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12/12/2024 | FRANCE | N°21BX03380

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 12 décembre 2024, 21BX03380


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Poitiers, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Poitiers, d'annuler l'arrêté du 25 juin 2019 par lequel la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité.



Par un jugement n° 1902723 du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requ

ête, enregistrée le 6 août 2021, M. C..., représenté par Me Gomez (Lavalette avocats conseils), demande à la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Poitiers, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Poitiers, d'annuler l'arrêté du 25 juin 2019 par lequel la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité.

Par un jugement n° 1902723 du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 août 2021, M. C..., représenté par Me Gomez (Lavalette avocats conseils), demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 25 juin 2019 ;

3°) " d'enjoindre à la ministre de reconnaitre la rechute de son état de santé comme imputable au service, sous astreinte de 100 euros par jour de retard " ;

4°) d'ordonner une expertise judiciaire pour apprécier l'imputabilité de son état à l'accident de saut en parachute de juin 2016 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un arrêt avant-dire droit du 29 février 2024, la cour a notamment ordonné une expertise.

L'expert a déposé son rapport le 14 mai 2024.

Par un mémoire enregistré le 27 septembre 2024, le ministre des armées conclut à ce que soit admis un taux de 10 % pour les dorsalgies et un taux de 20 % pour le syndrome dépressif, à ce qu'une expertise complémentaire soit ordonnée pour chiffrer le taux d'invalidité afférent aux céphalées, et au rejet du surplus des demandes.

Il fait valoir que :

- les conclusions du Dr D... ne peuvent être entérinées alors qu'il n'a pas déterminé les capacités du patient à réaliser des mouvements d'inclinaison et de rotation, ni de flexion du bassin, et que, pour proposer un taux de 15 % pour les dorsalgies, l'expert s'est référé à une mention du guide barème qui n'est applicable qu'aux lésions traumatiques avec déviation scoliotique ou cyphotique ; au vu de la sensibilité de la zone T7 fracturée lors de l'accident, la fixation d'un taux de 10 % peut être envisagée pour les dorsalgies ;

- s'agissant des cervicalgies, la seule mention de cervicalgies hautes irradiant vers la base du crâne ne peut justifier le taux de 10 % proposé par l'expert, alors que le médecin des PMI avait conclu le 4 septembre 2018, après un examen détaillé du patient, à l'absence de gêne fonctionnelle et à un taux inférieur à 10 % ; au demeurant c'est à tort que la cour a retenu dans son arrêt avant-dire droit l'imputabilité au service de cette infirmité alors que l'examen radiographique du rachis cervical réalisé le 27 juin 2016 montrait une discopathie C3-C4, C4-C5, C5-C6 débutante ;

- l'expert ne se prononce pas sur le taux d'invalidité afférent aux céphalées, qui doivent être admises en lien avec l'accident ; une expertise complémentaire est nécessaire sur ce point.

M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

22 avril 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, notamment son article 51 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... ;

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., caporal-chef au sein de l'armée de terre, a été victime le 15 juin 2016, à l'âge de 27 ans, d'un accident au cours d'un saut en parachute, qui lui a occasionné des dorsalgies et cervicalgies, et un traumatisme crânien sans perte de connaissance. Aucune lésion osseuse n'a été décelée dans l'immédiat, mais un scanner a révélé le 20 juillet 2016 une fracture parcellaire du plateau inférieur de T7. Il a présenté le 31 janvier 2017 une demande de pension militaire d'invalidité pour quatre infirmités, dorsalgies, cervicalgies, syndrome dépressif et céphalées temporales gauches quasi-permanentes, et se trouve depuis lors en congé pour longue maladie. Par une décision du 25 juin 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande de pension. M. C... a relevé appel du jugement du 7 janvier 2021 du tribunal administratif de Poitiers qui a rejeté sa contestation de cette décision. Par un arrêt avant dire-droit du

29 février 2024, la cour a ordonné une expertise, dont le rapport a été déposé le 14 mai 2024.

