Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler les décisions implicites nées du silence gardé par le président de la région Réunion et par le préfet de La Réunion à ses demandes préalables indemnitaires du 22 mai 2019, de condamner solidairement la région Réunion et l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice subi, et d'enjoindre à la région Réunion et l'Etat d'évacuer sans délai les déchets demeurant sur la parcelle cadastrée AO n° 444-446 située sur le territoire de la commune de Petite-Ile, remettre les lieux dans leur état naturel initial, rétablir la ravine qui borde sa propriété dans son état naturel initial, reboiser les secteurs de la propriété régionale délimités en espaces boisés classés par le plan local d'urbanisme, ainsi que les ravines et les abords de celles-ci sur une largeur de 10 m, protéger les abords de son habitation de toute atteinte et/ou déchets dangereux, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.
Par un jugement n° 1900884 du 28 février 2022, le tribunal administratif de La Réunion a condamné solidairement la région Réunion et l'Etat à verser à M. B... la somme de 5 000 euros ainsi que la somme de 6 786,89 euros au titre des frais d'expertise, a condamné, d'une part, la région Réunion à garantir l'Etat à hauteur de 80 % du montant des condamnations prononcées à son encontre, d'autre part, l'Etat à garantir la région Réunion à hauteur de 20 % du montant des condamnations prononcées à son encontre et a rejeté le surplus des demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 28 avril 2022 sous le n° 22BX01215 et des mémoires, enregistrés les 14 février, 26 avril et 4 juillet 2024, ces deux derniers mémoires n'ayant pas été communiqués, M. B..., représenté par Me Daguerre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Réunion du 28 février 2022 en tant qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 5 000 euros et a rejeté ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la région Réunion à lui verser la somme de 110 501 euros en réparation des préjudices subis ;
3°) d'enjoindre à la région Réunion et à l'Etat d'évacuer sans délai l'intégralité des déchets demeurant sur la parcelle cadastrée section AO n° 444-446 située sur le territoire de la commune de Petite-Ile et de remettre les lieux dans leur état naturel initial, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à l'Etat de prendre un arrêté mettant en demeure la région Réunion et de se substituer à cette dernière, compte tenu de sa carence dans l'évacuation des déchets et à la remise en état du site, en ce compris les parties de son jardin contaminées par des polluants ;
5°) de taxer l'expertise réalisée par M. C... à la somme de 80 euros et de condamner la région Réunion à le rembourser des frais d'expertise qu'il a acquittés à hauteur de 6 786,98 euros, assortis des intérêts de droit à compter du 24 septembre 2019 ;
6°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la région Réunion le versement de la somme de 17 578,54 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête présentée en première instance n'était pas tardive et seule la prescription quadriennale lui était applicable ; la décision du 22 juillet 2019 ne constitue pas une décision confirmative de la décision née le 27 octobre 2017 ;
- la région Réunion a engagé sa responsabilité, compte tenu de sa carence fautive dans la gestion des déchets présents sur la parcelle jouxtant sa propriété, conformément à l'article L. 541-2 du code de l'environnement, du fait de sa carence en matière de gestion des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) pour méconnaissance du principe de précaution et au titre des troubles du voisinage, dès lors qu'elle a exposé ses administrés à un risque de pollution avéré et connu par elle ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de sa carence dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police ;
S'agissant des préjudices :
- l'expertise judiciaire diligentée par ordonnance du 7 juin 2017 du tribunal administratif est entachée d'irrégularités ; le rapport n'a pas été réalisé personnellement par l'expert mais par sa collaboratrice, Mme A... ; l'expert a avalisé la réalisation de travaux, en cours d'expertise, sans que les parties aient pu faire valoir leurs observations et sans débat contradictoire ; le rapport d'expertise ne fait pas mention de sa demande tendant à l'analyse des déchets et est de nature à révéler une méconnaissance du principe d'impartialité ; la description du site et des déchets est également entachée d'erreurs factuelles ; l'expert présente une vision volontairement tronquée et minorée des nuisances subies ; son analyse des faits et des pièces du dossier est très superficielle, et il comporte des incohérences manifestes et des lacunes ;
- le lien de causalité entre les faits générateurs de responsabilité et les différents préjudices subis est établi ;
- le montant du préjudice moral accordé de 5 000 euros doit être augmenté dès lors qu'il est confronté à la carence répétée et avérée des institutions publiques depuis près de vingt ans ; son préjudice d'angoisse et d'anxiété est incontestable dès lors qu'il a vécu près d'une usine désaffectée largement polluée et amiantée ; il a été exposé à un risque de manière certaine, dont il a eu connaissance dès 2008 ; il a développé une dépression dès 2009 nécessitant un suivi médical ; l'indemnisation de ce préjudice est évaluée à 50 000 euros ;
- il a subi un préjudice de jouissance important, la carence des institutions l'ayant empêché de profiter paisiblement de son jardin et de sa propriété pendant plus de seize ans ; il est ainsi fondé à solliciter l'indemnisation de ce préjudice à hauteur de 5 000 euros ;
- il a dû procéder à des reboisements sur les zones impactées par les travaux de la région Réunion pour les protéger de l'érosion, d'un coût de 6 380 euros, dont il demande l'indemnisation ;
- il a subi un préjudice du fait de l'agression visuelle subi en raison des déchets abandonnés sur le terrain voisin et des travaux qui s'y sont déroulés, évalué à 10 000 euros ;
- il a été privé de ressources agricoles en raison de la contamination de son terrain par des polluants et métaux lourds ; il demande l'indemnisation de ce préjudice à hauteur de 25 000 euros ;
- son projet d'ouvrir une table et une chambre d'hôte a été compromis par la situation et l'état du terrain voisin ; ramené à une période de 10 ans, le préjudice subi s'élève à 12 000 euros ;
- les travaux que la région Réunion a fait réaliser, ont provoqué l'arrachement de deux bornes, dont le coût de remplacement est de 2 121 euros, dont il demande l'indemnisation.
