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12/12/2024 | FRANCE | N°22BX02366

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 12 décembre 2024, 22BX02366


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Penne d'Agenais l'a suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du même jour.



Par un jugement n° 2105647 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision en tant qu'elle prévoit une entrée en vigueur au 21 septembre 2021 et a rejeté le surplus de ses conclusions

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Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Penne d'Agenais l'a suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du même jour.

Par un jugement n° 2105647 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision en tant qu'elle prévoit une entrée en vigueur au 21 septembre 2021 et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 août 2022, le 14 mars 2023 et le

11 mai 2023, le centre hospitalier de Penne d'Agenais, représenté par Me Munier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en retenant le vice de procédure, les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'erreur d'appréciation et d'erreur de fait dès lors que Mme C...

n'était pas en congé de maladie à la date de la décision contestée ;

- les moyens relatifs à l'irrégularité du jugement attaqué ne sont pas fondés ; le Conseil d'Etat a déjà écarté des moyens identiques, tirés de l'inconventionnalité et de l'inconstitutionnalité du principe de l'obligation vaccinale ;

- la décision contestée a été signée par la directrice adjointe, qui disposait d'une délégation de signature régulièrement publiée ;

- la décision contestée ne constitue ni une sanction, ainsi que l'a déjà jugé le Conseil d'Etat, ni une sanction déguisée, de sorte que Mme C... ne peut utilement invoquer les articles 81 et 82 de la loi du 9 janvier 1986 et les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle ne constitue pas davantage une mesure de police administrative ;

- la légalité d'une mesure de suspension de fonctions prise sur le fondement de la loi du

5 août 2021 n'est pas subordonnée à la production d'un rapport écrit constatant le manquement de l'agent à son obligation vaccinale ;

- le moyen tiré de ce que la décision contestée porte atteinte au principe de continuité du service public hospitalier et au principe d'égalité n'est pas fondé ;

- par les moyens qu'elle soulève, Mme C... conteste en réalité le principe de l'obligation vaccinale tel qu'institué par la loi du 5 août 2021 ; le Conseil constitutionnel, dans sa décision du même jour, a relevé qu'une telle obligation poursuivait l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ;

- les moyens tirés de ce que la décision contestée constituerait une discrimination et qu'elle méconnaîtrait l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

- la liberté garantie par l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans rapport avec l'obligation vaccinale ;

- si le droit à la vie privée et familiale et à l'épanouissement personnel sont protégés par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'objectif de protection de la santé bénéficie quant à lui d'une protection au niveau constitutionnel ;

- si Mme C... soutient que l'obligation vaccinale méconnaîtrait la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe de précaution consacré par la charte de l'environnement, il lui appartenait de présenter une question prioritaire de constitutionnalité par un mémoire distinct ; en tout état de cause, elle présente des données partielles et biaisées sur la sécurité vaccinale, omettant des conclusions et éléments clés de l'ANSM ;

- la loi du 5 août 2021 prévoit la levée du secret médical et seul le médecin du travail informe l'employeur qu'un agent n'est pas à jour de ses obligations vaccinales ;

- il ne peut être fait droit à la demande d'abrogation présentée par Mme C... pour la première fois en appel, à défaut de circonstance de droit ou de fait postérieure à l'édiction de la décision contestée ; Mme C..., qui est à la retraite depuis le 1er février 2022, doit être regardée comme ayant renoncé à cette demande dans son second mémoire ;

- ses conclusions tendant à ce qu'il lui soit enjoint de procéder à son licenciement pour inaptitude ne peuvent être accueillies dès lors qu'elle a été radiée des cadres, à sa demande, à compter du 1er février 2022, afin de faire valoir ses droits à la retraite.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 février 2023 et le 24 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Guyon, demande à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 30 juin 2022 en tant que le tribunal a rejeté les moyens d'annulation tirés de l'inconventionnalité et de l'inconstitutionnalité de la décision contestée ;

3°) d'annuler la décision du 15 septembre 2021, à titre principal en retenant les moyens tirés de son inconstitutionnalité et de son inconventionnalité ou, à défaut, en retenant le moyen de légalité interne tiré de ce que, une fois expiré le délai de réflexion qui lui a été accordé, cette décision s'est transformée en sanction disciplinaire ;

