Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 6 septembre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans à compter de l'exécution de cette mesure.
Par un jugement n° 2400566 du 29 mai 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l'annulation de l'arrêté préfectoral du 6 septembre 2023.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juin 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement du 29 mai 2024 du tribunal administratif de Bordeaux.
Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la situation de l'intéressée n'est pas caractérisée par des motifs de nature à justifier son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2024, Mme D..., représentée par Me Trebesses, conclut au rejet de la requête, à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 6 septembre 2023, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 80 euros par jour de retard, ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé autorisant le séjour et le travail et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son profit de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet de la Haute-Vienne ne sont pas fondés ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- le préfet de la Gironde n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation et a entaché sa décision d'une erreur de droit en indiquant que son activité en qualité de femme de chambre à temps partiel ne lui permet pas d'obtenir des revenus suffisants d'autant qu'aucune autorisation de travail n'a été formulée ; il ne s'est pas prononcé sur ses qualifications et son expérience de la requérante au regard des caractéristiques de l'emploi exercé ; à la date de la décision, le préfet n'a procédé à aucun examen au titre de la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 ; l'arrêté comporte une erreur de fait en ce qu'il indique que son conjoint a été condamné ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par ordonnance du 5 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2024 à 12 heures.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 13 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Nicolas Normand a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante géorgienne née en 1981, est entrée, selon ses déclarations, régulièrement sur le territoire français le 18 mars 2018. Le 20 avril 2018, elle a sollicité le bénéfice de l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande par une décision du 21 septembre 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par une décision du 14 juin 2019. Le 16 juin 2020, le préfet de la Gironde a pris à son encontre une première mesure d'éloignement contre laquelle a été présenté un recours rejeté par le tribunal administratif le 2 octobre 2020 et par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 11 mai 2021, qu'elle n'a pas exécutée. Le 9 mai 2023, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 6 septembre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour pour une durée de deux ans. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du 29 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l'annulation de l'arrêté préfectoral du 6 septembre 2023.
Sur le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., présente en France depuis cinq ans, est la mère de deux enfants nés le 26 janvier 2006 et le 4 février 2014 et scolarisés depuis 2019. Selon un certificat médical du centre hospitalier de Bordeaux en date du 2 septembre 2019, l'ainée des deux enfants était, à cette même date, atteinte d'une maladie grave de longue durée susceptible d'entraîner des complications infectieuses. L'intéressée justifie également, par la production de bulletins de salaires délivrés par une entreprise de service, d'une activité de femme ménage à temps partiel ou quasi complet sur la période de janvier 2020 à novembre 2023. A compter de septembre 2021, son activité professionnelle a été plus précisément de 90 heures par mois puis à compter de janvier 2023 de 110 heures par mois, correspondant à une rémunération de 1 239,70 euros. Toutefois, le conjoint de celle-ci fait l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français en date du 16 juin 2020, l'intéressée dont la demande d'asile a été rejetée, n'a pas exécuté l'obligation de quitter le territoire français qui lui a été assignée le 16 juin 2020 et qui est devenue définitive depuis un arrêt de la cour du 11 mai 2021, et elle ne produit, hormis ses bulletins de salaire, aucun document révélant manifestement une insertion durable sur le territoire français. Enfin, rien ne s'oppose à la reconstitution de la cellule familiale dans son pays d'origine où ses enfants ne se heurteront à aucune difficulté majeure pour poursuivre leur scolarité dès lors qu'ils ont résidé dans celui-ci jusqu'à l'âge de 4 et 12 ans.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur la circonstance que la situation de l'intéressée est caractérisée par des motifs de nature à justifier son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif de Bordeaux et devant la cour.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne l'arrêté du 6 septembre 2023 pris dans son ensemble :
6. En premier lieu, il ressort de la consultation du site internet de la préfecture, librement accessible, que le préfet de la Gironde, par arrêté du 31 août 2023 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial n°33-2023-164, a donné délégation à M. A... C..., directeur des migrations et de l'intégration, pour signer toutes décisions, documents et correspondances en matière de droit au séjour et d'éloignement pris en application des livres II, IV, V, VI, VII et VIII (partie législative et réglementaire) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont font partie les décisions attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire doit être écarté.
7. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué indique que Mme D... a sollicité son admission au séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elle se maintient en France en infraction à une obligation de quitter le territoire français du 16 juin 2020, qu'elle ne démontre aucunement l'intensité et la stabilité de ses liens privés, familiaux et sociaux en France et que sa situation ne répond pas à des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels parce qu'elle ne produit aucun document établissant son insertion durable en France, que la circonstance que son conjoint réside sans droit ni titre n'est pas de nature à lui ouvrir un quelconque droit au séjour, que son activité en tant que femme de chambre à temps partiel ne lui permet pas d'obtenir des revenus suffisants d'autant qu'aucune demande d'autorisation de travail n'a été formulée, que la scolarisation de ses enfants ne fait pas obstacle à la poursuite de sa vie familiale hors de France d'autant que la cadette est toujours jeune, qu'elle ne justifie pas être isolée dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 37 ans et où résident ses parents, et que ses deux frères résident à l'étranger. L'arrêté en conclut que " le Préfet choisit de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article L. 435-1 du ceseda ". Ces circonstances de droit et de fait sont suffisamment développées pour avoir mis utilement l'intéressée en mesure de comprendre et de discuter les motifs de cette décision. La circonstance que l'arrêté, d'une part, mentionne que " son activité en qualité de femme de chambre à temps partiel ne lui permet pas d'obtenir de revenus suffisants d'autant qu'aucune autorisation de travail n'a été formulée " alors qu'elle travaille depuis 4 ans au sein de la même société en qualité de femme de chambre et perçoit depuis janvier 2023 la somme de 1 239 euros brut par mois, d'autre part, ne mentionne pas les qualifications et l'expérience de la requérante au regard des caractéristiques de l'emploi exercé et enfin, qu'il n'indique pas précisément que la décision n'est pas contraire à la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ne révèle pas, contrairement à ce que soutient la requérante, que l'autorité administrative se serait abstenue de procéder à un examen particulier de sa situation personnelle. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que le refus de séjour contesté serait entaché d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit pour défaut d'examen individualisé de sa situation doivent être écartés.
8. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, l'arrêté attaqué n'est pas entaché d'une erreur de fait en ce qu'il mentionnerait que son conjoint a été condamné puisqu'il indique uniquement que celui-ci est " très défavorablement connu au fichier des antécédents judiciaires ".
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure (...) nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre (...) " et aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
10. Compte tenu des circonstances mentionnées au point 3 du présent arrêt, et alors au surplus que la requérante ne justifie pas être isolée dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 37 ans, où résident ses parents et où son conjoint et ses deux enfants ont vocation à l'accompagner, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Et aux termes de l'article 16 de la même convention :
" 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
12. Si requérante fait valoir que ses enfants justifient de cinq ans de scolarisation, toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 3, il ne ressort pas des pièces du dossier que les enfants seraient dans l'impossibilité de poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine. Les décisions contestées n'ont par ailleurs, ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants mineurs de leurs parents. Enfin, si l'ainée des enfants s'est vue délivrer le 14 mars 2024 un titre de séjour, cette circonstance est postérieure à l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 3 et de l'article 16 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux, par le jugement attaqué, a prononcé l'annulation de l'arrêté préfectoral du 6 septembre 2023.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à Me Trebesses, avocat de Mme D..., d'une somme d'argent sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 mai 2024 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Bordeaux ainsi que ses conclusions d'appel et les conclusions propres de son avocat sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
Le rapporteur,
Nicolas Normand
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01587