Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision de la ministre des armées du 24 août 2021 portant refus d'octroi de la protection fonctionnelle et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 175 000 euros en réparation des préjudices subis à raison du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.
Par un jugement n° 2100586 du 3 novembre 2022, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 13 janvier 2023, le 17 février 2023, le 3 mai 2024 et le 28 juin 2024, Mme B..., représentée par Me Herren, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 3 novembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 24 août 2021 par laquelle la ministre des armées a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 184 000 euros au titre des préjudices subis en raison du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement notifié ne comporte pas la signature des membres de la formation de jugement ni celle du greffier en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative dès lors que les premiers juges ont fondé leur analyse sur les seules pièces produites par l'administration ;
- la note en délibéré, à laquelle étaient jointes des pièces nouvelles de nature à influer sur le sens du jugement, devait être communiquée ;
- les premiers juges ont omis de tenir compte des conditions d'application de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;
- depuis 2007 elle est victime d'une situation de harcèlement moral qui résulte de pratiques discriminatoires répétées, de propos vexatoires et racistes tenus à son encontre de manière récurrente, du non-respect des préconisations du médecin de prévention, de la privation des moyens de travail et de dénigrement de sa manière de servir ; ces faits ont provoqué une dégradation sévère et croissante de ses conditions de travail et de son état de santé ;
- elle est fondée à soutenir que l'administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat afin de lui verser les sommes de 100 000 euros au titre d'un préjudice psychologique, de 50 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, de 29 000 euros au titre d'un préjudice de carrière et de 5 000 euros au titre d'un préjudice moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Valérie Réaut,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- et les observations de Me Herren, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., recrutée en 1998 en qualité d'assistante de service social du ministère des armées, a été affectée au centre d'action sociale Outre-Mer-Antilles (CASOM-A) de la Martinique à compter du 1er décembre 2004. Par un courrier du 18 mai 2021 réceptionné le 27 mai 2021, elle a saisi son administration d'une demande tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle à raison des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime et au versement d'une indemnité de 175 000 euros en réparation des préjudices subis. La ministre des armées lui a opposé un rejet le 24 août 2021. Par un jugement du 3 novembre 2022, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté les demandes de Mme B... tendant à l'annulation du refus d'octroi de la protection fonctionnelle et à la condamnation de l'Etat au paiement de la même somme. Elle relève appel de ce jugement en portant le montant de l'indemnité demandée à la somme de 184 000 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure que la minute du jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 2100586 du 3 novembre 2022 est signée par le magistrat rapporteur et la présidente de la formation de jugement ainsi que par la greffière d'audience, conformément aux exigences de l'article R. 741-7 du code de justice administrative.
3. En deuxième lieu, en vertu de l'article R. 731-3 du code de justice administrative, toute partie à l'instance peut, à l'issue de l'audience, adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré. Cette production doit être visée dans la décision afin de permettre à l'auteur de cette note en délibéré de s'assurer que la formation de jugement en a pris connaissance. Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.
4. Il ressort des pièces de la procédure que, postérieurement à l'audience tenue par le tribunal administratif de la Martinique le 13 octobre 2022, par une note en délibéré enregistrée le 21 octobre 2022, Mme B... a résumé ses écritures en insistant sur certains points après avoir entendu les conclusions du rapporteur public. Ni les mentions de cette note ni les pièces qui y étaient jointes ne faisaient état d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit se rapportant à la période concernée par la demande de la requérante, dont celle-ci ne pouvait faire état avant la clôture d'instruction et susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Ainsi, alors que la note en délibéré est visée dans le jugement, les premiers juges n'ont méconnu ni le principe du contradictoire ni l'obligation prescrite à l'article R. 741-2 du code de justice administrative en s'abstenant de la communiquer.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué, notamment du point 5, que les premiers juges, après avoir repris l'ensemble des faits allégués par Mme B... pour faire présumer la situation de harcèlement moral invoquée, ont considéré que ces faits n'étaient pas suffisamment étayés et qu'il ne ressortait pas des pièces versées à l'instance que l'intéressée aurait été privée durablement des moyens matériels d'exercer ses fonctions ni qu'elle aurait été déchargée de ses missions ou mise à l'écart de quelque façon que ce soit. Le tribunal a enfin relevé que le comportement de Mme B... avait concouru à la dégradation des relations de travail au sein du service. Ce faisant, le tribunal a suffisamment motivé sa décision et il ne résulte pas de cette motivation qu'il aurait porté une appréciation partiale sur les éléments du dossier. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires alors applicables et aujourd'hui repris à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.". Le IV de l'article 11 de la même loi, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique dispose que : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
8. Pour faire présumer l'existence de la situation de harcèlement moral dont elle allègue avoir été victime, Mme B... se prévaut d'une série de faits qu'elle impute de manière générale à sa hiérarchie durant les années 2007 à 2019.
