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14/11/2024 | FRANCE | N°24BX01815

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 14 novembre 2024, 24BX01815


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Pau, sous le n° 2401327 d'annuler l'arrêté du 29 avril 2024 par lequel le préfet du Gers a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a astreint à se présenter trois fois par semaine au commissariat d'Auch, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour, et sous le n° 2401442, d'annuler l'a

rrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet du Gers l'a assigné à résidence pour une durée de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Pau, sous le n° 2401327 d'annuler l'arrêté du 29 avril 2024 par lequel le préfet du Gers a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a astreint à se présenter trois fois par semaine au commissariat d'Auch, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour, et sous le n° 2401442, d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet du Gers l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours.

Par un jugement nos 2401327, 2401442 du 19 juin 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal a renvoyé devant une formation collégiale les conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de titre de séjour et les conclusions à fin d'injonction, et a annulé le surplus des conclusions dirigées contre l'arrêté du 29 avril 2024 et la décision d'assignation à résidence du 29 mai 2024.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 juillet 2024, le préfet du Gers demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé l'obligation de quitter le territoire français du 29 avril 2024, la décision fixant le pays de renvoi et la décision d'assignation à résidence du 29 mai 2024.

Il soutient que : le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et que l'intéressé peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; dans ses observations présentées devant le tribunal, l'OFII a indiqué que les médicaments nécessaires ou leurs équivalents dans les mêmes classes thérapeutiques sont disponibles en Tunisie, de même qu'un suivi psychiatrique à long terme, hospitalier ou ambulatoire ; si une nouvelle demande de titre de séjour a été présentée par courrier du 1er juillet 2024 en joignant une attestation de non-commercialisation du D..., anticholinergique destiné à corriger d'éventuels effets secondaires parkinsoniens de l'aripiprazole, ces effets peuvent être traités par de nombreux autres produits disponibles en Tunisie, notamment le triherxyphénidyl ; au demeurant, il est également possible de remplacer l'aripiprazole par des médicaments qui ne provoquent pas d'effets indésirables de type parkinsonien, notamment l'olanzapine disponible en Tunisie ; c'est ainsi à tort que le tribunal a annulé l'obligation de quitter le territoire français pour erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 septembre 2024, M. A..., représenté par Me Pather, conclut à titre principal au rejet de la requête et demande à la cour, à titre subsidiaire, d'annuler les arrêtés du 29 avril 2024, d'enjoindre au préfet du Gers de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à défaut de réexaminer sa situation dans le même délai et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, et dans tous les cas de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- son traitement est constitué d'Alprazolam Mylan, d'aripiprazole, de loxapine, de tropatépine chlorydrate, de zopiclone, d'oxazépam, de lévomépromazine, de cyamémazine, de diazépam, de Loxapac et de Valium Roche ; il ressort d'une recherche sur internet que le Loxapac, la cyamémazine, l'oxazépam, le zopiclone, la tropatépine chlorhydrate, la loxapine, l'aripiprazole et l'Alprazolam Mylan ne sont pas disponibles en Tunisie ; en outre, il ressort de l'attestation du ministre de la santé tunisien que le D... (tropatépine chlorhydrate) n'est pas commercialisé en Tunisie ; ainsi, son traitement n'est pas seulement constitué de quatre médicaments, et le préfet du Gers n'apporte aucune preuve de la possibilité de substituer l'aripiprazole, la tropatépine, l'aprazolam et la lévomépromazine ; en outre, les médicaments de substitution mentionnés par le préfet seraient disponibles à Tunis, à plus de 500 kilomètres du village de Kebili dont il est originaire, ce qui rend impossible l'accès au traitement ; c'est ainsi à bon droit que la magistrate désignée a jugé qu'il ne pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;

- la motivation de la décision ne permet pas de s'assurer que le préfet, qui s'est estimé lié par l'avis des médecins de l'OFII, aurait procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;

