La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/2024 | FRANCE | N°23BX00825

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 28 novembre 2024, 23BX00825


Vu la procédure suivante :



Procédure initiale devant la cour :



Par une requête enregistrée le 12 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Limoges et transmise à la cour administrative d'appel de Bordeaux par ordonnance du président du tribunal du 10 septembre 2019, et par un mémoire enregistré le 14 novembre 2020, l'association de défense du bois de Bouéry, représentée par Me Takoudju, a demandé à la cour :



1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa

demande formée le 11 août 2018 tendant à ce qu'il soit demandé à la société Parc éolien de Mailhac-sur...

Vu la procédure suivante :

Procédure initiale devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Limoges et transmise à la cour administrative d'appel de Bordeaux par ordonnance du président du tribunal du 10 septembre 2019, et par un mémoire enregistré le 14 novembre 2020, l'association de défense du bois de Bouéry, représentée par Me Takoudju, a demandé à la cour :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande formée le 11 août 2018 tendant à ce qu'il soit demandé à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de présenter une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de mettre en demeure la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de déposer un dossier de demande de dérogation au titre de la destruction d'habitats d'espèces protégées et de se prononcer sur l'octroi d'un arrêté portant dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'un intérêt à agir ;

- de très nombreuses espèces de chiroptères et d'oiseaux protégés au titre de l'article L. 411-1 du code de l'environnement sont présentes sur le site et la dérogation au titre de l'article L. 411-2 de ce code aurait dû être sollicitée par la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize ;

- le bois de Bouéry a été classé en zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1 par décision du 22 juillet 2019 ; l'effet lisière engendré par la création du parc éolien pourrait entrainer une augmentation de la mortalité des chiroptères ; l'autorité environnementale, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel de Nouvelle-Aquitaine et la commission d'enquête ont émis de grandes réserves sur ce projet et notamment sur la bonne prise en compte des impacts du projet sur les espèces protégées présentes sur le site ; les recommandations d'Eurobats ont été déformées pour minimiser le risque de mortalité des chiroptères ; les mesures d'évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire sont insuffisantes.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 mars et 11 décembre 2020, la société par actions simplifiée (SAS) Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, représentée par Me Elfassi, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'association de défense du bois de Bouéry le paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, faute pour la requérante de justifier de son intérêt à agir ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 19BX03522 du 9 mars 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé la décision implicite du préfet de la Haute-Vienne et enjoint au préfet de demander à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de déposer une demande de dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dans un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt.

Par une décision n° 452445 du 27 mars 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, a annulé l'arrêt du 9 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour administrative d'appel après renvoi du Conseil d'Etat :

Par des mémoires, enregistrés le 21 février 2024, 16 juillet 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, et 9 octobre 2024, l'association de défense du bois de Bouéry, représentée par Me Takoudju, déclare reprendre l'ensemble de ses précédentes écritures.

Elle ajoute que :

- le site d'implantation du projet constitue une réserve importante de biodiversité, riche en espèces protégées, avec la présence de 23 espèces d'oiseaux et 19 espèces de chauves-souris ; en outre, la ligue de protection des oiseaux (LPO) a mis en évidence, dans sa note d'information de mai 2023 et récemment encore dans une note d'information de septembre 2024, la présence de la cigogne noire sur le site d'implantation du projet ;

- le pétitionnaire a fait le choix de l'implantation du projet en plein cœur d'une forêt de feuillus ; or, ce choix est en contradiction avec le risque que cela fait peser sur la sauvegarde des populations de chiroptères ; le non évitement de cette zone est donc particulièrement critiquable, d'autant que les mesures de réduction proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux en termes d'impact sur ces populations ;

- la mesure de bridage proposée par le pétitionnaire, modifiée par l'arrêté du préfet du 27 février 2023, est sous-dimensionnée par rapport au risque de mortalité des chiroptères ; cette mesure est généraliste et moins contraignante que dans un milieu non forestier ; le bridage ne permet qu'une réduction partielle de la mortalité ;

- il y a ainsi lieu, en considération des mesures d'évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire, d'ordonner à l'administration de solliciter auprès de celui-ci une demande de dérogation à la destruction des espèces protégées.