9. En premier lieu, s'agissant des conditions de travail dégradées invoquées par la requérante, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport des inspecteurs du travail des armées rédigé à la suite de l'inspection du centre d'action sociale Outre-Mer-Antilles (CASOM-A) du 7 au 12 juillet 2019, que les relations de travail entre les agents des deux sites situés en Guadeloupe et en Martinique ainsi que leurs relations avec la direction de cet organisme ont connu depuis 2010 des dissensions et tensions internes en grande partie imputables à l'absence d'une réelle direction du service, laquelle fut même vacante de juillet 2016 à juillet 2017. Cette défaillance managériale a été un facteur déstabilisant à l'origine de la désorganisation du travail des équipes de chaque site, notamment celui de la Martinique, qui comptait quatre agents dont la requérante, les conflits portant en particulier sur les remplacements des fonctionnaires absents et sur l'usage mutualisé des véhicules de service. Selon le rapport susmentionné, en dépit de la relative autonomie de chaque agent dans la gestion des actions sociales à mener à l'égard des familles des gendarmes et militaires de l'île, l'insuffisance de directives hiérarchiques et l'absence de consignes claires ont pu ainsi être les facteurs d'un mal-être collectif au travail au retentissement individuel plus ou moins important. Au vu de ces éléments de contexte et des pièces produites, les critiques de Mme B... relatives à la tenue des séances du comité technique et des autres réunions de service, à la mise à disposition d'un matériel informatique parfois peu performant et au défaut de redistribution des fonctions des agents absents apparaissent imputables à ce manque d'organisation de l'équipe hiérarchique, et ont affecté sans distinction l'ensemble des agents de l'antenne de la Martinique, non pas spécifiquement la requérante. Si celle-ci de plaint en outre d'une intrusion dans son bureau, il résulte de l'instruction que l'incident dont elle se plaint a eu lieu dans le cadre du déménagement du service dans lequel elle était affectée.
10. En deuxième lieu, s'agissant de la situation administrative de Mme B..., il résulte de l'instruction que, d'une part, si une erreur a été commise dans la base de calcul de son indemnité de fonctions de sujétions et d'expertise au titre de certaines années, celle-ci a été corrigée par l'administration dès son constat, et que d'autre part la non-réévaluation à la hausse de cette indemnité sur la période considérée est cohérente avec les appréciations générales portées sur la manière de servir de l'intéressée, ainsi que l'expliquent les courriers du chef du service de l'action sociale des armées du 29 juillet 2020 et du 10 janvier 2023. A ce titre, les allégations de Mme B... selon lesquelles elle n'aurait pas été évaluée au titre de certaines années et des formations professionnelles lui auraient été refusées sans motif valable ne sont aucunement étayées. Il en est de même de l'argument tenant à l'absence de progression normale de carrière, au soutien duquel la requérante n'apporte aucune précision quant aux perspectives professionnelles attendues et qui n'auraient pas été satisfaites. Les allégations de discriminations raciales dont elle se plaint encore, notamment dans sa progression de carrière, ne sont aucunement circonstanciées ni même succinctement décrites. D'autre part, contrairement à ce que soutient Mme B..., les préconisations du médecin de prévention suggérant sa réorientation vers des fonctions principalement administratives ont été suivies par l'administration, puisqu'après une première proposition à laquelle la requérante n'a elle-même pas donné suite, son reclassement a abouti à son affectation sur un emploi de chargé de mission créé à la fin de l'année 2023. Enfin, s'il résulte de l'instruction que l'administration a retardé jusqu'au 30 novembre 2020, dans l'attente de la réunion de la commission de réforme, la reprise de fonctions de la requérante à l'issue d'un congé pris pour une maladie imputable au service du 21 mai 2019 au 31 août 2020, une telle circonstance, à la supposer illégale, ne saurait caractériser à elle seule un fait de harcèlement moral, alors notamment qu'il n'en est résulté aucune diminution de rémunération pour l'intéressée.
11. En dernier lieu, il résulte également de l'instruction, notamment de l'enquête menée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail à propos des atteintes potentielles à l'état de santé mentale de Mme B... durant la période courant de juin 2015 à avril 2017, ainsi que du rapport d'inspection susmentionné, que la requérante conçoit difficilement que ses conditions de travail effectives s'écartent de la conception idéalisée qu'elle se fait de l'exercice de ses fonctions et que ses collègues se plaignent de son absence de confraternité dans les relations de travail. Selon le rapport, Mme B... a ainsi fait montre d'un " comportement professionnel inadapté " en partie à l'origine des troubles psychosociaux de certains de ses collègues et de l'ambiance dégradée au sein du service.
12. Il résulte de tout ce qui précède, ainsi que l'ont pertinemment retenu les premiers juges, que les pièces du dossier ne permettent pas de retenir que Mme B... aurait fait l'objet de comportements discriminatoires ou qu'elle aurait été privée durablement des moyens matériels d'exercer ses fonctions, ni qu'elle aurait été déchargée de ses missions ou mise à l'écart de quelque façon que ce soit faisant présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. La requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses demandes d'annulation du refus d'octroi de la protection fonctionnelle et d'indemnisation de préjudices.
Sur les frais de l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre des armées et des anciens combattants.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
La rapporteure,
Valérie RéautLe président,
Laurent Pouget Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00144