Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Leset a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, et des pénalités correspondantes. Elle a également demandé au tribunal de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er avril 2010 au 31 mars 2013.
Par un jugement n° 2000914 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2022, et des mémoires, enregistrés les 2 janvier 2024 et 5 mars 2024, ce dernier non communiqué, la SAS Leset, représentée par Me Richard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 30 mai 2022 ;
2°) de prononcer la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction des impositions en litige, d'un montant total de 248 012 euros, en droits et pénalités, au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
- L'interlocuteur départemental n'était pas compétent, faute d'avoir été spécialement désigné par le directeur départemental des finances publiques, ainsi que le prévoit la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, ou d'avoir bénéficié d'une délégation de pouvoir ou de signature du directeur départemental ;
- L'entretien avec l'interlocuteur départemental est intervenu au-delà du délai raisonnable d'un an, en méconnaissance des dispositions de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ;
- L'administration a appliqué à tort la procédure de taxation d'office en matière de taxe sur la valeur ajoutée pour les mois d'octobre 2012, janvier 2013 et février 2013.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
- L'administration n'a pas établi le caractère insincère de sa comptabilité dès lors que les irrégularités relevées sont exclusivement formelles et que les recettes qu'elle a déclarées au titre des exercices clos en 2011 et 2012 sont cohérentes : les recettes déclarées au titre de l'exercice 2012 sont cohérentes avec celles déclarées au titre de l'exercice clos en 2013, pour lequel l'administration a estimé la comptabilité sincère et probante ; les recettes déclarées au titre de l'exercice clos en 2011 sont cohérentes avec les conditions d'exploitation particulières du début d'activité ; les pourcentages de recettes encaissées en chèques, espèces, cartes bancaires sont constants au cours de la période vérifiée.
- La méthode de reconstitution des recettes retenue par l'administration comporte des erreurs graves et est excessivement sommaire ; elle aboutit à des montants de minorations de recettes incohérents.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 décembre 2022 et 5 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 5 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 8 mars 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lucie Cazcarra,
- et les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Leset exerce une activité de discothèque-bar de nuit sous l'enseigne " L'Entre-Cote Le-Set " à La Rochelle. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er avril 2010 au 31 mars 2013 pour l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au cours de laquelle l'administration a procédé à la reconstitution des recettes de la société, selon la procédure de taxation d'office pour les rehaussements effectués en matière d'impôt sur les sociétés pour l'exercice clos le 31 mars 2013 ainsi que pour les rectifications effectuées en matière de TVA pour les mois d'avril, mai, juin, août et septembre 2010, juin 2011, février 2012, mai 2012 et octobre 2012 à mars 2013, et selon la procédure de rectification contradictoire pour le surplus. A l'issue de cette vérification de comptabilité, l'administration a notifié à la société Leset, par une proposition de rectification du 21 octobre 2014, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de TVA au titre des exercices clos les 31 mars 2011, 31 mars 2012 et 31 mars 2013, assortis de majorations. Ces rehaussements ayant été partiellement abandonnés à la suite d'un recours hiérarchique exercé par la société, l'administration a mis en recouvrement, le 15 février 2017, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de TVA, assortis d'intérêts de retard et de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, pour un montant total de 248 012 euros. Par la présente requête, la société Leset relève régulièrement appel du jugement du 30 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et pénalités dues au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et, d'autre part, à la décharge des rappels de TVA et pénalités correspondantes réclamés au titre de la période du 1er avril 2010 au 31 mars 2013.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration ". Le paragraphe 5 du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, millésime mai 2013, remise au président de la société lors de l'envoi de l'avis de vérification du 18 décembre 2013 prévoit que : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur divisionnaire ou principal (...). Si, après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur. (...) En outre, vous pouvez demander expressément une saisine directe de l'interlocuteur, sans saisir préalablement l'inspecteur divisionnaire ou principal, lorsque ce dernier a signé l'application de pénalités exclusives de bonne foi ". Ces dispositions assurent au contribuable la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, avec un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé.
3. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment d'un courrier de réponse du 31 janvier 2017 adressé par l'interlocuteur départemental au conseil de la société Leset, que le représentant légal de la société Leset a été reçu par l'interlocuteur le 12 janvier 2017. Ainsi, et alors même que la désignation de l'interlocuteur départemental n'aurait pas été formalisée par un acte de nomination ou de délégation du directeur départemental des finances publiques, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée de la garantie offerte par les dispositions précitées de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié. Par ailleurs, la charte des droits et obligations du contribuable vérifié n'oblige pas l'administration à informer le contribuable du remplacement de l'interlocuteur en cours de vérification, et la circonstance que l'identité de l'interlocuteur départemental aurait changé entre la date de saisine et la date de l'entretien n'affecte par la régularité de la procédure.
4. D'autre part, si la garantie attachée à la faculté de faire appel à l'interlocuteur départemental ne peut être mise en œuvre qu'avant la mise en recouvrement de l'impôt, aucun délai n'est prévu entre la date de saisine de l'interlocuteur départemental et la date à laquelle l'entrevue avec ce dernier doit intervenir. Il s'ensuit que la société Leset, qui a bénéficié d'un entretien avec l'interlocuteur départemental le 12 janvier 2017, n'est pas fondée à soutenir que le délai de dix-huit mois qui s'est écoulé entre sa demande et la date de cet entretien entache la procédure d'irrégularité.
5. En second lieu, aux termes du 1er alinéa de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 56, lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts ou de l'article L. 2333-55-2 du code général des collectivités territoriales, les rectifications correspondantes sont effectuées suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 A ". Aux termes de l'article L. 66 du même livre : " Sont taxés d'office : (...) 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes ; (...) ".
6. La société Leset fait valoir que c'est à tort que l'administration a appliqué la procédure de taxation d'office aux rectifications effectuées en matière de taxe sur la valeur ajoutée pour les mois d'octobre 2012, janvier et février 2013 dès lors qu'elle a justifié du dépôt des déclarations concernées dans le délai légal et aurait donc dû bénéficier, à ce titre, de la procédure de rectification contradictoire. Il est constant que la société Leset a établi, dans le cadre de sa réclamation préalable du 31 juillet 2019, avoir déposé dans le délai légal les déclarations de taxes sur le chiffre d'affaires pour les mois d'octobre 2012, janvier et février 2013. Toutefois, s'il ressort de la proposition de rectification adressée à la société requérante le 21 octobre 2014 que les mois d'octobre 2012, janvier et février 2013 sont au nombre de ceux pour lesquels les rectifications ont été effectuées selon la procédure de taxation d'office, la société Leset a, en fait, bénéficié pour ces rectifications des garanties de la procédure contradictoire. Elle a en effet bénéficié d'un délai de trente jours pour présenter ses observations sur l'ensemble des rectifications envisagées, indépendamment de la procédure d'imposition mise en œuvre, et d'une prorogation de trente jours de ce délai de réponse, conformément à la demande qu'elle avait adressée en ce sens à l'administration le 31 octobre 2014. Le 9 janvier 2015, l'administration a adressé à la société une réponse motivée à ses observations et l'a informée de la possibilité de soumettre son différend à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, ce que la société a fait avant de se le 13 mai 2015. Le gérant de la société requérante a enfin pu échanger sur les rectifications envisagées par l'administration tant avec l'inspecteur principal, saisi dans le cadre des recours hiérarchiques déposés, qu'avec l'interlocuteur départemental. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité des rectifications des déclarations se rapportant aux mois d'octobre 2012, janvier et février 2013 ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité de la société Leset :
7. Aux termes de l'article 54 du code général des impôts : " Les contribuables mentionnés à l'article 53 A sont tenus de représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration. (...) ". Aux termes de l'article 286 du même code, dans sa version applicable au litige : " I.- Toute personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée doit : (...) / 3° Si elle ne tient pas habituellement une comptabilité permettant de déterminer son chiffre d'affaires tel qu'il est défini par le présent chapitre, avoir un livre aux pages numérotées sur lequel elle inscrit, jour par jour, sans blanc ni rature, le montant de chacune de ses opérations, en distinguant, au besoin, ses opérations taxables et celles qui ne le sont pas. / Chaque inscription doit indiquer la date, la désignation sommaire des objets vendus, du service rendu ou de l'opération imposable, ainsi que le prix de la vente ou de l'achat, ou le montant des courtages, commissions, remises, salaires, prix de location, intérêts, escomptes, agios ou autres profits. Toutefois, les opérations au comptant peuvent être inscrites globalement en comptabilité à la fin de chaque journée lorsqu'elles sont inférieures à 76 € pour les ventes au détail et les services rendus à des particuliers. Le montant des opérations inscrites sur le livre est totalisé à la fin du mois. / Le livre prescrit ci-dessus ou la comptabilité en tenant lieu, ainsi que les pièces justificatives des opérations effectuées par les redevables, notamment les factures d'achat, doivent être conservés selon les modalités prévues au I de l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales, les pièces justificatives relatives à des opérations ouvrant droit à une déduction doivent être d'origine ; / 4° Fournir aux agents des impôts, ainsi qu'à ceux des autres services financiers désignés par décrets, pour chaque catégorie d'assujettis, tant au principal établissement que dans les succursales ou agences, toutes justifications nécessaires à la fixation des opérations imposables, sans préjudice des dispositions de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales. (...) ".
