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14/11/2024 | FRANCE | N°24BX00612

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 14 novembre 2024, 24BX00612


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 15 avril 2022 par lequel le préfet de la Guyane lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2200775 du 23 octobre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 11 mars 2024, Mme D..., représentée par Me Moraga Rojel, demande à la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 15 avril 2022 par lequel le préfet de la Guyane lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2200775 du 23 octobre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 mars 2024, Mme D..., représentée par Me Moraga Rojel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guyane du 15 avril 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans le même délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le tribunal a omis de statuer sur les moyens soulevés dans son mémoire complémentaire enregistré le 21 septembre 2023, tirés de la méconnaissance du droit d'être entendue, de la méconnaissance des dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'erreur d'appréciation, de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne l'interdiction de retour, et de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi ;

- dès lors que le préfet de la Guyane n'a pas produit la délégation de signature

de Mme E... et n'a pas indiqué les références de sa publication, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire est fondé ; en outre, l'arrêté a en réalité été signé par un " tampon encreur ", ce qui ne permet pas de s'assurer de l'identité du signataire ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle n'est pas motivée en fait ;

- elle a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu, alors qu'elle aurait pu évoquer ses problèmes de santé et ses craintes en cas de retour en Haïti, où la situation de violence s'est accrue depuis sa demande d'asile ;

- dès lors qu'elle avait demandé un rendez-vous pour déposer une demande de titre de séjour par un courrier recommandé reçu le 4 mars 2022, l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle justifie de son séjour continu en France depuis juillet 2016, elle y a constitué sa vie familiale auprès de sa tante et de ses cousines, et elle présente une pathologie qui nécessite un suivi au long cours ; ainsi, l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- dès lors qu'elle est menacée dans son pays d'origine du fait de la situation de violence et de sa qualité de victime dans l'attaque d'un marché par une bande armée, le préfet était tenu d'examiner sa situation au regard des dispositions d l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne le refus de délai de départ volontaire :

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne représente aucune menace pour l'ordre public, que l'obligation de quitter le territoire français n'est pas fondée sur une demande manifestement infondée ou frauduleuse, et qu'elle a déclaré une adresse lors de son audition par les services de police, ce qui démontre qu'elle ne présente pas de risque de fuite ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour :

- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation du refus de délai de départ volontaire ;

- elle est insuffisamment motivée, notamment au regard du critère de la menace à l'ordre public ;

- dès lors que le préfet n'a pas tenu compte de l'absence de menace à l'ordre public, elle a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'administration ne démontre pas qu'elle aurait fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- en qualité de femme célibataire âgée de 37 ans, sans enfant et originaire de

Port-au-Prince, elle est particulièrement exposée à la violence des gangs en cas de retour en Haïti, pays où règne une situation de violence aveugle comme l'a reconnu la Cour nationale du droit d'asile dans une décision n° 2305187 du 5 décembre 2023 ; ainsi, la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le juge doit se placer à la date à laquelle il statue pour apprécier le risque.

Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux, par une décision n° 2023/010024 en date du 16 janvier 2024, a admis Mme D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., de nationalité haïtienne, a déclaré être entrée en France

le 4 juillet 2016. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 septembre 2017, et par un arrêté du 5 mars 2018, le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le 15 avril 2022, constatant à l'occasion d'une vérification du droit de circulation ou de séjour qu'elle se trouvait en situation irrégulière, le préfet lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui

a interdit le retour pour une durée de deux ans. Mme D... relève appel du jugement

du 23 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Dans son mémoire enregistré le 21 septembre 2023, antérieurement à la clôture de l'instruction, Mme D... a notamment fait valoir qu'elle n'avait pas été entendue ou mise à même de présenter ses observations préalablement à l'édiction de l'obligation de quitter le territoire français et de l'interdiction de retour. Le jugement ne répond pas à ce moyen, qui n'est pas inopérant. Par suite, il est entaché d'irrégularité et doit être annulé.

3. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par voie d'évocation, sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 15 avril 2022.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes du I de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...). "

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne,

notamment de son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... aurait été informée, lors de son interpellation le 15 avril 2022, de l'intention du préfet de prendre à son encontre une mesure d'éloignement. La requérante, qui justifie avoir sollicité un rendez-vous en vue du dépôt d'une demande de titre de séjour par un courrier reçu par les services de la préfecture le 4 mars 2022, produit un certificat médical d'un chirurgien viscéral du 4 mars 2022 indiquant que son état de santé nécessitait alors une intervention chirurgicale prévue pour le 24 mars suivant, qui ne pouvait être décalée, et qu'un suivi régulier serait ensuite nécessaire durant plus de six mois. Ces éléments auraient pu influer sur la décision du préfet. Dans ces circonstances, la méconnaissance du droit d'être entendue préalablement à l'obligation de quitter le territoire français entache cette décision d'illégalité.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à demander l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français du 15 avril 2022, et par voie de conséquence des décisions du même jour portant fixation du pays de renvoi et interdiction de retour pour une durée de deux ans.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

8. L'annulation prononcée au point précédent implique seulement le réexamen de la situation de Mme D.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Guyane d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

9. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Moraga Rojel.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane n° 2200775 du 23 octobre 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Guyane du 15 avril 2022 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Guyane de réexaminer la situation de Mme D...

dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Moraga Rojel une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., au préfet de la Guyane,

au ministre de l'intérieur et à Me Moraga Rojel.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Catherine Girault, présidente de chambre,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.

La rapporteure,

Anne B...

Le président,

Luc DerepasLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX00612


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00612
Date de la décision : 14/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : MORAGA ROJEL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-14;24bx00612 ?
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