Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les arrêtés du 12 août 2024 par lesquels la préfète des Deux-Sèvres a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et les a assignés à résidence pour une durée de 45 jours.
Par un jugement n°s 2402275, 2402276 du 6 septembre 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé ces arrêtés, a enjoint à la préfète des Deux-Sèvres de délivrer à M. F... et à Mme E... des cartes de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à leur conseil.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 27 septembre 2024 sous le n° 24BX02325, la préfète des Deux-Sèvres demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 6 septembre 2024 ;
2°) de rejeter les demandes de M. F... et Mme E....
Elle soutient que :
En ce qui concerne les arrêtés pris dans leur ensemble :
- leur signataire disposait d'une délégation de signature régulièrement publiée ;
- ils comportent les considérations de fait et de droit qui les fondent et sont ainsi suffisamment motivés.
En ce qui concerne les refus de titres de séjour :
- ils ne méconnaissent ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les articles L. 423-23 et
L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les liens personnels et familiaux de M. F... et Mme E... ne sont caractérisés ni par leur ancienneté ni par leur stabilité, compte tenu de leur présence relativement récente sur le territoire, de leur maintien irrégulier et du fait que le frère et la mère de Mme E... n'ont pas souhaité produire de témoignages lors de la demande d'admission au séjour ; leur insertion sociale et professionnelle en France reste limitée ; la cellule familiale pourrait se reconstituer en Arménie, pays au sein duquel ils n'établissent pas être dépourvus d'attaches, ou dans un autre pays vers lequel ils seraient légalement admissibles.
En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français sans délai et les interdictions de retour sur le territoire français :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ces décisions ne portent pas atteinte à l'intérêt supérieur des enfants mineurs du couple ; ils n'ont pas sollicité de titres de séjour en qualité de " parents d'enfant malade " et ne l'ont pas informé de la situation de handicap de leur fils A... à l'occasion de leurs demandes de titres ; ils ne démontrent pas que les soins requis par l'état de santé de cet enfant ne seraient pas disponibles en Arménie et, s'agissant de leur fille B..., n'apportent aucun élément attestant d'un suivi médical actuel en raison de sa naissance prématurée.
En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français sans délai, les décisions fixant le pays de renvoi et les interdictions de retour sur le territoire français :
- elles ne méconnaissent pas les articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les intéressés n'ont pas exécuté une précédente mesure d'éloignement et n'ont pas respecté les obligations de pointage résultant d'une précédente mesure d'assignation à résidence ;
- leur situation ne permet pas d'établir l'existence de circonstances humanitaires, au sens de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, justifiant l'absence d'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français ; la durée des interdictions de retour contestées ne porte pas une atteinte disproportionnée à leur droit de mener une vie privée et familiale normale ;
- ils n'établissent pas être exposés à un risque de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Arménie, et leur éloignement ne méconnaît donc pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ces décisions ne méconnaissent pas l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
En ce qui concerne les mesures d'assignation à résidence :
- les démarches nécessaires avec les autorités arméniennes pour coordonner l'éloignement de M. F... et Mme E... ont été initiées par ses services dès le 19 août 2024 ; leur éloignement du territoire demeure une perspective raisonnable au regard de l'absence de justification d'obstacles à leur départ ;
- les modalités des assignations à résidence, incluant le pointage régulier et la remise de passeports, ne caractérisent pas une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2024 M. F... et
Mme E..., représentés par Me Masson, demandent à la cour :
1°) de les admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de rejeter la requête de la préfète des Deux-Sèvres ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à leur conseil, de la somme de
2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- c'est à bon droit que le tribunal a annulé l'arrêté attaqué sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; la MDPH a reconnu à A... un taux d'incapacité compris entre 50 % et 80 % par une décision en date du 13 novembre 2023 ; ils bénéficient de l'AEEH et d'une aide humaine qui accompagne A... dans le cadre de sa scolarité ; un retour en Arménie ferait obstacle à ce qu'Aram puisse poursuivre à un suivi psychologique et orthophonique similaire à celui dont il bénéficie en France et entraînerait une rupture dans les soins préjudiciables aux progrès en cours ; A... a toujours vécu en France ;
- les décisions portant refus de titre de séjour sont insuffisamment motivées et révèlent un défaut d'examen approfondi de leur situation ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils résident en France depuis huit ans avec leurs trois enfants et y ont noué des attaches amicales importantes ; leur fille B... fait l'objet d'un suivi hospitalier en raison de sa prématurité ; M. F... bénéficie d'une promesse d'embauche par le groupement d'employeur Gen79 Emploi en qualité de soudeur armaturier ; ils ne disposent plus d'aucune attache en Arménie ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 435-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont illégales en raison de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaissent les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; ils justifient d'une résidence effective et permanente et leur situation justifie qu'un délai de départ volontaire leur soit accordé ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions fixant le pays de renvoi sont illégales en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;
- elles sont insuffisamment motivées ;
- elles méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an sont insuffisamment motivées et méconnaissent l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions portant assignation à résidence sont illégales en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;
- elles sont insuffisamment motivées et révèlent un défaut d'examen approfondi de leur situation ; elles sont entachées d'une erreur dans l'appréciation de leur situation, la fréquence avec laquelle il doit se présenter au commissariat étant trop contraignante n'est pas justifiée par des raisons objectives.
