Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 12 avril 2021 par lequel le maire de Matoury a délivré à la société Études viabilisation développement construction (EVDC) un permis d'aménager en vue de diviser la parcelle cadastrée section AE n° 563 en quarante lots. Par une requête distincte, la société civile immobilière (SCI) MetA... a demandé au même tribunal d'annuler le même arrêté ainsi que la décision refusant de retirer cette autorisation.
Par un jugement n°s 2101115, 2101446 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 août 2022 et le 20 décembre 2023, la société MetA... et M. C..., représentés par Me Fettler puis par Me Taoumi, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 16 juin 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 avril 2021 ainsi que la décision implicite rejetant la demande tendant à son retrait ;
3°) d'ordonner au maire de Matoury de retirer ce permis d'aménager dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour à l'expiration de ce délai ;
4°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Matoury et de la société EVDC la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier dans la mesure où la société MetA... a été informée du renvoi d'audience dans des conditions ne permettant pas à son représentant légal de présenter des observations orales ou bien de constituer avocat ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté la fraude en se fondant sur l'existence de la servitude de passage créée par un jugement du tribunal judiciaire qui n'était ni assorti de l'exécution provisoire ni définitif ; la société pétitionnaire a trompé le service instructeur en se prévalant d'un droit de passage qu'elle ne détenait pas ; le terrain d'assiette du projet était donc enclavé, constat au vu duquel le maire était tenu de rejeter la demande ;
- le permis d'aménager méconnait le 2 de l'article 3 du règlement du plan local d'urbanisme applicable à la zone AUb ; le tribunal a considéré à tort que ce moyen était inopérant dans la mesure où il s'applique aux voies de desserte privées ;
- il a été délivré en méconnaissance des articles R. 111-2 et R. 111-5 du code de l'urbanisme.
Par des mémoires en défense enregistrés le 17 janvier 2023 et le 19 février 2024, la société Études viabilisation développement construction (EVDC) conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 7 000 euros soit mise à la charge des requérants sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable ; d'une part, M. C..., domicilié au Maroc et résident espagnol, ne justifie d'aucun titre pour contester le permis d'aménager ; il n'a pas d'intérêt pour agir dès lors que la promesse de vente dont il se prévaut est fictive et frauduleuse et, en tout état de cause, caduque depuis le 1er juillet 2020 ; d'autre part, la société MetA... n'a pas notifié son recours, en méconnaissance de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme et ne justifie pas de son intérêt à agir ;
- les autres moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 21 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 8 mars 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- les observations de Me Taoumi, représentant la société MetA... et M. C... ;
- et les observations de Me Marcault-Derouard, représentant la société EVDC.
Une note en délibéré présentée par la SCI MetA... et M. C... a été enregistrée le 19 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 12 avril 2021, le maire de la commune de Matoury a délivré à la société Études viabilisation développement construction (EVDC) un permis d'aménager en vue de diviser la parcelle cadastrée section AE n° 563 en quarante lots à bâtir pour constituer le lotissement de la Crique Mancellière. M. C... et la société civile immobilière (SCI) MetA... ont demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler cet arrêté, cette dernière demandant en outre l'annulation de la décision implicite par laquelle la même autorité a refusé de retirer ce permis d'aménager. Par un jugement du 16 juin 2022 prononçant la jonction des deux instances, le tribunal a rejeté ces demandes. Par le présent recours, la société MetA... et M. C... relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 711-2 du code de justice administrative : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience. / (...) / L'avertissement est donné sept jours au moins avant l'audience. Toutefois, en cas d'urgence, ce délai peut être réduit à deux jours par une décision expresse du président de la formation de jugement qui est mentionnée sur l'avis d'audience. ". Aux termes de l'article R. 732-1 du même code : " Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l'article R. 222-13, le rapporteur public prononce ses conclusions lorsque le présent code l'impose. Les parties peuvent ensuite présenter, soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l'appui de leurs conclusions écrites. / (...) "
3. Il ressort des pièces de la procédure que la société MetA... a accusé réception le 9 mai 2022 du courrier l'avisant de l'enrôlement de son affaire à l'audience fixée au 25 mai 2022 à 10h30, et que ce n'est que le 24 mai 2022 à 16h13 qu'elle a accusé réception de l'avis de renvoi à l'audience du même jour à 8h30. Le délai de sept jours francs prévu par les dispositions précitées de l'article R. 711-2 du code de justice administrative n'a ainsi pas été respecté entre l'avis de renvoi et la tenue de l'audience, à laquelle la société requérante n'était pas représentée. Il s'ensuit que le jugement a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, alors même que le délai avait été respecté lors de l'envoi du premier avis d'audience.
