Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B..., a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 23 février 2023 par lequel le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai d'un mois, a désigné le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2300556 du 27 décembre 2023, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 mai 2024, Mme B..., représentée par Belliard, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2300556 du tribunal administratif de La Réunion du 27 décembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 23 février 2023 par lequel le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai d'un mois, a désigné le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour à raison de sa vie privée et familiale ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative avec application du bénéfice des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique au profit de Me Belliard.
Elle soutient que :
- les décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an méconnaissent les dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle justifie d'une installation durable sur le territoire français et de sa contribution à l'entretien et l'éducation de ses enfants ;
- la mesure d'éloignement méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2024, le préfet de La Réunion conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés sont infondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 25 avril 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Nicolas Normand a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante de nationalité comorienne née en 2000 à Salamani-Anjouan (Comores), a sollicité la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant étranger malade. Par un arrêté du 23 février 2023, le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer le titre sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai d'un mois, a désigné le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du 27 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de délivrer une autorisation provisoire de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ".
3. L'arrêté attaqué n'a pas statué sur une demande de délivrance d'un titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais sur une demande de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant étranger malade au titre de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne se prononce pas davantage sur un éventuel droit au séjour de l'intéressé à quelque titre que ce soit. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté comme inopérant en tant qu'il est dirigé contre la décision portant refus de séjour.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".
5. En application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser de délivrer un titre de séjour à un ressortissant étranger, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision serait prise.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est mère d'un enfant étranger né en 2021 de sa relation avec un compatriote et d'un autre enfant, de nationalité française, né en 2022 de sa relation avec un Français à l'entretien et à l'éducation desquels elle justifie, par les pièces produites, contribuer depuis leur naissance. Toutefois, à la date de l'arrêté attaqué, elle ne résidait en France que depuis environ 8 mois, ne partageait aucune communauté avec le père de son enfant français et avait passé l'essentiel de son existence dans son pays d'origine. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur la situation concrète de Mme B....
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. Ainsi qu'il a été indiqué au point 6 du présent arrêt, la requérante est mère de deux enfants en bas âge, l'un de nationalité comorienne résidant à Mayotte et l'autre de nationalité française. Elle n'établit pas que le père de son enfant français contribue à l'entretien et l'éducation de cet enfant. Elle n'établit pas davantage en se bornant à produire un seul reçu de virement antérieur à l'arrêté attaqué effectué à son profit par le père de son enfant comorien le 5 janvier 2023 pour un montant de 50 euros, que celui-ci contribue à l'entretien et l'éducation de l'enfant. Elle ne produit pas davantage d'élément permettant de corroborer l'existence de liens affectifs entre ses enfants et les pères de ceux-ci. Il suit de là que la séparation des enfants de leurs pères qu'entraine la mesure d'éloignement de Mme B... ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990.
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
9. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ". Selon l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. / Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur ".
10. Si le bénéfice de ces dispositions protectrices est subordonné à la condition que l'étranger se prévalant de sa qualité de parent d'enfant français contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, elles n'impliquent pas que l'autre parent apporte également cette contribution.
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est la mère d'un enfant français né le 17 juin 2022 à Saint-Denis (La Réunion) de sa relation avec un Français, à l'entretien et à l'éducation duquel elle justifie, par les pièces produites, et notamment une attestation d'hébergement, contribuer depuis sa naissance. Par suite, elle remplit les conditions énoncées au 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la mesure d'éloignement doit donc être annulée ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi et la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande en tant qu'elle tend à l'annulation des décisions l'obligeant à quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". L'article L. 911-2 du code de justice administrative dispose que : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".
14. L'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'éloignement n'implique pas la délivrance d'une carte de séjour temporaire. Mais à la suite d'une telle annulation, il incombe au préfet, en application des dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, non seulement de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour mais aussi, qu'il ait été ou non saisi d'une demande en ce sens, de se prononcer sur son droit à un titre de séjour. En l'espèce, l'annulation de la mesure d'éloignement implique, en application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code de justice administrative, que le préfet procède au réexamen de la situation de Mme B... et prenne une nouvelle décision dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois à compter de la notification du présent arrêt et lui délivre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais relatifs à l'instance :
15. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Belliard d'une somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de La Réunion en date du 23 février 2023 est annulé en tant qu'il a fait obligation à Mme B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixe le pays de destination et l'interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Article 2 : Le jugement du 27 décembre 2023 du tribunal administratif de La Réunion est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Réunion de réexaminer la situation de Mme B... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de sa décision, de procéder à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Belliard une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
Le rapporteur,
Nicolas Normand
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 24BX01272