S'agissant des frais d'expertise :
- le jugement du tribunal administratif du 28 février 2022, qui a l'autorité de la chose jugée, s'impose aux décisions administratives provisoires prises pour la taxation des frais d'expertise ; la région Réunion doit rembourser l'intégralité des frais d'expertise dont il a fait l'avance, augmentés des intérêts de droit à compter du 24 septembre 2019.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 novembre 2023 et 15 mars 2024, la région Réunion, représentée par Me Nguyen, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de M. B... ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de la Réunion du 28 février 2022 en tant qu'il l'a condamnée, solidairement avec l'Etat, à verser à M. B... une somme de 5 000 euros, a mis à sa charge, solidairement avec l'Etat les frais d'expertise taxés à 6 789,98 euros et les frais de justice à hauteur de 1 500 euros, et l'a condamnée à garantir l'Etat à hauteur de 80 % ;
3°) de mettre à la charge de M. B... les deux tiers des frais d'expertise ;
4°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête de M. B... et de confirmer le jugement attaqué ;
5°) de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu sa responsabilité pour faute sur le fondement de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement en estimant qu'elle avait manqué à ses obligations en matière de gestion des déchets, dès lors que la responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel sont stockés des déchets et l'obligation de les éliminer présente un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et ne peut être recherchée que s'il apparait que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu ; c'est la responsabilité de la coopérative agricole des huiles essentielles de Bourbon (CAHEB) qui devait être engagée, en tant qu'exploitant de la distillerie de vétyver ;
- elle n'a commis aucune négligence dès lors qu'elle n'avait aucune obligation de se substituer à la CAHEB sur le plan de la réglementation des ICPE ou de la police des déchets ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les travaux de désamiantage entrepris en 2008 et 2009 n'avaient pas été achevés ; selon le rapport de l'expert judiciaire, seuls quelques résidus de tresses de calorifugeage sont relevés, sans incidence sur le fond de M. B... ; l'ensemble des déchets et matériaux ont été évacués par elle ; le chantier de désamiantage a été réceptionné sans réserve par le maître d'œuvre ;
- l'état du terrain lui appartenant n'a eu aucune incidence sur la propriété de M. B..., ainsi que l'a relevé l'expert judiciaire ; le risque sanitaire allégué n'est pas avéré ; aucun déchet amianté situé au droit de l'escalier d'accès à la propriété de M. B... n'a été constaté lors de l'expertise ; les éléments et l'ensemble des pièces produites par M. B... qui s'y rapporte seront écartés des débats, tout comme le procès-verbal de constat du 23 mars 2023 produit par celui-ci ;
- s'agissant de sa responsabilité sans faute, le risque exceptionnel auquel l'intéressé prétend avoir été exposé n'est pas établi ;
- le requérant ne justifie pas d'un préjudice personnel, direct et certain présentant un lien de causalité avec les fautes alléguées, pas plus qu'il n'établit l'existence d'un préjudice anormal et spécial ;
- s'agissant des frais d'expertise, par arrêt n°20PA02443 du 24 mars 2022, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie uniquement en tant qu'il a rejeté la demande de M. B... sur la répartition des frais d'expertise entre les parties ; elle a confirmé le montant des frais et honoraires de l'expert et considéré que leur montant devait être réparti entre elle, à raison d'un tiers et M. B... à raison de deux tiers ; le tribunal ne pouvait pas d'office, faute d'avoir été saisi de conclusions ou demandes en ce sens, décider de laisser les frais d'expertise à sa charge.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- M. B... n'est pas fondé à contester le rapport d'expertise judiciaire, rendu dans le cadre du référé ordonné par le tribunal administratif de La Réunion, dès lors que par un arrêt n° 20PA02443 rendu le 24 mars 2022, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que le requérant ne pouvait soutenir que l'expert aurait restreint le champ de l'expertise confiée ;
- le requérant ne justifie pas le préjudice moral dont il demande l'indemnisation ; il en va de même s'agissant du préjudice de jouissance de sa propriété, qui n'a d'ailleurs pas été retenu par l'expert judiciaire, ainsi que des préjudices matériels ;
- il ne pouvait ignorer l'existence de l'ancienne usine de vétiver lors de l'acquisition du bien et son impact visuel.