4. Il résulte de ce qui précède que la société SCI MetA... est fondée à soutenir que le jugement du 16 juin 2022 est irrégulier en tant qu'il a statué sur sa demande de première instance. Il s'ensuit qu'il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande de la société MetA... et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions identiques présentées par M. C....
Sur la légalité de l'arrêté du 12 avril 2021 :
5. En premier lieu, et d'une part, lorsque l'autorité saisie d'une demande d'autorisation d'urbanisme vient à disposer, au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux, il lui revient de refuser la demande d'autorisation pour ce motif. La fraude, dont le juge de l'excès de pouvoir apprécie l'existence à la date de l'autorisation, est caractérisée lorsqu'il ressort des pièces du dossier, y compris le cas échéant au vu d'éléments dont l'administration n'avait pas connaissance à cette date, que le pétitionnaire a eu l'intention de tromper l'administration ou s'est livré à des manœuvres en vue d'obtenir une autorisation indue.
6. D'autre part, le dernier alinéa de l'article A. 424-8 du code de l'urbanisme dispose que : " Le permis est délivré sous réserve du droit des tiers : il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d'urbanisme. Il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé. Toute personne s'estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d'autres dispositions de droit privé peut donc faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d'urbanisme. ". Le permis de construire, qui est délivré sous réserve des droits des tiers, a pour seul objet d'assurer la conformité des travaux qu'il autorise avec la réglementation d'urbanisme. Dès lors, si le juge administratif doit, pour apprécier la légalité du permis au regard des règles d'urbanisme relatives à la desserte et à l'accès des engins d'incendie et de secours, s'assurer de l'existence d'une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l'existence d'un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie, il ne lui appartient pas de vérifier ni la validité de cette servitude ni l'existence d'un titre permettant l'utilisation de la voie qu'elle dessert, si elle est privée, dès lors que celle-ci est ouverte à la circulation publique.
7. Il ressort des pièces du dossier que, le terrain d'assiette du projet étant initialement enclavé, la société EVDC et la société MetA... avaient signé le 20 mai 2013 un protocole d'accord de cessions réciproques de terrains afin de créer une voie reliant ce terrain à la route nationale n° 2. La société MetA... ayant résilié unilatéralement ce protocole par un courrier du 8 décembre 2015, la société EVDC l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Cayenne pour rupture abusive du protocole d'accord et constitution d'une servitude de désenclavement. Par un jugement du 14 septembre 2020, ce tribunal a jugé que la résiliation de l'accord était abusive et que, en l'état des pièces versées à l'instance, la parcelle cadastrée section AE n° 563 étant enclavée, la société EVDC devait bénéficier d'une servitude de passage d'une emprise de quinze mètres sur cent sur le fonds voisin constitué de la parcelle cadastrée section AL n° 720 appartenant à la société MetA... en contrepartie du paiement au profit de cette dernière d'une indemnité de 105 000 euros. La seule circonstance que la société pétitionnaire, propriétaire du terrain à diviser et dont le droit à la servitude était ainsi reconnu, n'a pas informé la commune que le jugement n'était pas assorti de l'exécution provisoire, ne suffit pas à caractériser l'intention de tromper l'administration sur l'existence d'une voie d'accès. La fraude ne résulte pas davantage de ce que la société MetA... a relevé appel du jugement le 19 novembre 2020, aucune pièce ne démontrant d'ailleurs que la société pétitionnaire était informée de cet appel lors du dépôt du dossier de permis d'aménager en mairie le 24 novembre 2020. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, la société EVDC n'a pas usé de manœuvres pour induire en erreur le service instructeur sur l'existence de la servitude de passage établie par voie judiciaire, et le moyen tiré de ce que le permis d'aménager aurait été obtenu par fraude, obligeant le maire à le retirer, doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 UB de du plan local d'urbanisme de la commune de Matoury auquel renvoie l'article 3 AUb applicable au terrain d'assiette du projet : " 2. Voirie. La création des voies publiques ou privées ouvertes à la circulation automobile est soumise aux conditions suivantes : - La largeur minimale de l'emprise sera de 5 m lorsqu'il n'y a qu'un seul logement à desservir ; Au-delà, la largeur de l'emprise sera fonction du nombre de logements desservis avec un minimum de 10 m ".