M. F... et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 5 décembre 2024.
II. Par une requête enregistrée le 27 septembre 2024 sous le n° 24BX02326, la préfète des Deux-Sèvres demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement n°s 2402275, 2402276 rendu par le tribunal administratif de Poitiers le 6 septembre 2024.
Elle soutient que les moyens qu'elle invoque, identiques à ceux exposés au soutien de la requête n° 24BX02325, sont sérieux et de nature à justifier l'annulation de ce jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées à l'appui de la demande soumise aux premiers juges.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2024, M. F... et
Mme E..., représentés par Me Masson, demandent à la cour :
1°) de les admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de rejeter la requête de la préfète des Deux-Sèvres ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à leur conseil, de la somme de
2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- la préfète des Deux-Sèvres n'apporte aucun élément venant motiver sa demande de sursis à exécution ni de raison justifiant une telle demande ; elle se borne à reprendre sa requête d'appel visant à l'annulation du jugement ;
- les moyens soulevés ne sont pas sérieux ;
- malgré les injonctions prononcées par le tribunal, et en dépit d'une demande en ce sens, ils n'ont été mis en possession que d'une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'au 25 décembre 2024, alors que le tribunal avait enjoint à la préfète de leur délivrer des titres de séjour.
M. F... et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 5 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Antoine Rives a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... et Mme E..., ressortissants arméniens, sont entrés en France respectivement le 23 juin 2017 et le 17 décembre 2016. Le 22 novembre 2023, ils ont sollicité auprès de la préfète des Deux-Sèvres la délivrance de cartes de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par deux arrêtés du 12 août 2024, la préfète des Deux-Sèvres a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par deux autres arrêtés du même jour, elle les a assignés à résidence pour une durée de 45 jours. Par un jugement du
6 septembre 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé ces quatre arrêtés, a enjoint à la préfète des Deux-Sèvres de délivrer à M. F... et à Mme E... des cartes de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à leur conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 24BX02325, la préfète des Deux-Sèvres relève appel de ce jugement et, par la requête n° 24BX02326, elle demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces deux requêtes étant présentées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ".
3. M. F... et Mme E... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 5 décembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle, leurs conclusions tendant à leur admission provisoire à cette aide sont sans objet.
Sur la requête n° 24BX02325 :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
4. Pour annuler les arrêtés litigieux, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a retenu que la préfète des Deux-Sèvres, en opposant un refus de séjour à M. F... et Mme E..., avait méconnu l'intérêt supérieur de leur fils A....
5. Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".
6. Il ressort des pièces médicales produites au dossier, notamment du compte rendu de bilan orthophonique et d'un rapport de suivi établi par un psychologue que le fils aîné des intéressés, A... E... né le 5 juillet 2017, souffre de troubles spécifiques du langage oral de type dysphasie se manifestant par un déficit phonologique majeur impactant l'ensemble des capacités verbales et par un lexique limité. Son handicap a été évalué entre 50 et 80 % par la maison départementale des personnes handicapées, qui a reconnu la nécessité d'un recours à un dispositif de scolarisation adapté ou d'accompagnement et à des soins, tout en précisant qu'au regard de son âge, son autonomie était conservée pour les actes élémentaires de la vie quotidienne. Toutefois, s'il bénéficie effectivement de l'assistance d'un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) dans le cadre de sa scolarité en école primaire et d'un suivi orthophonique et psychologique régulier, aucune des pièces produites par M. F... et Mme E... ne permettent d'établir, ainsi d'ailleurs que le fait valoir la préfète, qu'une prise en charge appropriée aux troubles A... serait indisponible en Arménie. En outre, il n'est pas davantage établi que le suivi pédiatrique régulier dont bénéficie leur plus jeune enfant, B..., née prématurée en 2022, ne pourrait pas se poursuivre dans leur pays d'origine. Par suite, la préfète des Deux-Sèvres est fondée à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a estimé que le refus de titre de séjour méconnaissait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
7. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par
M. F... et Mme E... devant le tribunal administratif et la cour.
En ce qui concerne les autres moyens :
S'agissant du moyen commun aux décisions attaquées :
8. M. Patrick Vautier, secrétaire général de la préfecture des Deux-Sèvres, a reçu délégation de signature de la préfète par un arrêté du 18 juillet 2024, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour, à l'effet de signer tous arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département des Deux Sèvres, à l'exception de certains actes parmi lesquels ne figurent pas les décisions en matière de police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés attaqués doit être écarté.
