Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2306874 du 5 avril 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté attaqué et a enjoint au préfet de la Gironde de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 avril 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 avril 2024 en tant qu'il annule la décision du 1er septembre 2023.
Il soutient que son arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2024, Mme B..., représentée par Me Astié, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
- il a été pris par une autorité incompétente, en l'absence de délégation de signature régulièrement publiée.
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet de la Gironde n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;
- la décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation.
En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :
- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans la détermination du pays à destination duquel elle doit être éloignée dès lors qu'elle a fui des persécutions politiques au Sri Lanka.
Par une décision du 13 juin 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a maintenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale pour Mme B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Clémentine Voillemot ;
- et les observations de Mme C..., représentant le préfet de la Gironde et de Me Kecha, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité sri lankaise, née le 17 avril 2005, est entrée sur le territoire français le 21 décembre 2019 munie d'un visa C valable jusqu'au 2 janvier 2020 pour une durée de séjour autorisée en France de 15 jours. Le 29 janvier 2020, elle a enregistré une demande d'asile, rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFRPA) par une décision du 8 mars 2021. Sa demande de réexamen a été rejetée le 21 janvier 2022 comme irrecevable. Le 27 mars 2023, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 1er septembre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Saisi par Mme B... le tribunal administratif de Bordeaux, par jugement du 5 avril 2024, a prononcé l'annulation de cet arrêté préfectoral et a enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à l'intéressée un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Gironde relève appel de ce jugement.
2. Pour annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 1er septembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur le fait qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée régulièrement en France le 21 décembre 2019, à l'âge de quatorze ans, accompagnée de ses parents. Elle est scolarisée depuis septembre 2020. Si elle a, comme le fait valoir le préfet, bénéficié d'un accompagnement pour les élèves allophones dans un premier temps, il ressort de ses bulletins de notes qu'elle a cependant poursuivi sa scolarité dans un parcours classique avec des résultats honorables et a fait l'objet régulièrement des félicitations du conseil de classe et ses professeurs ont systématiquement souligné ses efforts, ses progrès, le sérieux de son travail et sa détermination. Elle a d'ailleurs, en 2024, été reçue au baccalauréat avec mention " assez bien " et admise dans un lycée agricole en BTS " Productions animales ". En outre, sa participation active et bénévole aux actions d'une association de défense des animaux abandonnés ou maltraités, l'obtention d'un diplôme d'études en langue française le 6 juillet 2021 et les nombreuses attestations versées au dossier, rédigés en termes circonstanciés et personnalisés, émanant notamment de professeurs et lycéens, démontrent une intégration particulièrement notable de Mme B... ainsi que la création de réels liens d'amitié en France. La circonstance que Mme B... a bénéficié d'une mesure d'aménagement spécifique réservée aux élèves allophones lui permettant d'utiliser un dictionnaire bilingue pour les épreuves du baccalauréat, ne suffit pas à remettre en cause le caractère sérieux de sa scolarité ni sa bonne intégration. Dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard notamment à l'ancienneté de son séjour en France où elle est entrée alors qu'elle était très jeune et à la qualité particulière des liens qu'elle a personnellement établis sur le territoire dans le cadre de sa scolarité et de son engagement associatif, et alors même que ses parents résident en France de façon irrégulière, le préfet de la Gironde a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour. Ainsi, le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 1er septembre 2023.
5. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à Me Astié, son avocat, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Me Astié, avocat de Mme B..., une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... D... B....
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
La rapporteure,
Clémentine Voillemot
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°24BX00975