Sur le lien de causalité entre les infirmités et l'accident :

2. L'arrêt avant-dire droit ayant jugé, au regard des expertises déjà disponibles au dossier, que l'ensemble des infirmités dont se prévalait M. C... étaient en lien avec l'accident de parachute, le ministre, qui n'avait produit avant cette décision aucune observation au fond, ne peut utilement faire valoir devant la cour que les cervicalgies seraient peut-être imputables à une discopathie débutante C3-C4, C4-C5, C5-C6 repérée sur une imagerie du rachis cervical réalisée le 27 juin 2016, alors au demeurant qu'aucun antécédent ni de douleur aux cervicales, ni de céphalées chroniques n'avait été signalé auparavant.

Sur le droit à pension :

3. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de pension de M. C... : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le taux d'invalidité résultant de l'application des guides barèmes mentionnés à l'article L. 125-3. / Aucune pension n'est concédée en deçà d'un taux d'invalidité de 10 % ". Aux termes de l'article L. 121-5 de ce code : " La pension est concédée : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : a) 30 % en cas d'infirmité unique ; b) 40 % en cas d'infirmités multiples . ".

4. Pour rejeter la demande de pension de M. C..., par la décision du 25 juin 2019, la ministre s'était fondée, d'une part pour les dorsalgies et cervicalgies, sur l'avis du médecin des pensions militaires d'invalidité estimant que le taux d'invalidité était inférieur à 10 % pour chacune de ces pathologies, ce qui n'atteignait pas le minimum requis de 10 % pour les infirmités résultant d'un accident, d'autre part pour le syndrome dépressif, sur l'avis du médecin psychiatre estimant le taux d'invalidité correspondant à cette pathologie à 20 %, ce qui était inférieur au minimum requis de 30 % pour une maladie, et enfin pour les céphalées temporales gauches quasi-permanentes, sur la circonstance que les douleurs alléguées n'entraînaient " aucune gêne fonctionnelle ".

5. En premier lieu, l'expert désigné par la cour, qui est chirurgien orthopédiste, a bénéficié de tous les éléments médicaux utiles, et notamment des précédentes expertises réalisées par le ministère des armées. La circonstance qu'il n'a pas fait refaire tous les gestes que les médecins précédents avaient déjà testés n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions qu'il a tirées de l'examen de M. C..., lequel conserve un point douloureux au niveau de la fracture en T7, perceptible à la palpation et se manifestant notamment lors d'efforts prolongés et lors des mouvements de rotation du rachis, ainsi que de l'ensemble des pièces qui lui étaient communiquées. Il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait omis de se placer à la date de la demande du 31 janvier 2017 pour apprécier les taux d'invalidité en cause.

6. En deuxième lieu, le ministre, qui admet dorénavant que le point douloureux en T7 pourrait permettre de retenir un taux de 10 % sur les dorsalgies, critique le taux de 15 % proposé par l'expert au motif qu'en se référant selon le barème des pensions militaires d'invalidité à un taux " de 10 à 20 % ", il aurait retenu le taux applicable aux déviations scoliotiques ou cyphotiques douloureuses, alors qu'aucune déviation de cette nature n'est constatée chez

M. C.... Toutefois, il appartenait à l'expert de rechercher dans le guide barème les affections les plus proches de ce qu'il constatait, et le guide-barème comporte aussi, au sujet des lésions traumatiques du rachis, une rubrique afférente aux fractures et luxations latentes sans troubles aucuns ou avec douleurs, qui recommande un taux d'invalidité de 10 à 30 %. Dans ces conditions, le ministre n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause le taux de 15 % évalué par l'expert pour les dorsalgies.