Par des mémoires, enregistrés les 18 mars et 13 septembre 2024, la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, représentée par Me Elfassi, conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à ce qu'il soit sursis à statuer en application du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement afin que le vice tiré de l'absence de dérogation à la destruction des espèces protégées soit régularisé, et à ce que soit mis à la charge de l'association de défense du bois de Bouéry le paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de ce que le projet nécessiterait le dépôt d'une demande de dérogation à la destruction des espèces protégées est inopérant, dès lors que la décision portant autorisation d'exploiter le parc éolien en litige n'a reçu aucun commencement d'exécution ;

- en tout état de cause, le moyen n'est pas fondé ; le Conseil d'Etat a censuré l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux ayant jugé que le pétitionnaire était tenu de déposer une demande de dérogation à la destruction des espèces protégées ; le risque de mortalité des espèces protégées n'apparait pas comme étant suffisamment caractérisé, ce d'autant que la cigogne noire n'est plus présente sur le site ; les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer suffisamment le risque pour l'avifaune et les chiroptères au point qu'il n'apparaisse pas suffisamment caractérisé ;

- à titre subsidiaire, si la cour considérait que l'obtention d'une telle dérogation était justifiée, elle ferait application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement afin de surseoir à statuer le temps de régulariser le vice.

Par un mémoire, enregistré le 21 juin 2024, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le niveau de risque du projet éolien sur les espèces avifaunistiques et sur les chiroptères protégés, après application des mesures d'évitement et de réduction, présentant des garanties d'effectivité suffisantes, est diminué au point qu'il apparait comme n'étant pas suffisamment caractérisé ; ces garanties d'effectivité sont renforcées par les mesures de suivi retenues ; il n'y avait pas lieu de lui ordonner de solliciter auprès du pétitionnaire une demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Lucie Cazcarra,

- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,

- et les observations de Me Elfassi, représentant la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 9 décembre 2016, le préfet de la Haute-Vienne a délivré à la société EDF EN France devenue EDF Renouvelables France, un permis de construire un parc éolien composé de sept aérogénérateurs d'une hauteur de 180 mètres en bout de pale, deux postes de livraison et un pylône de supervision, sur le territoire de la commune de Mailhac-sur-Benaize. Précédemment, par décision du 15 avril 2016, le préfet de la Haute-Vienne a accordé au pétitionnaire, pour le compte de la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, l'autorisation de défricher 2,6954 hectares de parcelles de bois, situés sur le territoire de la même commune. Le 14 décembre 2018, le préfet de la Haute-Vienne a abrogé la précédente autorisation de défrichement et pris une nouvelle autorisation de défrichement au profit de la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, filiale de la société EDF Renouvelables France. Par courrier du 11 août 2018, l'association de défense du bois de Bouéry a demandé au préfet de la Haute-Vienne de solliciter du pétitionnaire qu'il présente, dans le cadre de son projet de parc éolien, une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. En l'absence de réponse expresse, une décision implicite de rejet est née dont l'association requérante a demandé l'annulation à la cour. Par un arrêt n° 19BX03522 du 9 mars 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé la décision implicite du préfet de la Haute-Vienne et lui a enjoint de demander à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de déposer un dossier de demande de dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dans un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt. Par une décision n° 452445 du 27 mars 2023, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 mars 2021 au motif d'une erreur de droit et a renvoyé l'affaire devant la cour.

Sur la légalité de la décision attaquée :

2. L'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, (...) / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".

3. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens d'une espèce protégée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

4. L'association de défense du bois de Bouéry soutient que le parc éolien risque de porter atteinte à l'avifaune et aux chiroptères présents dans le bois de Bouéry et que le préfet de la Haute-Vienne aurait, dès lors, dû demander au pétitionnaire de déposer un dossier de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées en application des dispositions précitées du code de l'environnement. Il résulte de l'instruction que, par un arrêté du 27 février 2023, la préfète de la Haute-Vienne a autorisé la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize à exploiter sur le territoire de cette commune un parc éolien de sept aérogénérateurs, en précisant en son article 1er que cette autorisation " ne pourra être exécutée qu'après l'obtention d'une dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ou d'une décision définitive des juridictions administratives infirmant cette obligation ". Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la société pétitionnaire, le moyen tiré de la nécessité de déposer une demande de dérogation aux espèces protégées n'est pas inopérant.

5. Le secteur d'implantation du projet est marqué par la présence du bois de Bouéry, qui constitue une réserve importante de biodiversité, classée en ZNIEFF de type 1, ainsi que l'ont rappelé la mission régionale d'autorité environnementale (MRAE) le 17 janvier 2018 et le comité scientifique régional du patrimoine naturel de Nouvelle-Aquitaine, le 1er février 2018. Il résulte en premier lieu de l'instruction, en particulier de l'étude d'impact, que 19 espèces de chiroptères ont été recensées dans le secteur d'implantation du projet, dont plus de la moitié présente une patrimonialité importante. La pipistrelle de Nathusius, la pipistrelle de Kuhl, la barbastelle d'Europe et la pipistrelle commune, espèces les plus abondantes sur le site d'implantation du projet, présentent un enjeu modéré à fort. Les autres espèces contactées présentent quant à elles un enjeu faible à modéré. Il résulte toutefois de l'instruction que l'impact du projet sur les gîtes des chiroptères est qualifié de nul dès lors que les arbres qui seront coupés sont jeunes et n'offrent ni cavité ni écorces soulevées sur les zones d'emprises des défrichements, de sorte qu'aucune mesure d'évitement, de réduction n'est prévue par le pétitionnaire sur ce point. Par ailleurs, l'impact résiduel du projet sur les chiroptères est qualifié de nul en phase de construction, après la mise en place d'une mesure de réduction consistant en un suivi de l'abattage des arbres par un écologue entre fin novembre et le début du printemps. L'impact résiduel est évalué à très faible en phase d'exploitation après mise en œuvre des mesures d'évitement et de réduction consistant en la mise en place d'un bridage des éoliennes afin de supprimer le risque de collision mortelle des chiroptères, en l'amélioration de l'offre de gîte sur le site d'implantation du projet, et en la mise en place d'un suivi de l'activité et de la mortalité des chiroptères. Ces mesures d'évitement et de réduction présentent des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour ces espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

6. Il résulte, en second lieu, de l'instruction, que 23 espèces patrimoniales d'oiseaux ont été recensées dans le secteur d'implantation du projet éolien. L'enjeu est qualifié de modéré à fort s'agissant de la grue cendrée et de " l'autour des palombes ", mais de faible à modéré pour les autres espèces d'oiseaux. S'agissant de la migration, les effets biologiques attendus, effet barrière et collision, sont dans l'ensemble faibles et non susceptibles de remettre en cause le statut de conservation des espèces migratrices observées. L'impact brut du projet sur l'avifaune tant en phase travaux qu'en phase d'exploitation est qualifié de nul à faible, sauf l'impact brut du projet sur la reproduction de l'avifaune en phase travaux, qualifié de fort s'agissant notamment du pouillot siffleur, du pic mar et du pic noir. L'impact résiduel est qualifié de nul après la mise en œuvre des mesures de réduction C16 consistant en la prévision d'un calendrier excluant tout début de travaux en période de reproduction de l'avifaune et la mise en place d'un suivi par un écologue. Par suite, compte tenu de l'enjeu identifié et des mesures d'évitement et de réduction retenues par le pétitionnaire, il ne résulte pas de l'instruction que ce projet présente un risque suffisamment caractérisé de destruction d'individus ou d'habitats sensibles s'agissant de l'avifaune.

