Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Saint-Barthélémy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des prélèvements sociaux auxquels il a été assujetti au titre de l'année 2013, et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2100021 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Saint-Barthélémy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Duret, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Saint-Barthélémy du 11 octobre 2022 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de prélèvements sociaux, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus mis à sa charge au titre de l'année 2013 et des pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Concernant les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu :
- il est bien-fondé à se prévaloir de l'application du régime prévu par l'article 151 septies A du code général des impôts dans la mesure où le non respect du délai légal de deux ans entre la cession de ses parts et la cessation de ses fonctions résulte d'un cas de force majeure ; il doit par ailleurs être fait une application mesurée de la loi fiscale ainsi que cela ressort d'un courrier adressé par la direction de la législation fiscale au conseil supérieur du notariat ;
- l'administration a estimé à tort que le prix de vente de ses parts dans la SCP Massiani-Roquebert à son fils, D... B..., était insuffisant : il a appliqué une méthode de valorisation conforme aux statuts de la SCP et aux usages de la profession de notaire ; il existe plusieurs méthodes de valorisation et, en tout état de cause, l'écart de valorisation n'est pas significatif ;
- subsidiairement, à supposer même que la valorisation des parts de la SCP conduise à une insuffisance de prix, le supplément d'imposition n'aurait pas dû être imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux : la renonciation à recettes n'est pas anormale dès lors que la valorisation effectuée tient compte des usages de la profession de notaire ; le produit de la cession des parts d'une SCP ne constitue pas une recette perçue dans le cadre d'une activité professionnelle mais le produit de cession d'un élément d'actif affecté à l'exercice de la profession ;
Concernant les pénalités :
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas fondée, tant pour l'impôt sur le revenu que pour les prélèvements sociaux, dès lors qu'il n'a eu aucune intention d'éluder l'impôt.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 22 novembre 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lucie Cazcarra,
- et les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., notaire, détenait 766 parts dans le capital de la société civile professionnelle (SCP) Massiani-Roquebert. Par acte de cession du 8 octobre 2012, il a cédé la moitié de ses parts à son fils, D..., pour un montant de 600 000 euros avant de céder, le 20 mai 2014, l'autre moitié de ses parts à son fils, C..., pour un montant total de 500 000 euros. La plus-value de 851 506 euros, dégagée lors de ces deux cessions, a été déclarée par M. B... dans sa déclaration de revenus au titre de l'année 2015, année de son départ à la retraite. La SCP Massiani-Roquebert a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle, par une proposition de rectification du 21 octobre 2016, l'administration fiscale a informé M. A... B... de son intention de procéder au rehaussement des bases soumises à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux pour renonciation à recettes suite à la constatation d'une sous-évaluation des parts cédées à son fils, D..., à hauteur de 129 135 euros. Elle l'a également informé de son intention de procéder à la taxation de la plus-value générée lors de la première cession de parts réputée réalisée en juin 2013 pour un montant de 67 705 euros. A la suite d'un avis rendu par la commission départementale de conciliation, l'administration fiscale a finalement retenu une sous-évaluation du prix de cession des parts d'un montant de 16 000 euros pour cette transaction et a rehaussé en conséquence le revenu imposable de M. B... au titre des bénéfices non commerciaux au titre de l'année 2013. A la suite du rejet de sa réclamation contentieuse, M. B... a demandé au tribunal administratif de Saint-Barthélémy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013, et des pénalités correspondantes. Par la présente requête, il relève appel du jugement du 11 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Saint-Barthélémy a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'exonération prévue à l'article 151 septies A du code général des impôts :
2. Aux termes de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " I.-Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies, autres que celles mentionnées au III, réalisées dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, sont exonérées lorsque les conditions suivantes sont réunies : 1° L'activité doit avoir été exercée pendant au moins cinq ans ; / 2° La cession est réalisée à titre onéreux et porte sur une entreprise individuelle ou sur l'intégralité des droits ou parts détenus par un contribuable qui exerce son activité professionnelle dans le cadre d'une société ou d'un groupement dont les bénéfices sont, en application des articles 8 et 8 ter, soumis en son nom à l'impôt sur le revenu et qui sont considérés comme des éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession au sens du I de l'article 151 nonies ; / 3° Le cédant cesse toute fonction dans l'entreprise individuelle cédée ou dans la société ou le groupement dont les droits ou parts sont cédés et fait valoir ses droits à la retraite, dans les deux années suivant ou précédant la cession ; / (...) ".
3. Dans le cas présent, M. B... a cédé la première moitié des parts qu'il détenait dans la SCP Massiani-Roquebert à son fils, D..., le 8 octobre 2012. La plus-value réalisée lors de cette cession est réputée avoir été réalisée le 26 juin 2013, date de publication au Journal officiel de l'arrêté du Garde des Sceaux du 18 juin 2013 nommant M. D... B... en qualité de notaire associé. Or, M. B... a cessé ses fonctions le 28 octobre 2015, date de publication au Journal officiel de l'arrêté du Garde des Sceaux mettant fin à ses fonctions. Il est donc constant que le délai légal de deux ans entre la cession et la cessation de fonction n'a pas été respecté.