Par ordonnance du 7 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 6 juillet 2024 à 12h00.
II. Par une requête n° 22BX01376 et un mémoire, enregistrés les 17 mai 2022 et 30 juin 2023, la région Réunion, représentée par Me Nguyen, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 28 février 2022 en tant qu'il l'a condamnée, solidairement avec l'Etat, à verser à M. B... une somme de 5 000 euros, a mis à sa charge, solidairement avec l'Etat, les frais d'expertise taxés à 6 789,98 euros et les frais de justice à hauteur de 1 500 euros, et l'a condamnée à garantir l'Etat à hauteur de 80 % ;
2°) de rejeter la requête d'appel formée par M. B... en tant qu'elle est dirigée contre elle ;
3°) de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La région soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la requête de M. B... n'était pas entachée de forclusion ;
- sa responsabilité pour faute ne saurait être engagée sur le fondement des articles L. 541-1-1 et suivants du code de l'environnement, dès lors que la responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel sont stockés des déchets présente un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et ne peut être recherchée que s'il apparait que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu ; la responsabilité de la CAHEB, ni inconnue, ni disparue, devait être retenue, en tant qu'exploitant de la distillerie de vétyver ;
- elle n'a commis aucune négligence dès lors qu'elle n'avait aucune obligation de se substituer à la CAHEB sur le plan de la réglementation des ICPE ou de la police des déchets ; la région a fait face à de nombreuses difficultés indépendantes de sa volonté ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les travaux de désamiantage entrepris en 2008 et 2009 n'avaient pas été achevés ; le tribunal a procédé à un amalgame entre la présence de déchets amiantés sur le site et l'état de pollution du sol ; selon l'expert judiciaire, seuls quelques résidus de tresses de calorifugeage sont relevés, sans incidence sur le fond de M. B... ; l'ensemble des déchets et matériaux ont été évacués par elle ;
- s'agissant de la responsabilité sans faute de la région, le risque exceptionnel auquel l'intéressé prétend avoir été exposé n'est pas établi ;
- le requérant ne justifie pas d'un préjudice personnel, direct et certain présentant un lien de causalité avec les fautes alléguées, pas plus qu'il n'établit l'existence d'un préjudice anormal et spécial ; l'état du terrain appartenant à la région n'a eu aucune incidence sur la propriété de M. B..., ainsi que l'a relevé l'expert judiciaire ; le risque sanitaire allégué n'est pas avéré ;
- le tribunal ne pouvait pas d'office, faute d'avoir été saisi de conclusions ou demandes en ce sens, décider de laisser les frais d'expertise à sa charge.
Par des mémoires, enregistrés les 26 avril et 13 septembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Daguerre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 28 février 2022 en tant qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 5 000 euros et a rejeté ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la région Réunion à lui verser la somme de 110 501 euros en réparation des préjudices subis ;
3°) d'enjoindre à la région Réunion et à l'Etat d'évacuer sans délai les déchets demeurant sur les parcelles cadastrées section AO n° 444-446 et n° 443, situées sur le territoire de la commune de Petite-Ile et de remettre les lieux dans leur état naturel initial, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à l'Etat de mettre en demeure la région Réunion et de se substituer à cette dernière, compte tenu de sa carence dans l'évacuation des déchets, pour la remise en état du site industriel, en ce compris les parties de son jardin ;
5°) de taxer l'expertise réalisée par l'expert à la somme de 80 euros ;
6°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la région Réunion le versement de la somme de 17 578,54 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- sa requête présentée en première instance n'était pas tardive ;
- la région Réunion a engagé sa responsabilité, compte tenu de sa carence fautive dans la gestion des déchets présents sur la parcelle jouxtant sa propriété, conformément à l'article L. 541-2 du code de l'environnement ;
- la région Réunion a également engagé sa responsabilité compte tenu de sa carence en matière de gestion des ICPE ; elle a fait preuve d'une particulière négligence en sa qualité de propriétaire et de gestionnaire de fait de l'ICPE ;
- la responsabilité de la région est engagée pour méconnaissance du principe de précaution ;
- la responsabilité sans faute de la région Réunion peut également être engagée au titre des troubles de voisinage, dès lors qu'elle a exposé ses administrés à un risque de pollution avéré et connu par elle, qui n'est toujours pas écarté ;
- la responsabilité de l'Etat est aussi engagée du fait de sa carence dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police au titre des ICPE et de la protection de l'eau ;