8. Au cours de la vérification de comptabilité dont la société Leset a fait l'objet, le vérificateur a regardé la comptabilité qui lui a été présentée sous forme dématérialisée, au titre des exercices clos les 31 mars 2011 et 31 mars 2012, non sincère et non probante pour la partie " bar " et a estimé, en conséquence, que la comptabilité devait être écartée. Selon les termes de la proposition de rectification adressée à la société le 21 octobre 2014, le vérificateur a tout d'abord constaté un enregistrement global des recettes, cet enregistrement étant effectué à partir d'un document réalisé par le dirigeant de la société à l'aide d'un tableur dont il ressort que les recettes sont enregistrées globalement en fin de mois à partir des montants figurant sur les tickets Z édités à l'entrée et au bar et sont ventilées par mode de paiement (espèces, chèques et cartes bancaires). Le vérificateur a constaté ensuite plusieurs anomalies afférentes aux justificatifs des recettes enregistrées au bar. Il a relevé à cet égard que la société ne pouvait pas présenter, pour les exercices clos en 2011 et 2012, un relevé détaillé des recettes journalières ayant une chronologie certaine et exhaustive, que les tickets Z présentés n'indiquaient que les règlements en cartes bancaires et que les tickets ne permettaient pas d'identifier les articles, la plupart des articles étant désignés sous le terme générique de " bouteille alcool " alors que la société achète différents types d'alcool (vodka, whisky, rhum, ...) sous différents conditionnements (70 cl, 150 cl, 175, cl, 200 cl). Il a par ailleurs constaté que les éléments figurant sur les justificatifs de la billetterie ne permettaient pas d'identifier les bouteilles remises en échange d'un ticket d'entrée, non enregistrées au bar et désignées sous le terme de " bouton ". Le vérificateur a également relevé l'absence de toute communication par la société Leset de fichier de ses caisses enregistreuses situées au " bar ", correspondant aux bandes de contrôle, au titre de l'exercice clos le 31 mars 2011 et l'absence de nombreux fichiers de caisses au titre de l'exercice clos le 31 mars 2012. Il a constaté des écarts entre les fichiers, les tickets Z et la comptabilité. Au titre des anomalies afférentes au compte caisse, il est apparu que le compte caisse présentait un solde créditeur à plusieurs reprises au cours des mois d'avril et mai 2010, ainsi qu'au mois de mai 2011. Des anomalies afférentes à l'inventaire des stocks ont été relevées, le vérificateur faisant état de l'absence de détail des stocks dans le livre d'inventaire ainsi que l'omission de certains achats non utilisés. Le vérificateur a enfin relevé des achats non comptabilisés.
