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05/12/2024 | FRANCE | N°24BX01958

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 05 décembre 2024, 24BX01958


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour.



Par un jugement n° 2400916 du 6 mai 2024, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 4 août 2024, M. D... C..., représenté par

M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2400916 du 6 mai 2024, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2024, M. D... C..., représenté par

Me Méaude, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 26 octobre 2023 ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " ou " salarié ", dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de lui enjoindre de réexaminer sa demande dans le mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous les mêmes conditions d'astreinte, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder à la suppression des informations le concernant du fichier de traitement informatisé de données à caractère personnel relatives aux étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 1500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

En ce qui concerne le titre de séjour :

- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il ne justifiait pas de son identité et de sa nationalité au moyen de documents conformes ; la seule mention contradictoire au fichier Visabio n'est pas suffisante pour admettre le caractère frauduleux des actes d'état civil qu'il avait produits au soutien de sa demande de titre de séjour, dont les mentions sont d'ailleurs convergentes avec celles portées sur sa carte consulaire, son certificat de nationalité et son extrait d'acte de naissance dont l'authenticité n'est pas remise en cause par le préfet ; s'agissant du jugement supplétif, aucun élément technique ne permet de considérer qu'il est contrefait et, en ce qui concerne l'acte de naissance, aucun élément ne permet de démontrer qu'il aurait été découpé aux ciseaux, tandis que l'absence de numéro de feuillet n'est pas de nature à démontrer son inauthenticité ; le procureur de la République, saisi sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, n'a pas donné suite à cette saisine ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet n'a pas tenu compte de l'avis favorable de sa structure d'accueil, qui atteste de sa bonne intégration sociale et professionnelle, ni de sa réussite scolaire et de ses perspectives professionnelles ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ; il a tissé des relations amicales en France, où il réside depuis trois ans et où il est intégré, ce dont attestent son parcours d'apprentissage et de formation réussi, notamment en CAP Boulangerie depuis 2022, ainsi que les évaluations positives de sa structure d'accueil et de son employeur.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne le pays de renvoi :

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 octobre 2024 le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses écritures de première instance, qu'il joint.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les observations de Me Meaude, représentant M. D... C....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... C..., est entré en France selon ses déclarations, le 5 octobre 2020 et a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Le 13 juillet 2022, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 octobre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. L'intéressé relève appel du jugement n° 2400916

du 6 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".

3. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, M. D... C... a présenté un jugement supplétif rendu le 8 septembre 2020 par le tribunal civil de la commune II du district de Bamako, un acte et un extrait d'acte de naissance, une carte d'identité consulaire malienne et un certificat de nationalité malienne au vu desquels il serait né le 26 juin 2004 à Bamako, au Mali. Toutefois, la consultation du fichier Visabio a permis au préfet de la Gironde de constater, en se fondant sur la correspondance de ses empreintes digitales et par comparaison de sa photographie, que l'intéressé avait sollicité le 5 août 2020 la délivrance d'un visa auprès des autorités consulaires italiennes basées à Dakar, muni d'un passeport sénégalais au nom de D... B..., né le 5 octobre 2000, dont l'authenticité n'avait alors pas été remise en cause. Il en résulte que l'intéressé est connu sous deux identités dont l'une est nécessairement fausse.

6. Les services de la cellule fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale de la police aux frontières du Sud-Ouest, saisis par le préfet dans le cadre de l'instruction de la demande de titre de séjour de l'intéressé, ont relevé que plusieurs irrégularités affecteraient les justificatifs d'état civil produits au nom de M. D... C.... D'une part, s'agissant du jugement supplétif du 8 septembre 2020, le rapport établi par ces services souligne qu'il n'intègre aucune sécurité et qu'il a été imprimé numériquement sur papier ordinaire au format A4. D'autre part, en ce qui concerne l'acte de naissance produit, les services de la cellule fraude documentaire et à l'identité ont relevé une découpe irrégulière à la main à l'aide de ciseaux crantés, alors qu'un document authentique comporte des pointillés pour faciliter la séparation des différents volets, des dimensions de 29 cm sur 14,5 cm non conformes aux prescriptions de l'arrêté interministériel malien n°0255/MAT-MJDH-SG du 26 février 2016 qui impose un format de 29 cm sur 13 cm, ainsi que l'absence de numéro de feuillet sur le document, alors qu'un tel numéro est nécessaire pour permettre à l'officier d'état civil de clôturer les registres le 31 décembre de chaque année. Enfin, ils ont à juste titre écarté toute valeur probante de l'extrait d'acte de naissance, du certificat de nationalité et de la carte d'identité consulaire aux motifs, s'agissant des deux premiers, qu'ils n'avaient été délivrés que sur présentation de l'acte de naissance, lui-même contrefait, et concernant la carte d'identité consulaire, qu'un tel document a pour seule vocation d'établir la preuve matérielle de l'enregistrement de l'intéressé à l'ambassade du Mali en France et qu'il ne saurait constituer un acte d'état civil.

7. Dans ces circonstances, compte tenu d'une part de la présence des empreintes digitales et de la photographie de l'intéressé dans le système Visabio, dans le cadre d'une demande de visa émise le 5 août 2020 sous l'identité de M. D... B..., né à Guediawaye (Sénégal) le 5 octobre 2000, pour laquelle aucune explication n'a été apportée en première instance comme en appel et, d'autre part, des éléments circonstanciés retenus par les services de la cellule fraude documentaire, que le préfet s'est appropriés, celui-ci a pu légalement considérer que les éléments en sa possession étaient suffisants pour écarter comme dépourvus de valeur probante les actes d'état civil communiqués par l'intéressé et estimer, sans commettre d'erreur de fait au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il ne justifiait pas de sa minorité lors de son entrée en France. La circonstance que le procureur de la République, saisi par le préfet pour fraude à l'identité, n'ait pas donné suite à cette saisine est sans incidence sur la légalité de l'appréciation portée par le préfet sur la force probante des actes produits par le requérant.

8. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

9. Si le requérant se prévaut des attaches qu'il a nouées sur le territoire français, où il séjournait depuis plus de trois ans à la date de la décision contestée, il n'établit pas la réalité de tels liens personnels en produisant deux attestations de personnes se présentant comme ses amis alors qu'il ressort de sa demande de titre de séjour que ses parents ainsi que sa sœur résident au Mali. De plus, s'il indique avoir été scolarisé dans le cadre du dispositif " prépa apprentissage " au CFA de l'Institut des Métiers et de l'Artisanat de Bordeaux Lac à compter du 7 janvier 2021, puis, dans le cadre d'un contrat jeune majeur, avoir débuté un CAP boulangerie en apprentissage à compter du 14 novembre 2022, les bulletins de notes versés au dossier au titre de cette dernière formation font ressortir des retards et des absences fréquents, dont beaucoup ne sont pas justifiés, qui nuisent à son suivi et à son apprentissage. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que le refus de titre de séjour en litige porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ni qu'il méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précitées. Pour les mêmes motifs, la décision contestée n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

10. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de la décision de refus de titre de séjour.

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent être accueillis.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

12. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, et il ne critique pas autrement le pays de renvoi.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.

Le rapporteur,

Antoine A...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX01958


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX01958
Date de la décision : 05/12/2024

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Antoine RIVES
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : MEAUDE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-05;24bx01958 ?
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