- le rapport d'expertise judiciaire, diligenté par ordonnance du 7 juin 2017 du tribunal administratif, est entaché d'irrégularités ; ce rapport n'a pas été réalisé personnellement mais par sa collaboratrice, Mme A... ; l'expert a avalisé la réalisation de travaux en cours d'expertise sans que les parties aient pu faire valoir leurs observations et sans débat contradictoire ; le rapport d'expertise ne fait pas mention de sa demande tendant à l'analyse des déchets, manquant au respect du contradictoire et au principe d'impartialité ; la description du site et des déchets est entachée d'erreurs factuelles ; il comporte des incohérences manifestes ;
- le lien de causalité entre les faits générateurs de responsabilité et les différents préjudices subis est établi ;
- le montant du préjudice moral, accordé de 5 000 euros, doit être augmenté dès lors qu'il a été confronté à la carence répétée et avérée des institutions publiques depuis près de vingt ans ; son préjudice d'angoisse est incontestable dès lors qu'il a vécu près d'une usine désaffectée largement polluée et amiantée ; il a été exposé à un risque de manière certaine ; il est fondé à demander l'indemnisation de ce préjudice à hauteur de 50 000 euros ;
- il a subi un préjudice de jouissance important, la carence des institutions l'ayant empêché de profiter paisiblement de son jardin et de sa propriété pendant plus de seize ans ; l'indemnisation de ce préjudice est évaluée à hauteur de 5 000 euros ;
- il a dû procéder à des reboisements sur les zones impactées par les travaux de la région Réunion pour les protéger de l'érosion, pour un montant de 6 380 euros, dont il demande l'indemnisation ;
- il a subi un préjudice du fait de l'agression visuelle subi en raison des déchets abandonnés sur le terrain voisin et des travaux qui s'y sont déroulés, estimé à 10 000 euros ;
- il a été privé de ressources agricoles en raison de la contamination de son terrain par des polluants et métaux lourds et en demande l'indemnisation à hauteur de 25 000 euros ;
- son projet d'ouvrir une table et une chambre d'hôte a été compromis par la situation et l'état du terrain voisin ; ramené à une période de 10 ans, le préjudice subi s'élève à 12 000 euros ;
- les travaux que la région Réunion a fait réaliser ont provoqué l'arrachement de deux bornes, dont le coût de remplacement a été constaté par un géomètre à 2 121 euros ; il en demande l'indemnisation.
Par une ordonnance du 30 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 septembre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,
- et les observations de Me Daguerre, représentant M. B..., et de Me Nguyen, représentant la région Réunion.
Une note en délibéré présentée par M. B... a été enregistrée le 18 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est propriétaire depuis le 24 novembre 2006 de parcelles cadastrées section AO n°443, 445 et 479, situées sur le territoire de la commune de Petite-Île (La Réunion), lesquelles jouxtent deux parcelles cadastrées section AO n° 444 et 446, d'une surface de 7 758 m², appartenant à la région Réunion depuis 1991 et qui recevaient une unité de distillerie de vétiver. L'exploitation de la distillerie a cessé en 1993. Dès 2008, puis en 2011 et 2014, M. B..., en qualité de voisin de l'ancien site industriel, a demandé au président de la région de faire procéder à l'évacuation des déchets industriels, et au préfet de La Réunion d'exercer ses pouvoirs de police des installations classées. Par courrier du 10 février 2015, renouvelé le 25 juin 2016 et le 28 août 2017, M. B... a mis en demeure la région Réunion d'évacuer les déchets dangereux, de reboiser les secteurs des parcelles et de lui verser la somme de 80 000 euros, en réparation des préjudices subis par lui et sa famille. Le 28 août 2017, M. B... a demandé au préfet de l'indemniser à hauteur de 80 000 euros de l'ensemble de ses préjudices et de prendre toutes mesures s'agissant de l'évacuation des déchets et matières polluantes, de consolidation d'un mur de soutènement et de reboisement. Par courriers du 22 mai 2019, M. B... a renouvelé ses demandes, notamment indemnitaires, auprès de la région Réunion et de l'Etat, lesquelles ont fait l'objet de décisions implicites de rejet.
2. Par ordonnance du 7 juin 2017, sur demande de M. B..., le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a nommé un expert pour notamment décrire les rôles respectifs des parties mises en cause dans la gestion du site industriel et sa remise en état, inventorier les déchets et matériaux encore présents et indiquer s'ils constituent ou pas des déchets issus de l'exploitation de l'usine. Le rapport définitif a été rendu le 2 octobre 2017. A la suite du rejet implicite de ses demandes indemnitaires, M. B... a saisi le tribunal administratif de La Réunion, qui, par jugement du 28 février 2022, a condamné solidairement la région Réunion et l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, mis à la charge de la région Réunion et de l'Etat les frais d'expertise liquidés à la somme de 6 786,98 euros, la région et l'Etat se garantissant mutuellement à hauteur respective de 80 et 20 %. Par une requête n° 22BX01215, M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 5 000 euros et rejeté ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte. Par une requête n° 22BX01376, la région Réunion relève appel du même jugement en tant qu'il l'a condamnée, solidairement avec l'Etat, à verser à M. B... les sommes de 5 000 euros au titre du préjudice et de 6 789,98 euros au titre des frais d'expertise, et l'a condamnée à garantir l'Etat à hauteur de 80 %.
