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14/11/2024 | FRANCE | N°24BX00484

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 14 novembre 2024, 24BX00484


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les arrêtés du 2 février 2024 par lesquels le préfet de la Vienne, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence dans ce département pendant une durée de quarante-cinq jours.


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les arrêtés du 2 février 2024 par lesquels le préfet de la Vienne, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence dans ce département pendant une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement no 2400260 du 8 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête enregistrée le 27 février 2024, M. A..., représenté par Me Hay, demande à la cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler le jugement du 8 février 2024 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 2 février 2024 du préfet de la Vienne ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à son avocate au titre des frais de défense.

Il soutient que :

- l'arrêté porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'ensemble de sa famille réside sur le territoire français, dont sa compagne française avec laquelle il souhaite se marier et son frère français qui l'héberge, son autre frère titulaire d'un certificat de résidence de dix ans et sa mère en situation régulière ; l'état de santé de celle-ci est précaire et il en est l'aidant principal, de même qu'il participe aux tâches ménagères de la famille de son frère et accompagne ses cinq neveux et nièces à l'école quand celui-ci est amené à se déplacer dans le cadre de son activité professionnelle ; il a obtenu une promesse d'embauche en qualité d'ouvrier forestier ;

- l'interdiction de retour aura pour effet de le séparer durablement de la cellule familiale qu'il s'est constituée en France et est illégale pour ces mêmes motifs ;

- la décision l'assignant à résidence est privée de base légale en raison des illégalités affectant la mesure d'éloignement.

Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux, par une décision n° 2024/000457 en date du 5 mars 2024, a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par une ordonnance du 8 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au

13 septembre 2024 à 12h00.

Un mémoire en défense a été produit par le préfet de la Gironde le 18 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1958 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien né en 1993, est entré en France selon ses déclarations en novembre 2019, sans visa. Il a fait l'objet le 1er décembre 2022 d'un refus de séjour en qualité de salarié assorti d'une mesure d'éloignement, confirmé par un jugement du tribunal administratif de Poitiers du 23 mai 2023 et une ordonnance de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 3 mai 2024. Après son interpellation par les services de gendarmerie le

1er février 2024 et vérification de son droit au séjour, le préfet de la Vienne, par deux arrêtés

du 2 février 2024, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans, et d'autre part l'a assigné à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours. M. A... relève appel du jugement du 8 février 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :

2. M. A... ayant obtenu le 5 mars 2024 le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, ses conclusions tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ont perdu leur objet.

Sur l'obligation de quitter le territoire sans délai et l'assignation à résidence :

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France au moment du divorce de son frère, qui s'est vu confier la garde de ses cinq enfants en raison de l'abandon du domicile conjugal par son épouse, et qu'hébergé chez lui, il aide leur mère, âgée et souffrant de problèmes de santé, à s'occuper de ses petits-enfants pendant que son frère travaille comme ouvrier du bâtiment. Il est constant que sa mère et son frère sont tous deux en situation régulière, de même qu'un autre frère résidant à Poitiers, marié avec une ressortissante française et lui-même père de deux enfants. Il ressort des nombreuses attestations versées au dossier que M. A... s'occupe effectivement de l'entretien de la maison et de la scolarité de ses neveux et nièces, âgés de 8 à 18 ans aujourd'hui. Cependant il a présenté une demande d'autorisation de travail pour exercer un emploi d'ouvrier forestier, et le document rempli par son employeur ne fait pas apparaître de cachet de réception par l'administration, non plus que la date de cette réception. Si M. A... ajoute qu'il a noué une relation avec une ressortissante française, l'attestation de celle-ci en date du 6 février 2024, soit deux jours après la décision attaquée, se borne à affirmer qu'il est son concubin et qu'ils ont un projet de mariage, sans faire état d'une vie commune ni de la durée de la relation, ni joindre aucun document à l'appui. Alors qu'il n'était pas autorisé à s'installer en France à son arrivée, que cette relation nouvelle était très récente et qu'il avait conservé des attaches familiales en Algérie, le refus de titre de séjour ne peut être regardé, à la date à laquelle il a été pris, comme portant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.

4. En second lieu, l'obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, le moyen tiré d'un défaut de base légale de l'assignation à résidence ne peut qu'être écarté.

Sur l'interdiction de retour :

5. Aux termes de l'article L.612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public. "

6. M. A..., qui ne conteste pas le refus de délai de départ volontaire, souligne que l'interdiction de retour pendant deux ans le priverait de toute relation avec sa famille en France, qui n'aura pas les moyens de venir le voir en Algérie, et avec sa concubine qui ne peut abandonner son travail de coiffeuse en France et sa propre famille pour le rejoindre dans un pays où ils n'ont ni foyer ni ressources. Dans ces circonstances, et alors que ses relations avec ses frères et sœurs restés en Algérie se sont nécessairement distendues pendant son long séjour en France, il est fondé à soutenir qu'en lui faisant interdiction de retour pendant deux ans, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français, et que ses conclusions tendant à l'annulation des autres décisions doivent être rejetées. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La décision du 2 février 2024 portant interdiction de retour sur le territoire français est annulée.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article2.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera adressée pour information au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Catherine Girault, présidente de chambre,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.

La rapporteure,

Catherine B...Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX00484


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00484
Date de la décision : 14/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : HAY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-14;24bx00484 ?
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