4°) d'enjoindre au centre hospitalier de la rétablir dans ses fonctions, de procéder à sa réintégration et au versement de sa rémunération, y compris de manière rétroactive, dans tous ses éléments et accessoires, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation, sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) à titre subsidiaire, d'abroger la décision du 15 septembre 2021, en tant qu'elle a dépassé le délai raisonnable et d'enjoindre au centre hospitalier de réexaminer sa situation ;

6°) de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité :

- en ne faisant pas droit aux moyens d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité de la décision contestée, le tribunal a commis une erreur de droit et entaché son jugement

d'irrégularité ;

Sur le bien-fondé :

- la décision contestée est entachée d'incompétence dès lors que la qualité d'autorité de nomination n'implique pas la compétence pour adopter une décision de suspension de fonctions sans rémunération ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle prend effet à une date à laquelle elle était placée en congé de maladie ;

- elle méconnaît l'article 81 de la loi du 9 janvier 1986 en ce qu'elle inflige une sanction non prévue par les textes ; si elle ne devait pas être qualifiée de sanction disciplinaire au jour de son édiction, elle l'est toutefois devenue par l'effet du temps et de son refus définitif de se soumettre à la vaccination obligatoire, qui ont fait apparaître un changement de circonstances de fait et de droit ;

- elle méconnaît la procédure disciplinaire instituée par l'article 82 de la loi du

9 janvier 1986 ;

- elle constitue une sanction disciplinaire déguisée ou une mesure de police ;

- elle été prise sans respecter la procédure contradictoire préalable prévue par les articles L. 121-1 et L.121-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle constitue une mesure de police administrative prise en méconnaissance des conditions posées par l'article L. 6143-7 du code de la santé publique dès lors qu'elle est disproportionnée, non nécessaire et non adaptée au regard de sa durée, du caractère expérimental de la vaccination et de l'objectif de santé public poursuivi ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation car l'objectif de santé pouvait être atteint par des tests prolongés, et que l'alternative à la vaccination est la fraude aux certificats ;

- elle est entachée d'erreur de fait dès lors que l'administration ne justifie pas de l'existence d'un constat ou d'un rapport administratif faisant état de l'impossibilité d'exercice de son activité en méconnaissance de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 ;

- elle porte atteinte aux principes de continuité du service public hospitalier, de valeur constitutionnelle ;

- elle méconnaît les articles 2, 5 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et constitue une discrimination contraire à l'article 14 et à l'article 1er du protocole additionnel n° 12 à cette même convention et au règlement (UE)

n° 2021/953 du 14 juin 2021 ;

- elle méconnaît le droit à la santé tel que garanti par le 11ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

- elle méconnaît le droit au respect de l'intégrité physique et le droit au respect du corps humain protégés par les articles 1er et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle méconnaît le principe de précaution protégé par l'article 5 de la charte de l'environnement ;

- elle méconnaît le droit au respect du secret médical protégé par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ;

- il y a lieu d'abroger la décision de suspension dès lors qu'elle est devenue illégale au terme du délai raisonnable de six mois au-delà duquel une suspension sans rémunération ne devrait pas pouvoir être prolongée.

Par une ordonnance du 15 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 31 mai 2023.

Par une lettre du 30 octobre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité de ses conclusions à fin d'abrogation de la décision du 15 septembre 2021, qui ne peuvent être présentées à l'appui de conclusions tendant à l'annulation d'un acte individuel.

Des réponses à ce moyen relevé d'office ont été présentées le 8 novembre 2024 pour

Mme C... et le 13 novembre 2024 pour le centre hospitalier de Penne d'Agenais.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2020-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021, modifié par le décret n° 2021-1059 du

7 août 2021 ;

- le décret n° 2023-368 du 13 mai 2023 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique

- et les observations de Me Munier, représentant le centre hospitalier de Penne d'Agenais.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... C... exerçait, avant sa radiation des cadres à compter du