3. Les requêtes enregistrées sous les n° 22BX01215 et n° 22BX01376 tendent à la réformation du même jugement du 28 février 2022 du tribunal administratif de La Réunion. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la recevabilité de la demande de M. B... devant les premiers juges :
4. L'article R. 421-2 du code de justice administrative prévoit que sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet et que les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa. Aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception (...) " et aux termes de l'article L. 112-6 du même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (...) ". L'article R. 112-5 du même code dispose que l'accusé de réception comporte la date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée, et il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet. Dans ce cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision.
5. Il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Cette règle est applicable à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. Toutefois, elle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.
6. Il résulte de l'instruction que M. B... a adressé au président du conseil régional de La Réunion des demandes préalables indemnitaires par courriers des 10 février 2015, 25 juin 2016, 28 août 2017 et 22 mai 2019. M. B... pouvait, en l'absence des mentions obligatoires rappelées ci-dessus sur les accusés de réception de ses demandes, saisir le juge administratif de recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité de la région Réunion sans condition de délai après la naissance des décisions implicites de rejet qui lui ont été opposées. Ainsi, le rejet implicite de la demande indemnitaire formée le 22 mai 2019 ne peut être regardé comme purement confirmatif du rejet de la précédente demande, qui n'est jamais devenu définitif. Il en résulte que la région n'est pas fondée à soutenir que la requête de M. B... devant les premiers juges était irrecevable.
Sur la régularité des opérations d'expertise :
7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 621-2 du code de justice administrative : " Il n'est commis qu'un seul expert à moins que la juridiction n'estime nécessaire d'en désigner plusieurs. (...) Lorsqu'il apparaît à un expert qu'il est nécessaire de faire appel au concours d'un ou plusieurs sapiteurs pour l'éclairer sur un point particulier, il doit préalablement solliciter l'autorisation du président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou, au Conseil d'Etat, du président de la section du contentieux. La décision est insusceptible de recours. ".
8. Pour mener à bien les opérations d'expertise, M. C..., expert désigné par ordonnance du 7 juin 2017 du tribunal administratif de La Réunion, a été autorisé par ordonnance du 12 février 1998 du même tribunal à se faire assister par un sapiteur, Mme A..., expert pollution agricole et dépollution. Alors même que le chapitre II.3 du rapport d'expertise a été rédigé par le sapiteur, il ne résulte pas de l'instruction que l'expert, M. C..., qui a signé le rapport le 4 septembre 2017 et attesté " avoir personnellement réalisé les opérations d'expertise " n'aurait pas accompli personnellement la mission qui lui était confiée, ni que le sapiteur aurait été dépourvu des compétences techniques nécessaires pour l'assister au cours des opérations d'expertise et dans la rédaction du rapport.
9. En deuxième lieu, le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.
10. Il résulte de l'instruction, d'une part, que l'expert a convoqué l'ensemble des parties pour une réunion sur site le 28 août 2017, au cours de laquelle la nature des déchets et matériaux présents a été constatée. Le 4 septembre 2017, il a adressé un document de synthèse aux parties, les invitant à faire part de leurs observations avant la date du 18 septembre 2017 et le dépôt du rapport d'expertise le 27 septembre 2017 au tribunal administratif, lequel reprend un certain nombre d'observations de M. B.... Ce n'est qu'après que les constatations ont été effectuées sur la parcelle, en présence des parties, que l'expert a donné son accord pour l'évacuation des déchets résiduels inertes, mise en œuvre dans le cadre de l'exécution d'un marché et d'un ordre de service en date du 1er septembre 2017. L'expert a, dans la partie II.1.1 de son rapport, référencé tous les documents qui lui ont été communiqués par le tribunal administratif et l'ensemble des parties : les rapports de visites de l'inspection des installations classées, les courriers préfectoraux et actes administratifs, les pièces émanant de la région, notamment l'acte d'acquisition du site, les documents relatifs aux chantiers de démolition de l'usine et de nettoyage et clôture du site, le plan de retrait des matériaux amiantés et le marché des travaux de désamiantage, le diagnostic de pollution du site réalisé en 2017 par le bureau d'études SAFEGE. L'ensemble des dires produits dans le cadre de l'expertise sont également mentionnés, émanant notamment de M. B..., en ce compris toutes les pièces annexes produites par lui. Il ne résulte pas de l'instruction que l'expert n'aurait pas procédé à un examen circonstancié des éléments qui lui ont été soumis, lesquels ont été soumis au contradictoire. Alors même que tous ses arguments et demandes n'auraient pas été repris dans le rapport d'expertise, l'appelant a été mis à même de discuter des éléments susceptibles d'avoir une influence sur la réponse aux questions posées à l'expert avant qu'il ne rende ses conclusions. Le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure d'expertise doit par suite être écarté.
11. En troisième lieu, il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise.
12. Si M. B... soutient que ses observations au cours de l'expertise ont été imparfaitement restituées et que l'expert était sous l'influence de la région Réunion, il n'apporte pas d'élément au soutien de ces allégations. Au demeurant s'agissant de sa demande de levée de doute sur la présence d'amiante parmi les déchets, l'expert y a répondu, après qu'il ait noté que l'appelant ne lui avait exprimé aucune réclamation en ce sens au cours de la réunion contradictoire, en renvoyant aux opérations de désamiantage effectuées en 2008 et à un diagnostic réalisé en avril 2017. M. B... n'apporte, par suite, aucun élément qui permettrait de mettre en doute l'objectivité de l'expert et l'impartialité des opérations d'expertise.
