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26/11/2024 | FRANCE | N°23BX00562

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 26 novembre 2024, 23BX00562


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... Toque a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 10 août 2020 par laquelle le président du conseil départemental du Gers a suspendu sa rémunération, ensemble la décision du 18 septembre 2020 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux formé contre cette décision.



Par un jugement n° 2002270 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.



Procédure

devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 février 2023, 21 février 2024 et 26 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... Toque a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 10 août 2020 par laquelle le président du conseil départemental du Gers a suspendu sa rémunération, ensemble la décision du 18 septembre 2020 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux formé contre cette décision.

Par un jugement n° 2002270 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 février 2023, 21 février 2024 et 26 mars 2024, Mme Toque, représentée par Me Taquet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°2002270 du tribunal administratif de Pau du 30 décembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 10 août 2020 par laquelle le président du conseil départemental du Gers a suspendu sa rémunération, ensemble la décision du 18 septembre 2020 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux formé contre cette décision ;

3°) de mettre à la charge du département du Gers le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car il a omis de répondre au moyen tiré de ce que la décision attaquée devait en réalité recevoir la qualification de sanction déguisée ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en appliquant les dispositions de l'article 37-12 du décret du 30 juillet 1987, dans sa version issue du décret n°2022-350 du 11 mars 2022 puisqu'il fallait appliquer ces dispositions dans leurs versions issues du décret n°2019-301 du 10 avril 2019 ;

- la décision du 10 août 2020 est entachée d'erreurs de fait quant à son refus de se soumettre à la visite médicale ;

- elle constitue une sanction déguisée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 février 2024 et le 14 mars 2024, le département du Gers, représenté par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme Toque une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme Toque ne sont pas fondés et qu'en tout état de cause, que ce soit au regard de son absence injustifiée aux expertises médicales ou son défaut d'information du département du Gers quant à son absence prolongée de son domicile, celle-ci n'a pas respecté les obligations qui étaient les siennes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Ellie, rapporteur public,

- les observations de Me Rubio, représentant le département du Gers.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Toque, adjointe administrative à la maison départementale des solidarités de Fleurance, rattachée au département du Gers, était en congé maladie depuis le 12 juin 2018, date à laquelle elle a subi un accident ayant été reconnu imputable au service. Par décision du 10 août 2020, le président du conseil départemental du Gers a décidé de suspendre la rémunération de Mme Toque du fait qu'elle ne s'est pas présentée aux visites médicales auxquelles elle avait été convoquée. Par décision du 18 septembre 2020, cette même autorité a rejeté le recours gracieux formé par Mme Toque contre cette décision. Mme Toque relève appel du jugement du 30 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces délibérations.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il n'appartient pas au juge d'appel, qui n'est pas juge de cassation, d'apprécier si, en appliquant les dispositions de l'article 37-12 du décret du 30 juillet 1987, dans leur version issue du décret n°2022-350 du 11 mars 2022, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

3. En second lieu, dans un mémoire enregistré le 8 juin 2022, Mme Toque a indiqué qu'elle " doit faire face à une sanction déguisée de la part de M. E... A... lequel a décidé de [la] déstabiliser psychologiquement Mme TOQUE car il souhaitait se débarrasser [d'elle] en tant qu'assistante. ". Le tribunal a omis de répondre à ce moyen opérant tiré de ce qu'une sanction déguisée aurait été infligée à Mme Toque.

4. Le jugement du 30 décembre 2022 du tribunal administratif de Pau doit donc être annulé et, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande de Mme Toque devant le tribunal.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

5. En premier lieu, il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision du 18 septembre 2020 par laquelle le président du conseil départemental du Gers a rejeté son recours gracieux formé contre la décision attaquée du 10 août 2020 est entaché d'une erreur de fait doit être écarté comme inopérant.

6. En deuxième lieu, par arrêté du 2 avril 2015, le président du conseil départemental du Gers a donné délégation à M. E... A..., directeur général adjoint ressources et moyens du département du Gers et signataire de la décision attaquée, à l'effet de signer tous actes, arrêtés et décisions relevant, notamment, de la direction des ressources humaines. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision manque en fait.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 37-12 du décret du 30 juillet 1987 dans sa version en vigueur entre le 13 avril 2019 et le 14 mars 2022, pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux : " Lorsque l'autorité territoriale ou la commission de réforme fait procéder à une expertise médicale ou à une visite de contrôle, le fonctionnaire se soumet à la visite du médecin agréé sous peine d'interruption du versement de sa rémunération jusqu'à ce que cette visite soit effectuée. ". Il résulte de ces dispositions que le refus d'un agent de se soumettre à une visite médicale peut entraîner la suspension de la rémunération.

8. Pour suspendre la rémunération de Mme Toque, le président du conseil départemental du Gers s'est fondé, dans la décision contestée du 10 août 2020, sur la circonstance qu'en méconnaissance de l'article 37-12 du décret du 30 juillet 1987, celle-ci ne s'était pas présentée par deux fois, les 31 mars 2020 et 20 juillet 2020, aux convocations pour une expertise médicale auprès du docteur agréé alors que de nombreux vols de rapatriement ont été mis en place pour rapatrier les personnes retenues au Maroc où séjournait alors Mme Toque qui y possède un appartement.