9. Le projet prévoit que l'accès à la parcelle qui fait l'objet de la division en lots à bâtir sera aménagé par la création d'une voie privée ouverte à la circulation automobile reliant le terrain au chemin des " Écarts de la désirée ". Il résulte du jugement du tribunal de grande instance de Cayenne du 14 septembre 2020 instituant la servitude de passage aux fins de créer la voie privée permettant l'accès au terrain que l'emprise de celle-ci a une largeur de quinze mètres, satisfaisant ainsi aux prescriptions de l'article 3 UAb du règlement du PLU de la commune de Matoury. Ces dispositions ne définissant pas la largeur de la bande roulante et ne s'appliquant pas aux voies existantes, les requérants ne peuvent utilement faire valoir que la bande roulante de la voie privée serait inférieure à dix mètres ni soutenir que le chemin des " Écarts de la désirée " ne respecterait pas cette largeur.
10. En troisième lieu, la commune de Matoury étant dotée d'un plan local d'urbanisme, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme, qui n'est pas applicable dans les territoires dotés d'un tel document d'urbanisme en vertu de l'article R. 111-1 du même code, est inopérant.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".
12. Il ressort des pièces du dossier que, comme il a été dit, d'une part, le terrain d'assiette du projet de lotissement est desservi par une voie d'accès à créer sur le fonds servant voisin grevé de la servitude de passage accordée par voie judiciaire à la société pétitionnaire. La configuration de cette voie à créer, rectiligne et d'une largeur de quinze mètres, assure un accès aux véhicules de secours sans risque et n'est ainsi pas de nature à porter atteinte à la sécurité publique. Il en va de même de la desserte assurée par le chemin des " Écarts de la désirée " qui conduit à la route nationale n° 2, lequel est également rectiligne et d'une largeur suffisante, accotements compris, pour être emprunté par les véhicules de secours et assurer une circulation sans risque. D'autre part, l'allégation selon laquelle la parcelle du projet, située au pied du mont Matoury, serait inondable, n'est assortie d'aucun élément permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Il s'ensuit que, dans toutes ses branches, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que la société MetA... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du maire de Matoury du 12 avril 2020 et de la décision implicite née du silence gardé par cette autorité sur sa demande tendant au retrait du permis d'aménager, et que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Dès lors que l'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent être que rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société MetA... et de M. C... une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Matoury et la même somme à verser à la société EVDC. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune et de la société pétitionnaire, qui ne sont pas les parties perdantes à la présente instance, la somme que demandent au même titre la SCI MetA... et M. C....
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 16 juin 2022 est annulé en tant qu'il statue sur la requête présentée par la société MetA... sous le n° 2101446.
Article 2 : La demande présentée par la société MetA... devant le tribunal et la requête présentée par M. C... sont rejetées.
Article 3 : La société MetA... et M. C... verseront une somme totale de 1 500 euros à la commune de Matoury sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La société MetA... et M. C... verseront une somme totale de 1 500 euros à la société EVDC sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière MetA..., à M. B... C..., à la commune de Matoury et à la société " Études viabilisation développement construction ".
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
M. Laurent Pouget, président,
Mme Valérie Réaut, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
La rapporteure,
Valérie RéautLe président,
Luc Derepas Le greffier
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au préfet de la Guyane en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX02174