7. En troisième lieu, l'expert a objectivé des " cervicalgies hautes, irradiant vers la base du crâne ", notant que les douleurs sont insomniantes et augmentées par les mouvements de rotation du rachis. La circonstance que l'expertise administrative du 4 septembre 2018, effectuée par un médecin généraliste, au cours de laquelle le Dr A... avait noté que l'accident de saut en parachute du 15 juin 2016 a occasionné pour M. C... une fracture du rebord antérieur du plateau inférieur de T7, une atteinte cervicale et un traumatisme crânien avec retentissement neurologique, n'ait repéré à l'examen deux ans après ni contracture paravertébrale, ni déformation osseuse, ni limitation ou blocage à la rotation, ni déficit sensitivo-moteur des membres supérieurs, n'est pas de nature à remettre en cause la gêne réelle que ces douleurs, qualifiées d'invalidantes par l'expert judiciaire, peuvent causer à M. C.... Dans ces conditions, et alors que rien ne permet d'attribuer les cervicalgies post-traumatiques, reconnues comme telles dès le rapport du premier expert, à un état antérieur, il y a lieu de retenir le taux d'invalidité de 10 % proposé par l'expert.

8. En quatrième lieu, il est constant que le syndrome dépressif, reconnu en lien avec l'accident par l'expert psychiatre le 17 octobre 2018, et également qualifié de réactionnel aux douleurs chroniques par la commission consultative médicale le 8 avril 2019, justifie un taux d'invalidité de 20 %. Dès lors que cette maladie est en lien avec les blessures imputables au service évoquées aux points 6 et 7, et que le taux global d'imputabilité de ces infirmités dépasse 30 %, cette maladie ouvre droit à pension en application du 2° de l'article L.121-5 précité du code des pensions militaires d'invalidité, ainsi que le reconnaît désormais le ministre.

9. Dès lors que les céphalées, toujours présentes et d'intensité variable dans la journée, sont à l'origine de l'état dépressif selon le psychiatre, elles ont déjà été prises en compte par son évaluation d'une invalidité de 20 %. Par ailleurs, il ressort de l'avis donné le 30 août 2024 par le médecin conseiller technique, que le ministre a cru bon de consulter pour critiquer l'expertise a posteriori au lieu de le faire participer à l'expertise contradictoire, qu'une expertise psychiatrique effectuée le 9 décembre 2016 avait déjà regardé les céphalées comme " sans substratum anatomique ". Dans ces conditions, il n'apparait pas utile d'ordonner, comme le demande le ministre, une expertise complémentaire pour chiffrer le taux d'invalidité des céphalées comme une infirmité distincte.

10. Il résulte de ce qui précède que la décision du 25 juin 2019 et le jugement refusant un droit à pension à M. C... doivent être annulés, et que le droit à pension de M. C... doit être admis à hauteur de 15 % pour les dorsalgies, 10 % pour les cervicalgies, et 20 % pour les céphalées avec syndrome dépressif.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, les frais et honoraires de l'expert judiciaire, taxés et liquidés à la somme de 1 050 euros par ordonnance du président de la cour du

16 mai 2024, doivent être mis à la charge de l'Etat.

12. M. C... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros que sollicite le cabinet Lavalette avocats conseils au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 7 janvier 2021 est annulé.

Article 2 : La décision du 25 juin 2019 de la ministre des armées est annulée. Il est enjoint au ministre des armées de concéder à M. C... un droit à pension au taux de 15 % pour l'infirmité " dorsalgies ", de 10 % pour l'infirmité " cervicalgies " et de 20 % pour l'infirmité " céphalées avec syndrome dépressif ".

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 050 euros, sont mis à la charge de l'Etat.

Article 4 : L'Etat versera au cabinet Lavalette avocats conseils une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au cabinet Lavalette avocats conseils et au ministre des armées. Copie en sera adressée au Dr D..., expert.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente, rapporteure,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2024.

La présidente-assesseure,

Anne MeyerLa présidente, rapporteure,

Catherine E...

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX03380


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03380
Date de la décision : 12/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : LAVALETTE AVOCATS CONSEILS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-12;21bx03380 ?
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