9. S'agissant, d'une part, de la convocation à la visite médicale prévue le 31 mars 2020, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à cette date, compte tenu des mesures de confinement prises par les autorités marocaines et françaises pour prévenir la propagation de l'épidémie de Covid 19 en mars 2020, des vols de rapatriement aient été mis en place pour rapatrier, en France, les personnes retenues au Maroc. Cette visite médicale avait d'ailleurs été reportée au 5 juin 2020 puis au 20 juillet 2020 par le médecin agréé. La décision attaquée est donc entachée d'une erreur de fait et d'appréciation en ce qu'elle mentionne que de nombreux vols de rapatriement avaient été mis en place dès le 31 mars 2020 pour rapatrier les personnes retenues au Maroc.

10. S'agissant, d'autre part, de la convocation à la visite médicale prévue le 20 juillet 2020, le département du Gers soutient sans être contesté qu'il ressort des informations contenues sur le site internet de l'Ambassade de France à Rabat que " Depuis la fermeture des liaisons aériennes en mars, plus de 260 vols sont partis du Maroc, permettant à plus de 45 000 personnes de regagner la France, grâce à des vols de rapatriement, organisés par l'Ambassade et les Consulats et opérés par Air France/Transavia ". Mme Toque soutient, certes, que la décision attaquée est entachée d'une erreur de fait et d'appréciation en ce qu'elle n'a jamais été convoquée à l'expertise du 20 juillet 2020, ce rendez-vous n'ayant ainsi jamais existé. Toutefois, Mme Toque reconnaît avoir été destinataire d'une convocation devant le médecin agréé pour la date du 5 juin 2020 et il ressort d'un message électronique adressé par celle-ci à son autorité de gestion le 23 juillet 2020, que son " second vol du 16 [juin, ainsi que le corrobore le billet d'avion annulé versé au dossier] ayant été annulé, elle avait demandé un nouveau report pour l'expertise, ajoutant que compte tenu de ce qu'elle pouvait " bénéficier d'un vol de rapatriement mardi 28 juillet prochain ", elle demandait désormais une nouvelle date de rendez-vous pour la réalisation de l'expertise. Enfin, il ressort du recours gracieux de Mme Toque en date du 3 septembre 2020, que celle-ci a expressément reconnu ne pas s'être présentée aux rendez-vous du Dr B... des 31 mars et 20 juillet 2020. Il suit de là que Mme Toque ne pouvait ignorer que le rendez-vous du 5 juin 2020 avait été reporté d'un commun accord avec le secrétariat médical au 20 juillet 2020, ce que Mme Toque reconnaît d'ailleurs implicitement dans le dernier état de ses écritures en indiquant que " Son interlocuteur a mentionné l'éventualité d'un nouveau rendez-vous au 20 juillet 2020 ". L'arrêté n'est donc pas entaché sur ce point d'une erreur de fait et d'appréciation.

11. Il résulte de l'instruction que le département du Gers aurait pris la même décision s'il n'avait pas commis l'erreur de fait mentionnée au point 9 du présent arrêt et le refus de Mme Toque de se soumettre à la visite médicale du 20 juillet 2020 suffisait à justifier la suspension de sa rémunération alors d'ailleurs que si Mme Toque soutenait devant le tribunal ne pas avoir opté pour des vols de rapatriement en raison de leur coût jugé trop élevé, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que les frais de rapatriement en cause, chiffrés dans le courrier électronique qu'elle a adressé au cabinet du président de la République, à la somme de 280 à 380 euros par personne, en sus d'un transfert de Paris à Toulouse, étaient tels qu'elle était dans l'impossibilité matérielle de les supporter.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme Toque doit être regardée comme ayant refusé de se soumettre à la visite médicale fixée au 20 juillet 2020. Par suite, en prenant la décision attaquée, le président du conseil départemental du Gers n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 37-12 du décret du 30 juillet 1987.

13. En quatrième lieu, dans son courrier du 18 septembre 2020 qu'il a adressé à Mme Toque, le département du Gers a informé celle-ci qu'à la suite de son défaut de présentation aux rendez-vous médicaux auxquels elle avait été convoquée, la consultation des données publiques de son réseau social Facebook avait révélé qu'elle exerçait depuis plus d'un an, pendant son congé maladie, une activité privée lucrative de ventes de produits berbères alors que le cumul d'un emploi public et d'une activité privé lucrative n'est possible que s'il est préalablement autorisé par l'autorité administrative et que, de surcroit, une telle activité est incompatible avec le placement en congé de maladie et il en a conclu qu'il envisageait de saisir le conseil de discipline de cette situation. Il ne résulte pas de ce courrier que la décision contestée, laquelle, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, est légalement justifiée par l'absence de Mme Toque à la visite médicale du 20 juillet 2020 à laquelle elle a été convoquée, résulterait d'une sanction déguisée intervenue en méconnaissance de la procédure contradictoire, des droits de la défense et des dispositions de l'article L. 533-1 du code général de la fonction publique prohibant les sanctions financières.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme Toque n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 10 août 2020, ensemble la décision du 18 septembre 2020 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux formé contre cette décision. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme Toque la somme demandée par le département du Gers au même titre.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 30 décembre 2022 du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme Toque devant le tribunal administratif de Pau et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions du département du Gers présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... Toque et au département du Gers.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Nicolas Normand, président-assesseur,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.

Le rapporteur,

Nicolas D...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au préfet du Gers en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX00562


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00562
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Nicolas NORMAND
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : TAQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-26;23bx00562 ?
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