9. Si la société fait valoir que l'enregistrement global des recettes ne constitue pas un indice de non sincérité de la comptabilité mais une irrégularité en la forme, la comptabilisation globale des recettes en fin de mois, non assorties de pièces justificatives, suffit, à elle seule, à établir le caractère non probant de sa comptabilité. Il ressort par ailleurs que l'absence d'indication du détail des stocks dans le livre d'inventaire, les achats non comptabilisés pour des montants de 1 578,11 euros TTC au titre de l'exercice clos le 31 mars 2011 et de 332,69 euros TTC au titre de l'exercice clos le 31 mars 2012, les achats consommés négatifs qui révèlent des stocks erronés ou un défaut dans la comptabilisation des achats, des discordances entre le chiffre d'affaires " bar " et le chiffre d'affaire comptabilisé, les anomalies du compte caisse ainsi que l'absence de justificatifs des paiements en espèces constituent un faisceau d'irrégularités de nature à ôter à la comptabilité de la société Leset tout caractère sincère et probant. Si la société indique avoir produit, lors de son entretien avec l'inspecteur principal, une reconstitution du compte caisse effectuée par son expert comptable, qui ne comporte aucun solde créditeur, cette circonstance est sans incidence sur le rejet de la comptabilité dès lors que la société n'a pas pu justifier du solde journalier du compte caisse lors des opérations de contrôle. Quant aux anomalies affectant la caisse d'entrée tenant à l'impossibilité pour le vérificateur d'identifier les bouteilles remises en échange d'un billet d'entrée, elles participent à la démonstration de l'insincérité des recettes " bar " puisqu'elles n'ont pas permis au vérificateur de procéder au rapprochement entre les ventes, les achats et les stocks et, par suite, de s'assurer de la sincérité de la comptabilité de l'activité " bar ". Enfin, la société Leset n'est pas fondée à se prévaloir de la cohérence des recettes déclarées pour l'activité " bar " sur les exercices clos en 2011 et 2012 par rapport à celles déclarées sur l'exercice 2013, pour lequel la comptabilité a été déclarée régulière et sincère, et par rapport aux conditions d'exploitation du début d'activité en 2011, cette circonstance étant sans incidence sur les nombreuses irrégularités relevées dans la comptabilité de la société sur les exercices clos en 2011 et 2012. Il résulte de ce qui précède que les allégations de la requérante tendant à justifier des anomalies relevées dans sa comptabilité par le vérificateur sont insuffisantes pour contester le caractère insincère et non probant de la comptabilité. Par conséquent, c'est à bon droit que l'administration a écarté celle-ci et a procédé à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société pour les exercices clos les 31 mars 2011 et 31 mars 2012.
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Leset :
S'agissant de la charge de la preuve :
10. La comptabilité de la société Leset est, pour les raisons précédemment indiquées, entachée de graves irrégularités. La société a contesté, dans le délai qui lui était imparti, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de TVA procédant, notamment, de la reconstitution des résultats de son activité " bar " pour les exercices clos les 31 mars 2011 et 31 mars 2012. Il appartient dès lors à l'administration, en application des dispositions de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve du bien-fondé de ces impositions.
S'agissant de la méthode de reconstitution retenue par l'administration :
11. Pour déterminer le montant du chiffre d'affaires réalisé par la société Leset au titre de ses exercices clos les 31 mars 2011 et 31 mars 2012, le service a procédé au dépouillement de l'ensemble des factures d'achat de boissons réalisé par la société au cours de ces deux exercices. Simultanément, il a exercé son droit de communication auprès des fournisseurs de boissons et a déterminé, par comparaison entre les achats faits aux fournisseurs et les recettes, la quantité d'achats revendus. Il a ensuite ventilé le volume total des marchandises achetées par la société en quatre secteurs d'activité, définis selon la nature des produits vendus et leurs conditions de vente. Le service a ainsi retenu un premier secteur d'activité " vente de bouteilles d'alcool " correspondant aux ventes de bouteilles entières d'alcool autres que la bière, un deuxième secteur d'activité " vente d'alcool au verre et en petites bouteilles " correspondant aux ventes au verre de boissons alcoolisées en dehors des cocktails ainsi que des ventes de bières, un troisième secteur d'activité " vente d'alcool en cocktails " correspondant à la vente au verre de boissons alcoolisées mélangées sous forme de cocktails, et un dernier secteur d'activité " vente de softs " correspondant à la vente de boissons non alcoolisées, au verre ou en petites bouteilles et/ou canettes. Le service a ensuite déterminé le pourcentage de répartitions de chaque liquide utilisé entre les différents secteurs (pourcentage de vente au