S'agissant des refus de titre de séjour :
9. En premier lieu, les décisions contestées visent les textes sur lesquels s'est fondée la préfète des Deux-Sèvres et, notamment, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. La préfète des Deux-Sèvres fait notamment état des conditions d'entrée sur le territoire des intéressés, du rejet de leur demande d'asile, de leur soustraction à une précédente mesure d'éloignement, et procède à l'examen de leur situation personnelle et familiale. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7,
L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / (...). " Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
11. Si M. F... et Mme E... se prévalent d'une durée de présence en France de sept ans, il ressort des pièces du dossier que la durée de leur séjour sur le territoire français est en grande partie liée à l'examen de leur demande d'asile, qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), ainsi qu'à leur refus de déférer à une mesure d'éloignement dont ils ont chacun fait l'objet au cours de l'année 2018. En outre, ils n'ont pas davantage respecté l'obligation de pointage découlant des arrêtés d'assignation à résidence prononcés à leur encontre le 25 avril 2019. Hormis la présence à leurs côtés de leurs trois enfants nés en France, ils ne justifient d'aucun autre lien familial particulièrement ancien et intense sur le territoire et, en particulier, ne démontrent pas, par la seule production d'une attestation du frère de Mme E... postérieure aux décisions contestées, la réalité des liens qu'ils allèguent entretenir avec lui ainsi qu'avec la mère de Mme E..., laquelle se maintient irrégulièrement en France. S'ils font état d'engagements associatifs multiples, notamment au sein des communautés Emmaüs et " restos du cœur " et, s'agissant de M. F..., d'une promesse d'embauche en contrat à durée déterminée pour un emploi de soudeur, ces éléments ne suffisent pas à caractériser, eu égard notamment aux conditions de leur séjour, une insertion particulièrement notable dans la société française. Enfin, ainsi qu'il a été exposé, il n'est pas établi que la continuité des différentes prises en charge dont bénéficient A... et B... serait impossible ou même compromise en Arménie. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent être accueillis.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...). ".
13. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, les éléments dont se prévalent M. F... et Mme E... ne suffisent pas à caractériser des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifiant la délivrance d'un titre de séjour au titre des dispositions précitées.
S'agissant des obligations de quitter le territoire français :
14. Il résulte de ce qui précède que M. F... et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions portant obligation de quitter le territoire français seraient illégales en conséquence de l'illégalité des décisions de refus de titre de séjour.
15. Pour les motifs exposés aux points 6 et 11, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peuvent être accueillis.
S'agissant des décisions portant refus d'un délai de départ volontaire :
16. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de son article L. 612-3 : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ".
17. Pour refuser un délai de départ volontaire à M. F... et Mme E... la préfète des Deux-Sèvres s'est fondée sur leur absence de résidence effective et permanente en France et sur une précédente soustraction à l'exécution d'une mesure d'éloignement.
18. Ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, les intéressés justifiaient, à la date des décisions contestées, d'une adresse effective et permanente à Thouars, alors même que le logement occupé était mis à leur disposition par une association. Dès lors, ils n'entraient pas dans le champ des dispositions précitées du 8° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, ainsi qu'il a été précédemment exposé,
M. F... et Mme E... se sont soustraits à l'exécution d'une mesure d'éloignement dont ils avaient chacun été destinataire au cours de l'année 2018. Ils entraient dès lors dans le champ du 5° de l'article L. 612-3 précité. Il résulte de l'instruction que la préfète des Deux-Sèvres aurait pris les mêmes décisions si elle s'était fondée sur ce seul motif. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles L.612-2 et L.612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
S'agissant des décisions fixant le pays de renvoi :
19. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. F... et
Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions fixant le pays de renvoi seraient illégales en conséquence de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français.