13. En dernier lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir, au stade de la régularité des opérations d'expertise, des erreurs factuelles dont serait, selon lui, entaché le rapport d'expertise, dès lors que ces erreurs, à les supposer même établies, sont sans influence sur la régularité des opérations d'expertise et peuvent seulement être invoquées dans le cadre de l'examen du bien-fondé des prétentions des parties.
Sur la responsabilité de la région Réunion :
14. Aux termes du II de l'article L. 541-1 du code de l'environnement : " Est un déchet au sens du présent chapitre tout résidu d'un processus de production, de transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon. ". Aux termes de l'article L. 541-2 du même code : " Toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d'une façon générale, à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le producteur ou le détenteur des déchets a la responsabilité de leur élimination. Si, en l'absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l'obligation d'éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu'un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s'il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu.
15. Il résulte de l'instruction qu'en 1991, la région Réunion a procédé à l'acquisition de l'unité de distillation de vétiver appartenant à la société How-Chong, située sur les parcelles alors cadastrées section A n° 05, 06 et 07 sur le territoire de la commune de Petite-Île, qui comprenait l'ensemble des installations en état de fonctionnement, le foncier et un stock d'huiles usées retraitées prêtes au brûlage. Par convention du 15 mai 1992, la région, à titre exceptionnel et transitoire, a mis la distillerie à disposition de la coopérative agricole des huiles essentielles de Bourbon (CAHEB), chargée de la gestion et de son exploitation du 1er juillet 1991 au 1er juillet 1992, prolongée par avenant du 10 mai 1993, jusqu'au 1er juillet 1993. Il est constant que l'exploitation du site a pris fin à cette dernière date.
16. Il résulte de l'instruction que lors de la visite contradictoire menée sous la conduite de l'expert le 28 aout 2017, il a été constaté la présence de déchets recouverts d'une végétation envahissante qui n'a pas permis à l'expert d'accéder à l'ensemble de la parcelle. Le rapport d'expertise, après avoir répertorié et photographié les déchets présents sur la parcelle, en dresse un tableau en distinguant ceux qui ont pour origine le fonctionnement de la distillerie et ceux qui ont plus probablement été déposés par des tiers utilisant le terrain comme une décharge sauvage. Au titre des déchets de la distillerie, l'expert relève, notamment, la présence de nombreux déchets métalliques, d'un volume total de près de 30 m3, dont des cuves d'hydrocarbures semi-enterrées, des colonnes de distillation de l'usine, une cheminée de 3m3, un tube de 2 mètres de long, des déchets d'aspect compactés, des étagères. Il relève également la présence d'une cuve d'hydrocarbures et d'un décanteur contenant de l'huile, d'une courroie de transmission, et d'une tresse fibreuse d'isolation. Ces déchets ne sont pas des déchets d'exploitation, mais des éléments de l'outil de production abandonnés lors du démantèlement de la distillerie. En tant que propriétaire de la distillerie de vétiver et de ses installations, la région doit être regardée comme le détenteur de ces déchets au sens des dispositions de l'article L. 541-2 du code de l'environnement. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'était pas débitrice de l'obligation d'évacuation et d'élimination des déchets prescrite à l'article L. 541-2 du code de l'environnement, et que sa responsabilité ne pouvait pas être engagée à ce titre. Quand bien même la région n'est pas restée inactive et a engagé dès 2007 des procédures de passation de marchés afin de procéder au nettoyage du terrain, 24 ans après l'arrêt de l'exploitation de la distillerie, elle n'avait toujours pas procédé à l'évacuation effective et à l'élimination complète des déchets présents sur la parcelle lui appartenant, jouxtant celle dont M. B... est propriétaire depuis 2006. Elle a ainsi méconnu les obligations qui s'imposaient à elle en qualité de détenteur des déchets.
17. Il résulte de ce qui précède que la région Réunion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal l'a solidairement condamnée avec l'Etat à réparer le préjudice de M. B... et à garantir l'Etat à hauteur de 80 % des condamnations prononcées à son encontre.