verre, pourcentage de vente à la bouteille, pourcentage en accompagnement). Ni l'examen des tickets Z ni l'examen des fichiers remis par la société correspondant aux bandes de contrôle n'ayant permis au service de déterminer ces pourcentages et les quantités revendues, le service a, en l'absence de précisions de la société, réparti par type de boissons les ventes au verre, en bouteilles ou en accompagnement. Il a ainsi distingué les apéritifs, les bières, les champagnes, le cognac, les rhums, les gins, les téquilas, les liqueurs, les vodkas, les vins, les whiskys et les softs. Ainsi, à titre d'illustration, les bières vendues en bouteilles de 33 cl ou au verre ont été affectées à 100 % dans le secteur " vente d'alcool au verre et en petites bouteilles " ; s'agissant des champagnes, les magnums (150 cl) et bouteille de 300 et 600 cl ont été considérés comme étant vendus uniquement en bouteille, quelle que soit la gamme, pour les champagnes de gamme classique de 75 cl et de gamme moyenne, une répartition de 50 % pour les ventes en bouteille et de 50 % pour les ventes à la coupe a été retenue, les champagnes de gamme supérieure ont été considérés comme vendus uniquement en bouteille et les champagnes à faible coût de revient ont été considérés comme étant offerts ; pour les softs, une proportion de 80 % a été considérée comme offerte, vendue en accompagnement, perdue ou consommée par le personnel. Le service a ensuite déterminé la dose unitaire et, à partir des informations données par la société et tirées des fichiers informatiques, il a retenu une méthode de répartition selon la nature des boissons et leur conditionnement, soit 4 cl pour les ventes d'alcool au verre, 5 cl pour les ventes d'alcool en cocktails, 12 cl pour les ventes de champagne à la coupe et pour les ventes de vin au verre, 25 cl pour la bière pression et 33 cl pour les softs vendus. Ces informations ayant permis au service de déterminer le nombre d'unités théoriques vendues pour chaque type de boisson, des facteurs correcteurs correspondant aux pertes, offerts, prélèvements du personnel et boissons remises en échange d'un billet d'entrée ont été appliqués pour déterminer le nombre d'unités réellement vendues. Les proportions retenues ont été : 1 % pour les ventes en bouteille (casse), 2 % pour les ventes au verre ou en cocktail (casse, gaspillage), 10 % pour les ventes de bière à la pression, 3 % pour les prélèvements par le personnel et 4 % pour les offerts. Le nombre d'unités vendues multiplié par le prix de vente unitaire moyen pondéré ayant permis de déterminer le chiffre d'affaires par produit, puis le chiffre d'affaires par secteur, le service a reconstitué le chiffre d'affaires " bar " à hauteur de 739 285 euros TTC au titre de l'exercice clos le 31 mars 2011 et à hauteur de 696 044 euros TTC au titre de l'exercice clos le 31 mars 2012.
12. En premier lieu, la société requérante fait valoir que la méthode de reconstitution retenue par l'administration est incohérente au regard des taux de minoration des recettes qui varient de manière importante et inexpliquée au cours de la période vérifiée. Il résulte de l'instruction que la méthode de reconstitution des recettes appliquée par le service a conduit l'administration à retenir une minoration d'un montant de 202 520 euros pour l'exercice clos le 31 mars 2011 et d'un montant de 109 360 euros pour l'exercice clos le 31 mars 2012, soit un taux de 23,98 % de chiffre d'affaires éludé pour le premier exercice et de 11,28 % pour le second. La seule circonstance que ces montants varient d'un exercice à l'autre n'est pas de nature à démontrer que la méthode employée par l'administration serait viciée dans son principe alors, au demeurant, que la société requérante ne propose pas d'autre méthode qui aurait permis une meilleure approximation des recettes de son activité bar.
13. En second lieu, la société Leset soutient que la méthode de reconstitution mise en œuvre par l'administration apparaît excessivement sommaire et n'a pas pris en compte les conditions réelles d'exploitation de son activité. Tout d'abord, et contrairement à ce que fait valoir la société, les tickets Z présentés au vérificateur ne permettaient pas de déterminer les pourcentages de boissons vendues au verre, en bouteille ou en accompagnement puisque, ainsi que l'a relevé le vérificateur dans la proposition de rectification adressée à la société, des articles étaient désignés sous le terme générique de " bouteille alcool ", ce qui ne permettait d'identifier ni l'alcool vendu ni son conditionnement (70 cl, 150 cl, 175 cl, 200 cl). Il ressort également de la proposition de rectification que le vérificateur a pris en compte les offerts et les prélèvements de boissons non alcoolisées par le personnel au regard des périodes d'ouverture et selon une méthode clairement exposée, en l'absence de précisions apportées par la société aux demandes adressées par le vérificateur les 25 avril 2014, 27 juin 2014 et 30 juillet 2014 sur le pourcentage de pertes, offerts et prélèvements du personnel.