1er février 2022 pour mise à la retraite, les fonctions d'agent de maîtrise principal au sein du service blanchisserie- bio nettoyage au sein du centre hospitalier de Penne d'Agenais. Par une décision du 15 septembre 2021, le directeur du centre hospitalier l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter du même jour pour méconnaissance de l'obligation vaccinale contre le virus de la Covid-19 imposée aux agents travaillant dans les établissements de santé. Le centre hospitalier de Penne d'Agenais relève appel du jugement n° 2105647 du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision en tant qu'elle prévoit son entrée en vigueur à compter du 15 septembre 2021. Par son appel incident, Mme C... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si Mme C... soutient que les premiers juges auraient commis une erreur de droit en écartant ses moyens tirés de l'inconstitutionnalité et de l'inconventionnalité de la décision contestée, de telles critiques, qui sont seulement susceptibles d'affecter le bien-fondé du jugement dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel, ne peuvent utilement être invoquées pour contester la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; (...) ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. (...) ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. - (...) B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / (...) / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (...). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la décision de suspension de fonctions de Mme C... a été prise le 15 septembre 2021 et non le 14 septembre 2021, contrairement à ce que qu'indiquent les parties et à ce qui a été relevé par le tribunal. Or, à cette date, l'intéressée se trouvait en congé de maladie, lequel avait débuté le 14 septembre selon les mentions portées sur l'avis d'arrêt de travail délivré à Mme C..., que son administration a reçu le lendemain. Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision contestée était entachée d'erreur de droit en tant qu'elle fixait une prise d'effet à une date à laquelle Mme C... était placée en congé de maladie et a enjoint au centre hospitalier de régulariser sa situation, qui devait alors être réexaminée au regard des prolongations adressées par l'intéressée jusqu'à la date de sa retraite au 1er février 2022.

Sur l'appel incident de Mme C... :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions subsidiaires à fin d'abrogation de la décision du 15 septembre 2021 :

5. Lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S'il le juge illégal, il en prononce l'annulation. Ainsi, saisi de conclusions à fin d'annulation recevables, le juge peut également l'être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu'il prononce l'abrogation du même acte au motif d'une illégalité résultant d'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu'un acte règlementaire est susceptible de porter à l'ordre juridique. Il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d'annulation. Dans l'hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d'annulation et où l'acte n'aurait pas été abrogé par l'autorité compétente depuis l'introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l'acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. S'il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l'acte est devenu illégal, le juge en prononce l'abrogation. Il peut, eu égard à l'objet de l'acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu'aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l'abrogation ne prend effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

6. Les règles énoncées au point ci-dessus ne valent que pour les actes à caractère réglementaire. Mme C... n'est ainsi pas recevable à présenter des conclusions à fin d'abrogation de la décision contestée, qui présente le caractère d'un acte individuel. En tout état de cause, Mme C... étant radiée des cadres à la date à laquelle la cour statue, de telles conclusions sont dépourvues d'objet.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 15 septembre 2021 :

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision du 15 septembre 2021 a été signée par Mme D... B..., directrice adjointe, chargée de la direction du centre hospitalier de Penne d'Agenais qui bénéficiait d'une délégation de signature consentie le 4 janvier 2021 par le chef d'établissement, autorité de nomination, " à l'effet de signer, au nom du chef d'établissement, l'ensemble des pièces et documents résultant de son activité professionnelle au Centre Hospitalier de Penne d'Agenais (sauf instruction préalable contraire donnée au cas par cas par le Chef d'Etablissement) (...) ". Ainsi, Mme B... pouvait signer une décision de suspension, y compris sans rémunération comme prévu par la loi du 5 août 2021, et le moyen tiré de ce que la décision attaquée aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté.

8. En deuxième lieu, la décision du 15 septembre 2021 vise les lois du 13 juillet 1983 et 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires ainsi que la loi du 5 août 2021 et son décret d'application du 7 août 2021. En outre, en précisant que Mme C... est suspendue jusqu'à la production de justificatifs prévus par le décret du 7 août 2021, elle met l'intéressée à même de comprendre les considérations de faits tirées du non-respect de l'obligation vaccinale sur laquelle elle se fonde. Dans ces conditions, elle est suffisamment motivée.