4. M. B... fait valoir que la méconnaissance de ce délai ne peut lui être imputée, le délai d'octroi du prêt bancaire pour l'installation de son fils étant constitutif d'un cas de force majeure justifiant du non-respect de ce délai. Dans le cadre de la cession de la seconde moitié des parts de M. B... au profit de son autre fils, C..., l'association notariale de caution a en effet décidé de surseoir à statuer pour donner son cautionnement au prêt d'installation de C... B... compte tenu du projet de réforme des professions réglementées et des incertitudes qui pesaient alors sur le notariat. Bien que l'association notariale de caution ait considéré le dossier de M. B... " éligible au cas de force majeure ", un refus de cautionnement ne peut être exclu lors de la souscription d'un prêt bancaire et ne révèle dès lors pas de caractère imprévisible. Ainsi, faute pour M. B... d'établir le caractère imprévisible des circonstances qu'il invoque, il n'est pas fondé à se prévaloir de la force majeure. Enfin, si dans un courrier du 20 septembre 2016, la direction de la législation fiscale a indiqué au conseil supérieur du notariat qu'une demande d'application mesurée de la loi fiscale pouvait être sollicitée par un notaire dans l'hypothèse où il serait dans l'impossibilité de respecter le délai de deux ans entre la cession de son activité et son départ à la retraite, elle envisageait exclusivement le cas d'un dépassement imputable à la durée d'instruction du dossier par les services du ministère de la justice. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration a considéré qu'il ne pouvait bénéficier du régime d'exonération prévu par l'article 151 septies A du code général des impôts.
En ce qui concerne l'existence d'une libéralité :
5. En second lieu, en l'absence de toute justification de l'existence d'un intérêt à la cession à prix minoré d'un élément d'actif affecté à la profession, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de cette minoration et de l'existence d'une libéralité imposable selon le régime de droit commun, faisant obstacle à l'application du régime des plus-values à long terme tel qu'il est prévu par l'article 151 nonies du code général des impôts, lorsqu'elle établit l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien apporté et, d'autre part, d'une intention pour le vendeur d'octroyer et pour le bénéficiaire de recevoir une libéralité du fait des conditions de la vente.
S'agissant de la méthode de valorisation des parts
6. La valeur vénale des titres d'une société non admise à la négociation non cotée en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. Toutefois, en l'absence de telles transactions, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.
7. Par acte de cession de parts du 8 octobre 2012, M. B... a cédé à son fils D... 383 parts sociales de la SCP Massiani-Roquebert pour un montant total de 600 000 euros, correspondant à un montant unitaire de 1 566,58 euros. Si la valeur théorique des parts en capital de la SCP cédées en 2012 par M. B... à son fils s'élevait à 729 135 euros, valeur corroborée par un audit réalisé en 2014 par l'association agréée supérieure du notariat, M. B... explique la différence entre la valeur en capital nette comptable et le prix de cession par la prise en compte de la valeur en industrie dans l'évaluation des parts sociales, laquelle représente, aux termes de l'article 7 bis des statuts de la société, 50 % des parts détenues par chacun des associés. La valeur des parts cédées a ainsi été calculée par M. B... en tenant compte, d'une part, de la valeur en capital correspondant à la valeur mathématique comptable estimée à 730 000 euros et, d'autre part, par l'application d'un coefficient pondérateur au prorata du chiffre d'affaires réalisé par M. B....
8. L'administration a déterminé la valeur vénale des parts de la société par application d'une approche proposée par la commission de conciliation dans son avis du 28 septembre 2018, dans le cadre de la détermination des droits d'enregistrement, en retenant une valeur en industrie, une valeur en capital et la valeur moyenne en capital-industrie des parts pour chacune de ces cessions. Dès lors, par les méthodes retenues, le service a pris en compte la valeur en industrie, les usages de la profession et a adopté une méthode de calcul basée à la fois sur des données statistiques et sur les pratiques et usages des notaires. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'administration ne pouvait valablement recourir, pour déterminer la valeur des parts de la société, à la méthode de valorisation dont elle a fait application.
S'agissant de l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale des parts :
9. Au terme de l'application de la méthode de valorisation retenue par l'administration, cette dernière en a déduit que la valeur vénale des 383 parts sociales devait être fixée à 616 000 euros, soit un écart de 2,67 % avec la valeur convenue lors de la cession des parts litigieuses. Un tel écart de 2,67 % ne peut toutefois être regardé comme étant significatif et de nature, par suite, à révéler l'existence d'une libéralité. C'est, dès lors, à tort que l'administration a imposé l'écart entre la valeur de la cession opérée en 2012 et la valeur vénale qu'elle a retenue dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et a refusé de considérer le produit de cette cession d'un élément d'actif affecté à l'exercice de la profession comme relevant des plus-values professionnelles à long terme. Par conséquent, il y a lieu de décharger M. B... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et des prélèvements sociaux auxquels il a été assujetti au titre de l'année 2013, ainsi que des pénalités y afférentes.
10. Si la requête de M. B... conclut également à la décharge de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus acquittée au titre de cette même année, il ne développe aucun argument à l'appui de ces conclusions.
Sur les pénalités assortissant la plus-value de cession :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".
12. Il est constant que M. B... s'est soustrait à ses obligations déclaratives en omettant de déclarer en 2013 la plus-value réalisée cette année-là, pour déclarer seulement en 2015 la plus-value globale réalisée sur l'ensemble des cessions, afin de bénéficier du régime d'exonération de l'article 151 septies A du code général des impôts. Compte tenu de sa profession de notaire, le requérant ne pouvait ignorer l'obligation de déclarer la plus-value l'année de sa réalisation qui s'imposait à lui. Ainsi, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'intention délibérée du contribuable d'éluder l'impôt.
Sur les frais liés au litige :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : M. B... est déchargé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à sa charge dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au titre de l'année 2013, ainsi que des contributions sociales et de la pénalité pour manquement délibéré y afférentes.
Article 2 : Le jugement n° 2100021 du tribunal administratif de Saint-Barthélémy du 11 octobre 2022 est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2024.
La rapporteure,
Lucie CazcarraLa présidente,
Frédérique Munoz-Pauziès La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX03044