Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... et Mme A... C..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur D..., et M. F... C..., frère aîné de D..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux, dans le dernier état de leurs écritures, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser des indemnités de 497 531,98 euros en réparation des préjudices subis par le jeune D... C... du fait de sa vaccination contre la grippe H1N1, antérieurement à la consolidation de son état de santé, de 25 000 euros chacun
à M. E... C... et Mme A... C..., et de 18 000 euros à M. F... C....
Par un jugement n° 1604519 du 7 juin 2022, le tribunal, après avoir ordonné une expertise, a condamné l'ONIAM à verser à M. et Mme C..., en leur qualité de représentants légaux de leur fils D..., une indemnité de 70 880,50 euros et une somme de 243 744,15 euros au titre de l'assistance par une tierce personne sous déduction de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap, en fonction des justificatifs à fournir. Il a en outre condamné l'ONIAM à verser des indemnités de 13 000 euros chacun à
M. et Mme C... et de 5 000 euros à M. F... C..., et a mis les frais d'expertise à la charge de l'ONIAM.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 juillet 2022 et un mémoire enregistré
le 23 novembre 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, demande à la cour, à titre principal d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes présentées par les consorts C... devant le tribunal, et à titre subsidiaire de réformer le jugement en ce qu'il a indemnisé prématurément un préjudice d'agrément et un préjudice scolaire, de surseoir à statuer sur l'évaluation de ces préjudices dans l'attente de la consolidation de l'état de santé de M. D... C..., et de rejeter l'appel incident des consorts C....
Il soutient que :
- en vertu des dispositions des articles L. 3111-9 et R. 3131-3-3 du code de la santé publique, l'imputabilité de séquelles à la vaccination contre la grippe H1N1 ne repose pas sur de simples présomptions, mais sur la démonstration d'un lien de causalité direct et certain ;
- lorsque la probabilité d'un lien n'est pas discutée par les scientifiques en l'absence de données disponibles, elle doit être regardée comme exclue ou très faible ; les critères à prendre en compte selon la jurisprudence sont une vaccination par Pandemrix(r), un diagnostic de narcolepsie avec cataplexie, l'absence d'antécédent et un délai inférieur à un an entre la vaccination et les premiers symptômes ; aucun surrisque de développer une narcolepsie n'a été mis en évidence pour une vaccination par Panenza(r), comme l'indique d'ailleurs le jugement, et l'augmentation du risque de narcolepsie après vaccination par Pandemrix(r), due au procédé de fabrication, ne peut être extrapolée au Panenza(r) ; dans le dernier état des connaissances scientifiques, rien ne vient accréditer ni même faire suspecter la thèse d'un lien entre la narcolepsie et le vaccin Panenza(r) ; s'agissant d'une vaccination facultative, en l'absence de lien de causalité direct et certain, c'est à tort que le tribunal a retenu un droit à indemnisation au motif que l'existence d'un lien ne pouvait être ni démontrée, ni exclue ;
- l'étude des données scientifiques et épidémiologiques réalisée par le docteur G... n'a pas été prise en compte par les experts, lesquels se sont prononcés en faveur d'un lien vraisemblable en contradiction avec ces études, et sur la base d'une méthode lacunaire et inapplicable à la vaccination par Panenza(r) ; aucune décision de justice définitive n'a reconnu l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la vaccination par Panenza(r) et la survenue d'une narcolepsie ;
A titre subsidiaire, si la cour retenait l'existence d'un lien de causalité :
- le jugement devrait être confirmé en ce qui concerne les montants des indemnisations allouées aux consorts C..., à l'exception des préjudices scolaire et d'agrément dont l'indemnisation est prématurée, dès lors que l'état de santé du jeune D... C... n'est pas consolidé, et qu'il n'est nullement établi que ces préjudices seraient en lien avec la narcolepsie ; en outre, l'indemnisation allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire inclut la privation temporaire des activités d'agrément ;
- l'appel incident relatif au bilan d'ergothérapie doit être rejeté dès lors qu'aucun justificatif de la somme alléguée n'est produit et qu'il n'est pas davantage justifié en appel qu'en première instance de l'existence d'une complémentaire santé ayant pris en charge une partie du coût de ce bilan ;
- c'est à bon droit que le tribunal a retenu une assistance par une tierce personne
non spécialisée au taux horaire de 13,72 euros à compter du diagnostic de narcolepsie
le 25 janvier 2011, et les sommes perçues au titre de l' allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) de novembre 2013 à juillet 2022, dont les justificatifs ont été produits en appel, devront être déduites comme l'a jugé le tribunal, ainsi que, le cas échéant, les sommes perçues au titre d'une complémentaire santé ; l'appel incident relatif à l'aide scolaire doit être également rejeté ;
- les cours particuliers ont été admis pour 690 euros, et c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative à l'achat d'un ordinateur portable sans lien avec la pathologie ;
- les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire sont suffisantes ;
- les sommes allouées aux parents et au frère du jeune D... C... sont suffisantes.