- il vit en France depuis 2011 où résident son frère, cinq cousins et un oncle titulaires de cartes de résident, lesquels le soutiennent notamment pour son suivi médical, et la précédente obligation de quitter le territoire français prise à son encontre a été annulée par le tribunal administratif de Pau pour erreur manifeste d'appréciation au regard de sa vie privée et familiale, ce que la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé par un arrêt du 18 avril 2024 ; ainsi, le refus de titre de séjour du 29 avril 2024 méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- sa motivation ne permet pas de s'assurer que le préfet aurait procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne l'assignation à résidence :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée et ne permet pas de s'assurer que le préfet aurait procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;

- dès lors qu'il avait introduit le 27 mai 2024 un recours suspensif à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, il disposait, en vertu des dispositions de l'article L. 722-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'un droit à se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce que le tribunal ait statué ;

En ce qui concerne l'obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat d'Auch :

- elle n'est pas motivée en fait ;

- elle ne précise pas que l'obligation de se présenter au commissariat prendra fin à l'issue du délai de départ volontaire, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- alors qu'il présente une pathologie psychiatrique sévère, l'obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat apparaît manifestement disproportionnée.

M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité tunisienne, a déclaré être entré en France le 4 avril 2011. En dernier lieu, le 29 juin 2023, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé, et par un arrêté du 31 octobre 2023, le préfet du Gers a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par un jugement

n° 2303147 du 29 décembre 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a annulé l'obligation de quitter le territoire français pour erreur manifeste d'appréciation compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, et a enjoint à l'administration de réexaminer sa situation. L'appel du préfet du Gers a été rejeté par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 24BX0194 du 18 avril 2024. Après avoir réexaminé la situation de M. A... au regard des dispositions des articles L. 425-9 et L. 423-23

du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a pris le 29 avril 2024 un nouvel arrêté portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de renvoi, puis, par une décision du 29 mai 2024, a assigné M. A... à résidence pour une durée de quarante-cinq jours en lui demandant de se présenter trois fois par semaine au commissariat d'Auch pour justifier de la préparation de son départ. M. A... a attaqué cet arrêté et cette décision devant le tribunal administratif de Pau. Par un jugement nos 2401327, 2401442 du 19 juin 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal a joint les demandes, a renvoyé devant une formation collégiale les conclusions dirigées contre la décision de refus de titre de séjour, et a annulé le surplus de l'arrêté du 29 avril 2024, ainsi que la décision d'assignation à résidence du 29 mai 2024. Le préfet du Gers relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé l'obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le pays de renvoi et l'assignation à résidence, en faisant droit au moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour au regard de la disponibilité du traitement en Tunisie.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). "

3. Par un avis du 25 mars 2024, le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais que l'intéressé peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. A la demande de M. A..., la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a sollicité les éléments au vu desquels cet avis a été prononcé. L'OFII a produit des observations, le dossier médical dont il avait été saisi, et une fiche MedCOI du 18 août 2022 relative à la disponibilité du traitement en Tunisie. Il en ressort que la prise en charge médicale de M. A..., atteint d'un trouble schizophrénique stabilisé avec persistance de quelques hallucinations auditives, consiste, d'une part en un suivi psychiatrique mensuel, disponible en Tunisie, et d'autre part en un traitement médicamenteux associant de l'aripiprazole (antipsychotique), de la lévomépromazine (antihistaminique), de la tropatépine commercialisée sous le nom de D... (anticholinergique destiné à corriger les syndromes parkinsoniens induits par l'aripiprazole), et de l'alprazolam (anxiolytique). Alors que sa psychiatre traitante n'a mentionné que quatre médicaments dans le formulaire destiné à l'OFII qu'elle a renseigné le 12 janvier 2024, M. A... n'est pas fondé à en invoquer d'autres qu'elle lui avait prescrits antérieurement à cette date. Selon les éléments produits par l'OFII, l'aripiprazole et l'alprazolam destinés au traitement des troubles psychiatriques sont disponibles en Tunisie, tandis que la lévomépromazine et la tropatépine peuvent être remplacés respectivement par l'hydroxyzine et le trihexylphénidyle, disponibles en Tunisie, qui ont les mêmes propriétés et indications. Si M. A... a contesté le caractère substituable de ces deux derniers médicaments, qui sont des génériques comme l'ensemble du traitement qui lui est prescrit, la seule pièce produite, une attestation d'un médecin du ministère de la santé de la République Tunisienne selon laquelle il n'existerait pas d'équivalents de la tropatépine sur le marché tunisien, ne suffit pas à remettre en cause la possibilité de son remplacement par le trihexylphénidyle, lequel, sans être un équivalent, a les mêmes propriétés et indications de correction des syndromes parkinsoniens induits par les neuroleptiques. Enfin, la circonstance que les pièces produites par l'administration font état de la disponibilité des médicaments à Tunis n'est pas de nature à les faire regarder comme indisponibles pour M. A... dans son pays d'origine, quand bien même ce dernier se réinstallerait dans le village où il est né, situé à 510 kilomètres de Tunis. Par suite, le préfet du Gers est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau a fait droit au moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour au regard de la disponibilité du traitement en Tunisie.

4. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance et en appel.

Sur les autres moyens :

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour :

5. En premier lieu, la décision cite l'avis du collège des médecins de l'OFII

du 25 mars 2024, précise qu'aucun élément du dossier médical ni aucune circonstance particulière ne justifient de s'écarter de cet avis, et conclut que l'intéressé ne remplit pas les conditions prévues à l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour la délivrance du titre de séjour sollicité. Elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement du rejet de la demande. Il en ressort, contrairement

à ce que soutient M. A..., que le préfet a procédé à un examen réel et sérieux de sa situation,

et qu'il ne s'est pas estimé lié par l'avis des médecins de l'OFII.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 425-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 425-11 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...). / (...) Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...). " Il ressort des pièces du dossier que le rapport médical a été établi par la docteure C..., médecin de l'OFII. Alors que l'information du préfet sur la transmission du rapport médical a seulement pour objet de permettre aux services de la préfecture de suivre l'avancement de l'instruction par l'OFII des demandes de titre de séjour présentées sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, leur méconnaissance éventuelle

est sans incidence sur la régularité de la procédure à l'égard du demandeur.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 425-13 du code de l'entrée et du

séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le collège à compétence nationale mentionné

à l'article R. 425-12 est composé de trois médecins (...). Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. (...). " D'une part, il ressort des pièces du dossier l'avis a été rendu par les docteurs Sebille, Horrach et Netillard, et que la docteure C... qui a établi le rapport médical n'a pas siégé. D'autre part, les médecins signataires de l'avis ne sont pas tenus, pour répondre aux questions posées, de procéder à des échanges entre eux, l'avis résultant de la réponse apportée par chacun à des questions auxquelles la réponse ne peut être qu'affirmative ou négative. Ainsi, quand bien même leurs réponses n'auraient pas fait l'objet d'échanges oraux ou écrits, cette circonstance serait sans incidence sur la légalité de la décision prise par le préfet au vu de leur avis.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays,

à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé

ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de

l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / (...). " Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

9. Si M. A... soutient résider en France depuis 2011, il n'en justifie pas dès lors qu'à l'exception de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre par le préfet du Rhône le 17 novembre 2017, les preuves de sa présence s'interrompent en 2015 pour ne reprendre qu'avec son admission en soins psychiatriques à Auch le 29 décembre 2022. Malgré la présence en France d'un frère, d'un oncle et de quatre cousins titulaires de cartes de résident, ainsi que d'un cinquième cousin de nationalité française, il ne démontre pas être dépourvu d'attaches en Tunisie, où résident notamment ses parents. Contrairement à ce que soutient

M. A..., le jugement n° 2303147 du 29 décembre 2023 qui a annulé l'obligation de quitter le territoire français du 31 octobre 2023 et l'arrêt n° 24BX0194 du 18 avril 2024 qui a rejeté l'appel du préfet à l'encontre de ce jugement n'ont pas retenu une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, mais une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement à la date du 31 octobre 2023, alors qu'il était hospitalisé pour un épisode de décompensation délirante et qu'il bénéficiait du soutien des membres de sa famille. A la date du 29 avril 2024, M. A..., dont l'état de santé s'était amélioré, pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Dans ces circonstances, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne

de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des dispositions de

l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent être accueillis.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède qui précède que M. A... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de la décision de refus de titre de séjour.