7. L'association de défense du bois de Bouéry se prévaut toutefois d'une note d'information réalisée par la ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de juin 2023 indiquant l'existence d'une nidification de la cigogne noire dans le bois du Bouéry, laquelle a été confirmée par l'office français de la biodiversité qui s'est rendu sur place. La cigogne noire est inscrite à l'annexe 1 de la directive 2009/147/CE concernant la conservation des oiseaux sauvages et comme espèce protégée par l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Elle est classée EN (en danger) sur la liste rouge nationale des oiseaux nicheurs de France métropolitaine. La cigogne noire est un oiseau à grand territoire qui niche en forêt et revient plusieurs années de suite dans les mêmes secteurs pour nidifier. En période de nourrissage des jeunes, les adultes vont se nourrir régulièrement jusqu'à une vingtaine de kilomètres du nid et la distance minimale recommandée entre des éoliennes et un site de reproduction de la cigogne noire est de 3 000 mètres. Si la société pétitionnaire fait valoir, qu'au terme d'une étude spécifique menée sur la cigogne noire aux abords du projet de février à août 2024, la cigogne noire n'est pas revenue nicher à l'endroit où elle avait été observée en 2023 et n'est plus présente dans la zone du projet, ce constat est contredit par les observations réalisées par la LPO. Il ressort en effet de photographies produites par l'association de défense du bois de Bouéry que la présence de la cigogne noire a été relevée le 18 mars 2024 à 1 km au nord-ouest du bois de Bouéry puis les 30 mai et 14 juillet 2024 à 6,8 km au nord-ouest de ce même bois. Dans ces conditions, bien qu'aucune cigogne ne soit revenue dans le secteur pour nidifier, la présence avérée de cigognes dans les aires d'étude intermédiaire et rapprochée est un facteur significatif de risque de collision avec les aérogénérateurs. Par suite, l'atteinte que le parc projeté fera peser sur la conservation de cette espèce à proximité immédiate du site d'implantation des éoliennes constitue un grave danger ou inconvénient pour l'environnement, qui ne peut pas être prévenu par les mesures spécifiées dans l'arrêté d'autorisation. Dans ces conditions, la société pétitionnaire aurait dû solliciter, pour la cigogne noire, une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats, prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

8. Il résulte de ce qui précède que l'association de défense du bois de Bouéry est fondée à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande formée le 11 août 2018 tendant à ce qu'il soit demandé à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de présenter une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, s'agissant de la seule espèce de la cigogne noire.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Dès lors que le juge administratif est seulement saisi de conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite relative à l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, distincte de l'autorisation environnementale délivrée par arrêté du 27 février 2023, il n'y a pas lieu de prononcer un sursis à statuer sur le fondement de l'article L. 181-18 du code de l'environnement. L'exécution du présent arrêt implique en revanche qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Vienne de demander à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, de déposer un dossier de demande de dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement en ce qui concerne la cigogne noire.

Sur les frais liés au litige :

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge ni de l'Etat, ni de l'association, les sommes demandées respectivement par l'association de défense du bois de Bouéry et par la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a rejeté la demande de l'association de défense du bois de Bouéry tendant à ce qu'il soit demandé à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize de présenter une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégée est annulée, s'agissant de la cigogne noire.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Vienne de demander à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, de déposer un dossier de demande de dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement en ce qui concerne la cigogne noire.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association de défense du bois de Bouéry, à la société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à EDF énergies nouvelles France devenue EDF renouvelables France.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Bénédicte Martin, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2024.

La rapporteure,

Lucie CazcarraLa présidente,

Bénédicte Martin La greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX00825 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00825
Date de la décision : 28/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARTIN
Rapporteur ?: Mme Lucie CAZCARRA
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : MENARD;MENARD;MENARD

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-28;23bx00825 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award