Sur l'évaluation des préjudices de M. B... :
En ce qui concerne préjudice de jouissance :
18. L'expert en 2017 a exclu tout désordre visuel ou olfactif résultant de la présence des déchets, sans odeur et non visibles dès lors que le terrain appartenant à la région était alors une friche envahie par les espèces végétales qui recouvraient les déchets. Toutefois, le terrain jouxtant la propriété de M. B... a été, par la suite, partiellement défriché. Il ressort du procès-verbal de constat d'huissier du 28 juin 2019, réalisé à la demande de la région, qu'à cette date, une opération de désamiantage avait été effectuée et qu'il restait des déchets de l'usine sur la parcelle, tels des restes de cuves et divers éléments métalliques rouillés, lesquels, la parcelle ayant été défrichée, étaient bien visibles. La parcelle a par la suite été définitivement nettoyée des déchets de la distillerie, comme en atteste le constat d'huissier du 26 novembre 2020. Si M. B... fait valoir que, depuis le nettoyage du terrain, d'autres déchets sont apparus sur le site, comme en atteste le procès-verbal de constat d'huissier du 23 mars 2023, il ne résulte pas de l'instruction que ces déchets seraient en lien avec la distillerie de vétiver, et que la responsabilité de la région pourrait être engagée en sa qualité de détenteur des déchets au sens des dispositions de l'article L. 541-2 du code de l'environnement rappelées au point 14 du présent arrêt, ni celle de l'Etat au titre de la police des installations classées. Il sera fait une juste appréciation du préjudice visuel subi par M. B... en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices matériels :
19. En premier lieu, M. B... soutient que les travaux réalisés par la région ont fragilisé les sols, et que la tempête tropicale Beguitta survenue en janvier 2018 a provoqué un important glissement de terrain et une coulée de boues entrainant la destruction de 143 arbres qu'il avait plantés et la nécessité de les remplacer par 546 plants, l'objectif étant également de stabiliser le sol très érodé. Toutefois, en l'absence de tout élément de nature à démontrer le lien direct de causalité entre les conditions d'évacuation des déchets de l'ancienne distillerie et les dégâts provoqués par la tempête, les conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent être rejetées.
20. En deuxième lieu, M. B... soutient avoir été, d'une part, empêché de réaliser son projet d'ouvrir une table et une chambre d'hôtes en raison de l'état du terrain jouxtant sa propriété, d'autre part, privé de la possibilité de réaliser des cultures agricoles. Toutefois, la création de son entreprise de reproduction de plantes est intervenue le 13 septembre 2021, soit postérieurement aux demandes indemnitaires, et alors que le terrain avait été nettoyé des déchets de la distillerie, comme il a été précisé au point 18 du présent arrêt. M. B..., qui ne produit aucune pièce sur un projet d'accueil à caractère touristique, n'établit pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la faute commise par l'Etat et la région et le préjudice financier allégué résultant de l'impossibilité de développer certaines activités.
21. En troisième lieu, M. B... se prévaut de l'arrachement de deux bornes suite aux travaux de nettoyage réalisés par la région et sollicite réparation à hauteur de 2 121 euros. Toutefois, il ne ressort pas du procès-verbal de constat d'huissier du 21 octobre 2017 auquel il renvoie qu'une borne aurait été arrachée du fait des travaux. Il fait également valoir que l'instabilité d'un mur de gros béton situé sur la parcelle appartenant à la région et les travaux réalisés par cette dernière seraient à l'origine de fissures constatées sur le mur de son garage. Toutefois, l'expert conclut que l'instabilité du mur et les travaux de confortement ne sont pas à l'origine de ces fissures, et M. B... n'apporte pas d'éléments pour contredire cette affirmation. Par suite, M. B... n'est pas fondé à demander réparation de ces préjudices.
22. En quatrième lieu, les frais de justice, s'ils ont été exposés en conséquence directe d'une faute de l'administration, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive imputable à l'administration. Toutefois, lorsque le requérant a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement. Il n'en va autrement que dans le cas où le demandeur ne pouvait légalement bénéficier de ces dispositions.
23. M. B... ne saurait obtenir, dans le cadre de la présente instance, une somme destinée à couvrir les frais d'avocat, d'huissier, de laboratoires, de photocopies et de frais postaux exposés dans les différentes instances relatives respectivement à sa demande de première instance, son référé expertise, sa contestation en première instance et en appel de la taxation de l'expertise et en tout état de cause, à sa plainte pénale. D'une part, les instances portées devant les juridictions administratives ont donné lieu au versement à M. B... de frais de justice par jugement n°1900884 du tribunal administratif de la Réunion et au rejet de ces conclusions présentées devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et la cour administrative d'appel de Paris lesquels ont estimé qu'il n'y avait pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à ces demandes. D'autre part, M. B... n'a pas déposé de conclusions sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant le juge des référés du tribunal administratif de la Réunion. Ainsi, ayant pu légalement bénéficier de ces dispositions, les frais de justice exposés par l'appelant ont fait l'objet d'une appréciation dans ce cadre qui exclut toute demande indemnitaire de ce chef.
En ce qui concerne le préjudice moral :
24. M. B... soutient que la carence de la région et l'Etat dans la remise en état du site de l'ancienne distillerie jouxtant sa propriété ainsi que les démarches qu'il a dû conduire pendant des années pour que des mesures effectives soient prises sont à l'origine d'un état d'anxiété, survenu en 2008, et d'une dépression déclenchée en 2009 pour lesquels il a fait l'objet d'un suivi par des praticiens spécialisés et d'un arrêt de travail pour raison de maladie. Compte tenu du délai particulièrement long de remise en état du site de l'ancienne distillerie de vétyver, les premiers juges n'ont pas fait une appréciation insuffisante du préjudice moral subi par M. B... en l'évaluant la somme de 5 000 euros.