11. En deuxième lieu, l'obligation de quitter le territoire français est suffisamment motivée, en droit par la référence aux dispositions du 3° de l'article L. 611-1 qui permettent de prendre une telle mesure à l'encontre de l'étranger qui s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, et en fait par la motivation du refus de titre de séjour. Il en ressort que le préfet a procédé à un examen réel et sérieux de la situation de M. A....

12. En troisième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de

l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés pour les motifs exposés au point 9.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

13. Il résulte de ce qui précède qui précède que M. A... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, et que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

En ce qui concerne l'assignation à résidence :

14. En premier lieu, M. A... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

15. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; / (...). " La décision, qui cite ces dispositions, indique que l'obligation de quitter le territoire français ne pourra intervenir qu'après la délivrance d'un laissez-passer consulaire par les autorités tunisiennes et la réservation d'un vol à destination de la Tunisie, et que la perspective de l'éloignement de M. A..., dont le passeport tunisien est valable jusqu'au 24 octobre 2027, demeure une perspective raisonnable. Cette motivation est suffisante en fait, et il en ressort que le préfet a procédé à un examen réel et sérieux de la situation de l'intéressé.

16. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 722-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'éloignement effectif de l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut intervenir avant l'expiration du délai ouvert pour contester, devant le tribunal administratif, cette décision et la décision fixant le pays de renvoi qui l'accompagne, ni avant que ce même tribunal n'ait statué sur ces décisions s'il a été saisi. / (...) / Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des possibilités d'assignation à résidence et de placement en rétention prévues au présent livre. " Si M. A... avait déposé le 27 mai 2027 une demande d'annulation de l'arrêté du 29 avril 2024, ce dont le préfet du Gers n'a eu connaissance que le 3 juin 2024, cette circonstance faisait seulement obstacle à l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français jusqu'à ce que le tribunal ait statué, et non à ce que le préfet puisse prendre une mesure d'assignation à résidence. Les moyens tirés de la méconnaissance de ces dispositions et du détournement de pouvoir ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne l'obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat d'Auch :

17. Aux termes de l'article L. 721-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel un délai de départ volontaire a été accordé peut, dès la notification de la décision portant obligation de quitter le territoire français, être astreint à se présenter à l'autorité administrative ou aux services de police ou aux unités de gendarmerie pour y indiquer ses diligences dans la préparation de son départ. Cette décision est prise pour une durée qui ne peut se poursuivre au-delà de l'expiration du délai de départ volontaire. "

18. En premier lieu, eu égard à la rédaction des dispositions précitées qui laissent à l'appréciation du préfet l'opportunité d'astreindre ou non l'intéressé à justifier de ses diligences dans la préparation de son départ, la référence à l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours constitue une motivation suffisante en fait.

19. En deuxième lieu, la décision astreint M. A... à se présenter trois fois par semaine (les lundis, mercredis et vendredis) au commissariat d'Auch pour indiquer ses diligences pour la préparation de son départ, en précisant qu'il devra se présenter au service des migrations et de l'intégration de la préfecture dès qu'il aura en sa possession l'ensemble des documents justifiant des modalités de son départ, et au plus tard le dernier jour du délai de départ volontaire. Il en ressort nécessairement que l'obligation de se présenter au commissariat prend fin le dernier jour du délai de départ volontaire, de sorte que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'elle se poursuivrait au-delà de l'expiration de ce délai.

20. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat d'Auch serait manifestement disproportionnée au regard de l'état de santé de M. A....

21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Gers est fondé à demander l'annulation de l'article 3 du jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau nos 2401327, 2401442 du 19 juin 2024 qui a annulé l'obligation de quitter le territoire français du 29 avril 2024, la décision fixant le pays de renvoi du même jour et l'assignation à résidence du 29 mai 2024.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

22. M. A..., qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 3 du jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Pau nos 2401327, 2401442 du 19 juin 2024 est annulé.

Article 2 : Les demandes d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français

du 29 avril 2024, de la décision fixant le pays de renvoi du même jour et de l'assignation

à résidence du 29 mai 2024 présentées par M. A... devant le tribunal et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Gironde, à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Catherine Girault, présidente de chambre,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.

La rapporteure,

Anne B...

Le président,

Luc DerepasLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX01815


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX01815
Date de la décision : 14/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SP AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-14;24bx01815 ?
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