14. En ce qui concerne les boissons remises à l'entrée, devant être extournées des recettes provenant de l'activité bar, la société Leset fait valoir que le vérificateur a majoré dans la reconstitution de recettes de l'activité bar le nombre de bouteilles d'alcool, à raison de 353 bouteilles pour l'exercice clos en 2011 et de 406 bouteilles pour l'exercice clos en 2012 et a minoré dans la reconstitution le nombre de bouteilles de champagne, à raison de 331 bouteilles pour le premier exercice et de 268 bouteilles pour le second, ce qui impacte significativement la reconstitution eu égard à la marge réalisée au bar sur la vente d'alcool, très supérieure à celle réalisée sur le champagne. Au-delà même du fait qu'il résulte des calculs réalisés par la société Leset que le vérificateur a minoré les bouteilles d'alcool et majoré les bouteilles de champagne, révélant ainsi une situation plus favorable à la société du fait de ventes de boissons à forte marge extournées de la reconstitution des recettes de l'activité bar, la société Leset se fonde sur une liste de correspondance entre les boutons de la caisse enregistreuse située à l'entrée et les produits correspondants, qu'elle a communiquée à l'administration le 2 mai 2014 lors des opérations de contrôle. Or, cette liste ne se rapporte pas à la période vérifiée. Ainsi, en se bornant à fournir au vérificateur les justificatifs de billetterie de la période vérifiée désignant les produits sous le terme de " bouton ", allant du " bouton 1 " au " bouton 15 ", dont les valeurs monétaires auxquelles ils renvoient pouvaient varier plusieurs fois sur la période vérifiée, suivi du nombre de clients et du total des ventes de chaque " bouton ", la société n'a pas permis au vérificateur de connaître la nature des boissons remises en échange d'un ticket d'entrée, ces boissons n'étant identifiées ni sur les justificatifs de la caisse d'entrée ni enregistrées aux caisses bar. Dans ces conditions, les éléments apportés par la société Leset ne permettent pas de remettre en cause les estimations de l'administration, établies à partir des données recueillies auprès de la société au cours des opérations de vérification.
15. En ce qui concerne les boissons vendues dans le cadre des soirées privées, il résulte de la proposition de rectification que, pour en tenir compte alors qu'elles représentent moins de 2 % du chiffre d'affaires inscrit en comptabilité, le vérificateur a porté la proportion des offerts à 4 % alors que la part des offerts avait initialement été estimé à 1,52 % au 31 mars 2011 et à 0,57 % au 31 mars 2012.
16. En ce qui concerne la quantité des liquides vendus en bouteille et au verre au cours de la période vérifiée, la société fait valoir que le vérificateur disposait des éléments permettant de déterminer sous quelle forme et dans quelle quantité les boissons achetées ont été revendues dès lors qu'elle a remis au vérificateur l'intégralité des tickets Z en sa possession concernant les exercices clos en 2011 et 2012. Il résulte toutefois de l'instruction que la société n'a pas produit les fichiers de cinq des douze mois de l'exercice 2011 et de huit des douze mois de l'exercice 2012. Parmi ceux présentés, seuls l'ont été les paiements par carte bancaire. Quant aux tickets remis, ils étaient soit incomplets, soit imprécis, et les variations de stocks n'étaient elles-mêmes pas cohérentes par rapport aux achats effectués en cours d'exercice.
17. La société conteste enfin les dosages retenus par l'administration, les taux de perte et d'offerts ainsi que le montant des prélèvements de boissons non alcoolisées effectués par les salariés et les dirigeants de la société. Toutefois, les dosages retenus par l'administration ont été établis à partir des informations fournies par la société dans un courrier du 27 juillet 2014. Quant aux pertes, offerts et prélèvements du personnel, la société Leset n'a apporté aucune information à l'administration sur la part qu'ils représentaient, en dépit de plusieurs demandes orales et écrites formulées en ce sens. L'administration a ainsi évalué les prélèvements du personnel à 3 % et a retenu une proportion importante de boissons non alcoolisées comme étant offerte, perdue ou consommée par le personnel en retenant un taux de 80 % sur ce secteur d'activité. En outre, et en tout état de cause, la société n'établit nullement que les dosages ou montants retenus auraient été sous-évalués.
18. Il résulte de tout ce qui précède que l'administration doit être regardée comme établissant que les bases d'imposition qu'elle a retenues ne sont pas exagérées. Par suite, la société Leset n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Leset est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Leset et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
La rapporteure,
Lucie CazcarraLa présidente,
Frédérique Munoz-Pauziès La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02095