25. Il résulte de ce qui précède que le préjudice dont M. B... est en droit d'obtenir réparation doit être porté de 5 000 à 6 000 euros.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
26. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ". Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets.
27. M. B... demande qu'il soit enjoint à la région et à l'Etat d'évacuer dans délai l'intégralité des déchets et polluants présents sur la parcelle appartenant à la région ainsi que sur sa parcelle.
28. D'une part, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 18, que la parcelle a été nettoyée des déchets de la distillerie, comme en atteste le constat d'huissier du 26 novembre 2020. Si d'autres déchets sont apparus sur le site, comme le relève le procès-verbal de constat d'huissier du 23 mars 2023, il ne résulte pas de l'instruction que ces déchets seraient en lien avec la distillerie de vétiver, et que la responsabilité de la région pourrait être engagée en sa qualité de détenteur des déchets. Ainsi, le comportement fautif de la région ne peut être regardé comme perdurant à la date du présent arrêt, au sens de la règle rappelée au point 26. En tout état de cause, le rapport de l'inspection des installations classées du 13 décembre 2023 relève que la région Réunion poursuit sa démarche de réhabilitation du site et qu'elle a entrepris la dépollution de ses sols. Le même rapport relève qu'elle a transmis à cette fin, aux services de l'Etat, plusieurs études dont un plan de gestion et un diagnostic complémentaire, qui doivent " faire l'objet d'un rapport de l'inspection pour acter le choix du scénario retenu ". Ainsi, dès lors que le nettoyage et la dépollution du site sont engagés, il n'y a en tout état de cause pas lieu de prescrire à la région des mesures supplémentaires.
29. D'autre part, s'agissant de la parcelle appartenant à M. B..., ce dernier demande qu'il soit enjoint à l'Etat, du fait de sa carence dans l'exercice par le préfet de ses pouvoirs de police des installations classées, reconnue par les premiers juges et qui n'est pas contestée en appel, et à la région de procéder à la dépollution de son terrain contaminé par la pollution du terrain voisin. Toutefois, d'une part, ainsi qu'il vient d'être dit, dès lors que la région a nettoyé son terrain des déchets et mis en place une action en vue de l'élimination des nouveaux déchets apparus postérieurement au 26 novembre 2020 et à la dépollution des sols, son comportement fautif ne peut être regardé comme perdurant à la date du présent arrêt. S'agissant de la faute du préfet, constatée par les premiers juges et qui n'est pas contestée devant la cour, elle a consisté en sa carence à mettre en œuvre ses pouvoirs de police au titre des installations classées. Or, ainsi qu'il vient d'être dit au point 28, la région, sous le contrôle de l'Etat, a pris les mesures non seulement pour nettoyer les déchets mais également pour dépolluer les sols du site de l'installation de vétiver. Ainsi, à la date du présent arrêt, le comportement fautif de l'Etat ayant cessé, il n'y a pas lieu de lui enjoindre de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets.
30. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par M. B... doivent être rejetées.
Sur les frais d'expertise :
31. Par un arrêt définitif n° 20PA02443 du 24 mars 2022, la cour administrative d'appel de Paris a taxé les frais d'expertise à la somme de 6 786,98 euros, confirmant sur ce point l'ordonnance de taxation du 16 juillet 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion. L'autorité de la chose jugée fait obstacle à ce que la cour puisse de nouveau se prononcer sur le litige relatif à la taxation des frais d'expertise.
32. Si la cour administrative d'appel de Paris a mis les deux tiers du montant de l'expertise à la charge de M. B... et pour un tiers à la charge de la région Réunion, cette répartition est provisoire, la répartition définitive des frais d'expertise relevant du juge du fond. Par le jugement contesté, le tribunal administratif de La Réunion a mis à la charge solidaire de la région Réunion et de l'Etat les frais d'expertise de 6 786,98 euros. Il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.
33. Si M. B... demande que la région Réunion soit condamnée à lui rembourser les frais d'expertise qu'il a acquittés, assortis des intérêts de droit, ses conclusions relèvent du juge de l'exécution du jugement attaqué. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que M. B... a perçu entre le 9 mai 2022 et le 10 mars 2023 la somme de 10 871,72, correspondant aux frais d'expertise et frais de l'instance.
Sur les frais non compris dans les dépens :
34. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
35. D'une part, M. B... demande à être indemnisé des frais de constat d'huissier du 23 mars 2023 et d'analyse de deux échantillons de terre en date du 1er février 2023 qu'il a engagé au cours de la présente instance, et justifie s'être acquitté des sommes de 450 euros et de 1128 euros, ainsi que des frais d'avocat. Dans les circonstances de l'espèce, il y lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au bénéfice de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de rejeter les conclusions présentées sur le même fondement par la région Réunion.
DECIDE :
Article 1er : La somme que le tribunal a condamné solidairement l'Etat et la région à verser à M. B... est portée à 6 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Réunion du 28 février 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la région Réunion présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La requête de la région Réunion est rejetée.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à la région Réunion et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Copie en sera adressée au préfet de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01215, 22BX01376