Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision implicite née le 13 octobre 2022 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que l'arrêté du 2 décembre 2022 par lequel cette même autorité lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2206287 du 13 septembre 2023, le tribunal a annulé la décision du 2 décembre 2022 par laquelle la préfète de la Gironde a prononcé à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a rejeté le surplus des conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2023, M. B... C..., représenté par Me Astié, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 septembre 2023 en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation des décisions contenues dans l'arrêté du 2 décembre 2022 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, dans le même délai et sous la même astreinte, de procéder au réexamen de sa situation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme
de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- les décisions contestées ont été prises par une autorité incompétente ; le subdélégataire de la délégation de signature ne pouvait signer l'arrêté contesté qu'en cas d'empêchement ou d'absence des délégataires principaux, qui n'étaient pas empêchés ni absents ;
- les décisions contestées sont entachées d'une erreur de fait en ce qu'elles retiennent qu'il a fait l'objet d'un rappel à la loi ; le tribunal lui a reproché à tort de ne pas établir qu'il n'en ferait pas l'objet, dès lors que le bureau d'ordre pénal ne délivre pas de telles attestations ;
- le refus de séjour est entaché d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- le refus de séjour est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il retient que sa présence sur le territoire constitue une menace pour l'ordre public du fait des violences conjugales dont il serait l'auteur ; ces faits, qu'il conteste, ne sont pas établis par le prétendu rappel à la loi, dont le tribunal a, à tort, considéré qu'il emportait une reconnaissance préalable de culpabilité ; il n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucunes poursuites ; le préfet ne pouvait se fonder sur le procès-verbal de dépôt de plainte de son épouse, qui est une pièce pénale protégée par le secret de la procédure ;
- le refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il justifie contribuer à l'entretien et l'éducation de sa fille, qu'il prend parfois à son domicile, et a honoré, dès que ses ressources le lui permettaient, ses obligations contributives découlant de l'ordonnance de non-conciliation du juge aux affaires familiales ;
- le refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il vit en France avec sa fille depuis plusieurs années et a travaillé lorsque sa situation administrative au regard du droit au séjour l'y autorisait ;
- le refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; par les éléments dont il fait état, il justifie de motifs exceptionnels ;
- le refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- en considérant que sa présence sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public, la préfète de la Gironde a entaché le refus de séjour contesté d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'incompétence du signataire et est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; la simple circonstance qu'il ait fait l'objet d'une plainte pour des faits qu'il conteste formellement n'établit pas que son comportement représenterait une menace grave et actuelle pour l'ordre public ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 juin 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête, en s'en remettant à ses écritures de première instance.
M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 9 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me Kecha, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant malgache né le 27 juin 1991, est entré en France
le 18 décembre 2019 muni d'un visa long séjour valant titre de séjour en sa qualité de conjoint de français. Il a bénéficié le 17 décembre 2020 d'une carte de séjour temporaire valable
du 25 novembre 2020 au 24 novembre 2021. M. C... a sollicité le 13 juin 2022 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-7, L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le silence gardé par la préfète de la Gironde pendant quatre mois a fait naître une décision implicite de rejet le 13 octobre 2022, à laquelle s'est substituée une décision explicite du 2 décembre 2022 par laquelle la préfète
de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre demandé, lui a fait obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour
sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un jugement n° 2206287
du 13 septembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir requalifié les conclusions d'annulation de M. C... comme dirigées contre l'arrêté du 2 décembre 2022, a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. M. C... relève appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 décembre 2022 en tant que la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.
2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Il résulte de ces dispositions que pour obtenir un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français, l'étranger qui se prévaut de cette qualité doit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant depuis sa naissance ou depuis au moins deux ans.
3. Aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". "
4. Pour refuser à M. C... l'admission au séjour, la préfète de la Gironde s'est fondée sur la circonstance qu'il n'établissait pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant depuis sa naissance et que sa présence constituait une menace grave et actuelle pour l'ordre public.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... est père d'une enfant de nationalité française, Cataleya Manantiana C..., née le 20 décembre 2020, issue de sa relation avec une ressortissante française avec laquelle il est aujourd'hui en instance de divorce. Par une ordonnance de non-conciliation du 12 mai 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bordeaux a fixé la résidence de l'enfant chez la mère, tout en prévoyant un droit d'accueil du père selon l'accord des parties. L'exercice conjoint de l'autorité parentale a été maintenu entre les deux parents et la part contributive de M. C... à l'entretien de l'enfant a été fixée à la somme de 110 euros par mois, sous réserve qu'il perçoive des revenus au moins équivalents au SMIC. M. C..., qui a signé un contrat à durée indéterminée en qualité d'ouvrier électricien le 12 septembre 2022, doit être regardé comme s'étant conformé à ses obligations contributives, dès lors que la mère de l'enfant a attesté avoir reçu la somme de 110 euros au titre des mois d'octobre et novembre 2022, tandis qu'il n'est pas contesté que sa situation d'impécuniosité antérieure, résultant d'une situation professionnelle précaire, faisait obstacle à ce qu'il effectue ces versements conformément aux prescriptions de l'ordonnance de non-conciliation, et alors que son récépissé ayant ensuite expiré, il n'était plus autorisé à travailler. Par ailleurs, alors que l'enfant n'était âgée que de deux ans à la date à laquelle le tribunal a statué, les pièces produites en première instance, en particulier les attestations d'un voisin et d'un médecin généraliste ainsi que les photographies le montrant en compagnie de sa fille, établissent sa contribution à son éducation. Dans ces circonstances, M. C... satisfait aux conditions prévues par les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En second lieu, pour caractériser la menace à l'ordre public, la préfète de la Gironde a relevé que M. C... avait fait l'objet d'une plainte déposée le 22 mars 2021 et qu'il avait reçu une convocation le 12 août 2021 pour rappel à la loi avec classement sous condition et inscription à un stage de responsabilisation et de lutte contre les violences au sein du couple pour des faits de violences commis à l'encontre de son épouse, le 21 mars 2021. Toutefois, alors que l'intéressé conteste s'être rendu l'auteur de tels faits, leur matérialité ne saurait être déduite d'un simple rappel à la loi, cette mesure alternative aux poursuites n'impliquant pas nécessairement une reconnaissance préalable de culpabilité de la personne mise en cause. A supposer ces faits établis, la récidive évoquée dans la plainte n'est assortie d'aucun témoignage et les seules accusations de son épouse ne permettent pas de faire regarder sa présence comme constituant, après leur séparation, une menace pour l'ordre public.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux n'a annulé la décision du 2 décembre 2022 qu'en tant qu'elle prononce une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
8. Eu égard au motif retenu, l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Gironde implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État
une somme de 1 200 euros à verser à Me Astié, conseil de M. C..., en application
des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 4 du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2206287 est annulé.
Article 2 : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 2 décembre 2022 est annulé en ce qu'il refuse d'admettre M. C... au séjour, lui fait obligation de quitter le territoire français et fixe le pays de renvoi.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me Astié une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Gironde et à Me Uldrif Astié.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la Cour,
Mme Catherine Girault, présidente de chambre,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
Antoine A...
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°23BX03101 2