20. En deuxième lieu, les décisions fixant le pays de renvoi visent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles L. 721-3 à L. 721-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionnent le rejet définitif des demandes d'asiles des requérants par la Cour nationale du droit d'asile. Alors que M. F... et Mme E... n'établissent ni même n'allèguent avoir fait état auprès de la préfète d'éventuels traitements inhumains ou dégradants qu'ils seraient susceptibles de subir dans leur pays d'origine, aucune motivation spécifique sur ce point n'était nécessaire. Par suite, ces décisions satisfont à l'exigence de motivation en droit et en fait prescrite par les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
21. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
22. En se bornant à soutenir qu'ils seraient isolés en cas de retour dans leur pays d'origine et à se prévaloir de la durée de leur séjour en France, M. F... et
Mme E... n'établissent pas qu'ils seraient exposés à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
S'agissant des interdictions de retour sur le territoire français :
23. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
24. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
25. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
26. En premier lieu, la préfète a précisé dans les arrêtés litigieux la durée du séjour des deux intéressés en France, a relevé qu'ils n'établissent pas y avoir tissé des liens personnels intenses hors de leur cellule familiale, qu'ils ne justifient ni d'une ancienneté de travail ni d'un niveau de maîtrise de la langue française, et qu'ils ont chacun fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, qu'ils n'ont pas exécutée. Par suite, cette motivation atteste de la prise en compte par la préfète des Deux-Sèvres, au vu de la situation des intéressés, de l'ensemble des critères prévus par la loi. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français seraient insuffisamment motivées en fait doit être écarté.
27. En second lieu, si M. F... et Mme E... se prévalent de leur insertion en France et de la scolarisation de leurs enfants, notamment celle A..., qui bénéficie d'aménagements adaptés à son handicap, ces éléments ne caractérisent pas une circonstance humanitaire faisant obstacle au prononcé d'une telle interdiction dès lors, notamment, qu'il n'est pas établi que la scolarité A... ne pourrait pas se poursuivre selon des modalités adaptées à ses troubles en Arménie. Ainsi, en retenant l'absence de circonstances humanitaires justifiant qu'une interdiction de cette nature ne soit pas prononcée, la préfète des Deux-Sèvres n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article
L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
S'agissant des mesures d'assignation à résidence :
28. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. F... et
Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions portant assignation à résidence seraient illégales en conséquence de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français.
29. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; / (...). ".
30. En deuxième lieu, les décisions visent notamment les articles L. 731-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indiquent que les intéressés ont fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai et que, s'ils ne peuvent quitter immédiatement le territoire compte tenu de la nécessité de prévoir l'organisation matérielle de leur départ, par l'obtention d'un laissez-passer et la mise en œuvre d'un " routing " destiné à faciliter leur retour vers leur pays d'origine, leur éloignement demeure une perspective raisonnable. Ces motivations, qui sont suffisantes au regard des exigences prévues par l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, révèlent en outre que la préfète des Deux-Sèvres a procédé à un examen particulier de la situation de M. F... et de Mme E.... Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier doivent, dès lors, être écartés.
31. En troisième lieu, si les intéressés font valoir que la préfète n'établit pas que leur éloignement demeurerait une perspective raisonnable, il ressort des pièces du dossier que les services préfectoraux ont saisi le consul général d'Arménie par deux courriers du 19 août 2024 aux fins d'obtenir un laissez-passer consulaire en vue de leur éloignement, ce qui justifie des diligences effectuées pour l'exécution des mesures d'éloignement édictées à l'encontre de
M. F... et Mme E....
32. En dernier lieu, en se bornant à indiquer qu'ils doivent emmener quotidiennement leurs trois enfants à l'école ou à la crèche et, ponctuellement, à des rendez-vous médicaux,
M. F... et Mme E... n'établissent pas que les modalités d'assignation à résidence retenues par la préfète des Deux-Sèvres porteraient une atteinte disproportionnée à leur droit de mener une vie privée et familiale normale. La circonstance qu'ils sont contraints de remettre leurs passeports à Niort, alors qu'ils résident à Thouars, à plus de 80 km, n'est pas non plus de nature à entacher l'arrêté d'illégalité.
33. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète des Deux-Sèvres est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a, d'une part, annulé les arrêtés du 12 août 2024 en tant qu'ils refusent la délivrance d'un titre de séjour à M. F... et Mme E..., leur font obligation de quitter le territoire français sans délai, prononcent à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et les assignent à résidence pour une durée de 45 jours et, d'autre part, lui a enjoint de leur délivrer des titres de séjour et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à leur conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n° 24BX02326 :
34. Dès lors qu'il est statué, par le présent arrêt, sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2402275-2402276 du 6 septembre 2024 du tribunal administratif de Poitiers, les conclusions de la préfète des Deux-Sèvres tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
35. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. F... et
Mme E... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. F... et Mme E... tendant à leur admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le jugement n°s 240227,2402276 du 6 septembre 2024 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 3 : Les demandes de première instance de M. F... et Mme E... et le surplus de leurs conclusions d'appel sont rejetés.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24BX02326 de la préfète des Deux-Sèvres tendant au sursis à l'exécution du jugement n° 2402275-2402276 du 6 septembre 2024 du tribunal administratif de Poitiers.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., Mme D... E..., au ministre de l'intérieur et à Me Masson. Une copie en sera adressée à la préfète des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2024.
Le rapporteur,
Antoine Rives
La présidente,
Catherine Girault
Le greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24BX02325, 24BX02326