé ses décisions du 29 mai 2024 par lesquelles il a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Vienne est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe 18 décembre 2024.
Le rapporteur,
Nicolas Normand
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01884