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28/11/2024 | FRANCE | N°24BX01240

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 28 novembre 2024, 24BX01240


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 26 mai 2023 par laquelle le préfet de la Gironde a rejeté sa demande en vue d'obtenir le bénéfice du regroupement familial pour son fils A... B....



Par un jugement n° 2304063 du 20 mars 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 23 mai 2024, Mme

D..., représentée par Me Jourdain de Muizon, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 26 mai 2023 par laquelle le préfet de la Gironde a rejeté sa demande en vue d'obtenir le bénéfice du regroupement familial pour son fils A... B....

Par un jugement n° 2304063 du 20 mars 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mai 2024, Mme D..., représentée par Me Jourdain de Muizon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 mars 2024 ;

2°) d'annuler la décision du 26 mai 2023 par laquelle le préfet de la Gironde a rejeté sa demande en vue d'obtenir le bénéfice du regroupement familial pour son fils A... B... ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, à titre principal, de faire droit à sa demande de regroupement familial ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en recourant, par substitution de motifs, à des arguments qui n'avaient pas été invoqués par le préfet de la Gironde ;

- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée et comporte une motivation erronée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur de droit, le préfet de la Gironde s'étant estimé en situation de compétence liée au regard du défaut de la condition de ressources suffisantes ;

- elle méconnait son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ;

- elle méconnait les stipulations du 1° de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'il confirme les termes de son mémoire en défense transmis en première instance.

Par une décision n° 2024/001006 du 25 avril 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis Mme D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,

- et les observations de Me Jourdain de Muizon, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D..., ressortissante ivoirienne née le 25 novembre 1986, est entrée sur le territoire français le 1er avril 2016. Elle est titulaire d'une carte de résident de dix ans, valable pour la période du 14 juin 2019 au 13 juin 2029. Elle a déposé, en dernier lieu le 10 mai 2022, une demande de regroupement familial au bénéfice de son fils A... B..., ressortissant ivoirien né le 8 décembre 2004. Par une décision du 26 mai 2023, le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à cette demande. Par un jugement du 20 mars 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. Par la présente requête, Mme D... relève appel de ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1o Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; / 2o Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Aux termes de l'article L. 434-7 du même code : " L'étranger qui en fait la demande est autorisé à être rejoint au titre du regroupement familial s'il remplit les conditions suivantes : / 1o Il justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille ; / 2o Il dispose ou disposera à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; / 3o Il se conforme aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. ".

3. D'autre part, aux de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1.- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2.- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

4. Si l'autorité administrative peut légalement rejeter une demande de regroupement familial sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle ne peut le faire qu'après avoir vérifié que, ce faisant, elle ne porte pas une atteinte excessive au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Si le préfet de la Gironde pouvait légalement fonder sa décision sur l'insuffisance des ressources de Mme D..., il ne se trouvait pas en situation de compétence liée et il lui appartenait de procéder à un examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des incidences de son refus sur la situation de la requérante au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or, pour refuser de faire droit à la demande de regroupement familial de Mme D..., le préfet de la Gironde, après avoir constaté l'insuffisance des ressources de la demandeuse, s'est borné à indiquer, sans mentionner d'éléments circonstanciés tenant à la situation familiale de l'intéressée, que " le refus ne porte pas une atteinte disproportionnée à [son] droit à mener une vie familiale normale conformément aux dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où [elle a] la possibilité de déposer une nouvelle demande de regroupement familial dès lors que les conditions relatives aux ressources et au logement seront remplies". Ce faisant, et alors au demeurant que l'accès à la majorité du fils de Mme D..., que l'administration ne pouvait ignorer, ne lui permet plus de faire une telle demande en application de l'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Gironde n'a pas procédé à un examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des incidences de son refus sur la situation de la requérante au regard du droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale, tel que protégé par les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le préfet de la Gironde a méconnu l'étendue de sa compétence et entaché d'erreur de droit la décision en litige.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, seul susceptible de l'être en l'état de l'instruction, l'exécution du présent jugement implique seulement que le préfet de la Gironde procède au réexamen de la demande de Mme D..., en prenant en compte l'âge de son fils à la date de cette demande. Par suite, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, Me Jourdain de Muizon, de la somme de 1 200 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 20 mars 2024 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : La décision du préfet de la Gironde du 26 mai 2023 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de procéder à un nouvel examen de la demande de Mme D... tendant au bénéfice du regroupement familial au profit de son fils A... B..., dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Jourdain de Muizon, avocate de Mme D..., la somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., à Me Jourdain de Muizon, au préfet de la Gironde et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,

Mme Kolia Gallier Kerjean, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2024.

La rapporteure,

Béatrice Molina-Andréo

La présidente,

Evelyne Balzamo

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX01240


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24BX01240
Date de la décision : 28/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Béatrice MOLINA-ANDREO
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : JOURDAIN DE MUIZON

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-28;24bx01240 ?
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