9. En troisième lieu, lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application de la loi du 5 août 2021 et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité, sans prononcer de sanction. Dès lors, les moyens tirés, d'une part, de ce que la décision contestée constituerait une sanction disciplinaire dès son origine ou qu'elle le serait devenue au-delà d'une durée de réflexion de six mois et, d'autre part, de ce qu'elle serait irrégulière à défaut de mise en œuvre des garanties attachées à la procédure disciplinaire prévues par l'article 82 de la loi du 9 janvier 1986 ne peuvent être utilement soulevés. Pour les mêmes motifs, et alors en outre qu'en se bornant à tirer les conséquences de l'absence de présentation par l'intéressée des documents mentionnés au I de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 ou du justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de son article 12, cette mesure ne constitue pas davantage une mesure de police, Mme C... ne peut utilement se prévaloir de ce qu'elle aurait été prise en méconnaissance des articles L. 122-1 et L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision du 15 septembre 2021 :

10. En premier lieu, Mme C... soutient que la décision contestée, en lui opposant les exigences de l'obligation de vaccination contre la Covid-19, méconnaîtrait le droit à la santé énoncé à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le principe constitutionnel d'égalité garanti par les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe de précaution énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement et qu'elle porterait atteinte aux principes constitutionnels d'égalité, de continuité du service public et de respect de l'intégrité physique et du corps humain.

11. Toutefois, dès lors que cette décision se borne à faire application des dispositions du B du I et du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, un tel moyen revient en réalité à contester la constitutionnalité de ces dispositions législatives. Or, en dehors des cas et conditions prévus par le chapitre II bis du titre II de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, relatif à la question prioritaire de constitutionnalité, il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la constitutionnalité de la loi.

12. En deuxième lieu, Mme C... soutient que l'obligation vaccinale instituée par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 constituerait une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de la vie privée, et à ses libertés corollaires, telles que le droit à l'épanouissement personnel, le droit à une vie normale et le droit à la santé, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

14. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence droit le droit au respect de la vie privée et familiale, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

15. En instituant une obligation vaccinale à l'égard des personnels exerçant dans un établissement, le législateur a entendu éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité et protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19. Mme C... ne remet pas en cause le très large consensus scientifique selon lequel la vaccination contre la covid-19 prémunit contre les formes graves de contamination. Il s'ensuit que l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé, qui ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. En troisième lieu, Mme C... soutient que l'obligation vaccinale appliquée de façon indistincte aux soignants sans prise en compte des particularités médicales individuelles et en dépit des incertitudes à long terme quant à l'innocuité des vaccins, exposerait certains d'entre eux à un risque pour leur santé supérieur à celui de la covid-19 et porterait ainsi atteinte à leur droit à la vie, garanti par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale. Toutefois, il ressort de l'enquête de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) du 16 février 2023, que sur les 156 209 600 injections réalisées depuis cette date, environ 48 000 cas d'effets indésirables graves avaient été constatés, soit un ratio de 0,03 % rapporté à l'ensemble des vaccinations. Dans ces conditions, le moyen, soulevé par la voie de l'exception, tiré de ce que l'obligation vaccinale instituée par la loi du 5 août 2021 méconnaîtrait les stipulations de l'article 2 de la convention précitée doit être écarté.

17. En quatrième lieu, Mme C... soutient que l'obligation vaccinale créerait une rupture d'égalité ainsi qu'une discrimination injustifiée entre soignants dès lors que tous sont placés dans une situation identique au regard du risque de transmission du virus, qui n'est pas minoré par les vaccins, mais que seuls ceux qui ne sont pas vaccinés sont tenus de justifier régulièrement de leur état de santé par des tests réguliers de dépistages invasifs. Elle excipe de l'inconventionnalité des dispositions de la loi du 5 août 2021 au regard de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales, de l'article 1er du protocole n° 12 annexé à cette convention, de la résolution n° 2361 adoptée

le 27 janvier 2021 par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et du règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021.

18. Toutefois, d'une part, le principe de non-discrimination édicté par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ne concerne que la jouissance des droits et libertés que cette convention et ses protocoles additionnels reconnaissent. Il appartient à toute personne qui se prévaut de la violation de ce principe d'invoquer devant le juge le droit ou la liberté dont la jouissance serait affectée par la discrimination alléguée. Pour justifier d'une discrimination, au sens de l'article 14 précité, Mme C... ne saurait utilement se prévaloir de l'article 1er du protocole n° 12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'a pas été ratifié par la France.

19. D'autre part, la résolution n° 2361, adoptée par le Conseil de l'Europe le

27 janvier 2021 ne constitue qu'une simple recommandation dépourvue par elle-même de force contraignante, et ne saurait être utilement invoquée.

20. Enfin, le règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du

14 juin 2021, pris dans le cadre de l'article 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, n'est applicable qu'aux déplacements entre les Etats membres de l'Union européenne et ne porte pas atteinte aux compétences des Etats membres en matière de définition de la politique sanitaire, conformément au paragraphe 7 de l'article 168 du même traité. Le moyen tiré de la méconnaissance de ce règlement est donc inopérant.

21. En cinquième lieu, la méconnaissance de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté, ne peut être utilement invoquée dans le cadre du présent litige, l'obligation vaccinale n'ayant pas pour effet de priver l'intéressée de son droit à la liberté ou à la sûreté au sens de ces stipulations. Par suite, le moyen doit être écarté.

22. En sixième lieu, en application des dispositions de la loi du 5 août 2021, le législateur a donné compétence aux autorités investies du pouvoir de nomination pour contrôler le statut vaccinal des agents concernés par l'obligation et, à défaut, suspendre ceux ne produisant pas de justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de certificat de rétablissement. Le moyen tiré de ce que la décision contestée serait dépourvue de base légale en tant qu'elle prononce une suspension de fonctions privative de rémunération doit être écarté.

23. En septième lieu, ainsi qu'il a été précédemment exposé, la mesure contestée ne constitue pas une mesure de police. Dès lors, Mme C... ne saurait utilement soutenir qu'elle ne serait ni justifiée, ni nécessaire, ni proportionnée au risque contre lequel elle entend lutter.

24. En huitième lieu, si Mme C... soutient que la décision contestée serait entachée d'erreur de fait, faute pour l'administration de justifier par la production d'un rapport ou de tout autre élément probant du constat de son impossibilité d'exercer ses fonctions, il ressort néanmoins des pièces du dossier qu'en sa qualité d'agent de maîtrise principal exerçant ses fonctions au sein du centre hospitalier de Penne d'Agenais, Mme C... était soumise à l'obligation de vaccination en application des dispositions du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 et qu'elle n'a présenté à son employeur aucun des documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, au B du I de l'article 14 de cette loi, indiquant au contraire par une lettre de son avocate du

9 septembre 2021 qu'elle n'entendait pas se soumettre à cette obligation.

25. En neuvième lieu, les circonstances que la protection des malades aurait pu être alternativement assurée par la poursuite de tests réguliers sur les soignants, ou qu'un réseau de fausses attestations de vaccination ait été constaté après la mise en place de l'obligation vaccinale, ne sont pas de nature à démontrer que la décision attaquée, qui se borne à faire application de la loi du 5 août 2021, serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

26. En dernier lieu, l'article 13 de la loi du 5 août 2021 charge les employeurs de contrôler le respect de l'obligation de vaccination par les personnes placées sous leur responsabilité. Il prévoit que les agents ou salariés présentent un certificat de statut vaccinal, ou un certificat de rétablissement, ou un certificat médical de contre-indication. Il fait obligation aux employeurs de s'assurer de la conservation sécurisée de ces documents. Les agents ou les salariés peuvent transmettre le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication au médecin du travail compétent, qui informe l'employeur du fait que l'obligation a été satisfaite. Il résulte de ces dispositions que l'employeur ne saurait avoir accès à aucune autre donnée de santé. L'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, applicable au contrôle de l'obligation vaccinale en vertu de son article 49-1, énumère limitativement les informations auxquelles les personnes et services autorisés à contrôler les justificatifs ont accès. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient le secret médical protégé par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique doit être écarté.

27. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Penne d'Agenais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 15 septembre 2021 en tant qu'elle prévoit une entrée en vigueur à compter de cette même date. Mme C... n'est pas davantage fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur les frais de l'instance :

28. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE:

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Penne d'Agenais est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de Mme C... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Penne d'Agenais et à Mme E... C....

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2024.

Le rapporteur,

Antoine A...

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02366


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02366
Date de la décision : 12/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Antoine RIVES
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS GSA CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-12;22bx02366 ?
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