Par des mémoires enregistrés le 11 janvier 2023, le 19 octobre 2023 et le 15 janvier 2024, M. E... C... et Mme A... C..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leur fils D..., ainsi que M. F... C..., représentés par la SELASU Dante, concluent au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demandent à la cour de porter les sommes allouées par le tribunal à 453 840,98 euros pour D..., 25 000 euros pour chacun de ses parents et 18 000 euros pour son frère, et de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Ils font valoir que :
En ce qui concerne le droit à indemnisation par l'ONIAM :
- contrairement à ce que soutient l'ONIAM, ni les dispositions des articles L. 3111-9
et R. 3131-3-3 du code de la santé publique, ni la jurisprudence n'exigent la preuve d'un lien de causalité direct et certain en matière de vaccination obligatoire, à laquelle doivent être assimilées les vaccinations réalisées dans le cadre des mesures sanitaires d'urgence ; le tribunal s'est prononcé conformément à la jurisprudence, laquelle se fonde sur des indices précis et concordants pour retenir un lien de causalité ;
- les données de la pharmacovigilance confirment l'existence d'un surrisque de narcolepsie à la suite d'une vaccination par Panenza(r), et plus généralement de toute vaccination contre la grippe H1N1 ; les études disponibles mettent en évidence ce surrisque, sans qu'il soit nécessaire de distinguer le Panenza(r) du Pandemrix(r) dès lors que la narcolepsie-cataplexie est provoquée par l'antigène viral du vaccin, et non par l'adjuvant AS03 contenu dans le Pandemrix(r) ;
- D..., qui ne présentait aucun antécédent d'hypersomnie, a été vacciné à l'âge de 5 ans par Panenza(r) les 18 décembre 2009 et 8 janvier 2010, et les premiers symptômes de narcolepsie sont apparus en mars 2010 ; de nombreux examens ont été réalisés à partir de mars 2010, et le diagnostic de narcolepsie avec cataplexie a été posé par le professeur H... en janvier 2011 ; la pathologie a été d'emblée sévère, avec des cataplexies quotidiennes et un dosage d'hypocrétine très bas ; le jeune âge de l'enfant était un facteur favorisant le développement d'une narcolepsie post-vaccinale ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal a retenu un droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
En ce qui concerne les préjudices de D... :
- une somme de 250 euros est restée à leur charge au titre de la réalisation d'un bilan d'ergothérapie ;
- les experts ont retenu un besoin d'assistance par une tierce personne de 3 heures par jour ; le tribunal a fixé à tort le taux horaire à 13,72 euros, alors que les tarifs des prestataires de services sont compris entre 16 et 24 euros ; sur la base de 16 euros par heure, et après déduction de l'AEEH perçue de novembre 2013 à mai 2016 pour un montant total de 2 856,01 euros, il est demandé 222 695,99 euros pour la période allant du 1er mars 2010, date d'apparition des symptômes, au 11 janvier 2023 ;
- les experts ont également retenu la nécessité d'une aide spécialisée en matière scolaire de 1 h 30 par jour, 5 jours sur 7 pendant les périodes scolaires jusqu'à l'entrée au collège, puis
de 2 heures par jour ; cette spécialisation justifie un tarif de 20 euros par heure, et une année scolaire, hors vacances et week-ends, comporte 180 jours ; la somme allouée par le tribunal doit ainsi être portée à 90 000 euros ; en outre, ils ont exposé 690 euros de frais de cours particuliers, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'achat d'un ordinateur pour 599,99 euros était en lien avec la pathologie dès lors qu'il a été préconisé par l'ergothérapeute ;
- l'existence d'un préjudice scolaire temporaire, caractérisée par une pénibilité de la scolarité en lien avec la narcolepsie, est établie par les pièces produites ; l'indemnisation allouée par le tribunal est insuffisante et doit être portée à 23 000 euros ;
- le déficit fonctionnel temporaire, évalué à 50 % par les experts à l'exception de 4 jours d'hospitalisation à 100 %, doit être indemnisé sur la base de 900 euros par mois de déficit total, soit 70 605 euros pour la période du 1er mars 2010 au 11 janvier 2023 ;
- l'importance des souffrances physiques et psychologiques endurées, cotées à 4 sur 7 par les experts, justifie l'allocation d'une somme de 18 000 euros ;
- il est demandé 8 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire coté à 3,5 sur 7, et 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément caractérisé par une limitation importante des activités de loisirs ;
En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes :
- les parents et le frère de D... subissent un préjudice moral du fait de son invalidité et de l'altération de son comportement, un préjudice d'anxiété pour l'avenir de leur fils et frère, et pour les parents un préjudice du fait d'avoir donné leur accord pour la vaccination, ce qui caractérise un préjudice d'affection, dont la réparation est demandée à hauteur de 15 000 euros pour chacun des parents et de 10 000 euros pour F..., frère de D... ;
- la maladie de D... est à l'origine d'un bouleversement dans les conditions d'existence de ses proches ; à ce titre, il est demandé 10 000 euros pour chacun des parents
et 8 000 euros pour F....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- les arrêtés du 4 novembre 2009 et du 13 janvier 2010 relatifs à la campagne
de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Desvergnes, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 prescrite par un arrêté de la ministre de la santé du 4 novembre 2009, le jeune D... C..., alors âgé de 5 ans, a reçu deux injections du vaccin Panenza(r) les 18 décembre 2009 et 8 janvier 2010. Dès le mois de mars 2010, il a présenté une hypersomnie avec des endormissements brutaux, et après de nombreux examens, une narcolepsie avec cataplexie a été diagnostiquée en janvier 2011. Après avoir ordonné une expertise, réalisée en 2015 par un neurologue, dont le rapport a conclu à un lien vraisemblable entre cette pathologie et la vaccination, l'ONIAM a présenté à M. et Mme C..., parents de l'enfant, une proposition d'indemnisation qu'ils n'ont pas acceptée. M. et Mme C... ont alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'indemnisation
des préjudices de D... avant consolidation de son état de santé, ainsi que de leurs préjudices propres et de ceux de F..., frère aîné de D..., et l'ONIAM a contesté l'existence
d'un lien de causalité entre la vaccination et la narcolepsie. Par un jugement avant dire droit
du 2 juillet 2019, le tribunal a ordonné une nouvelle expertise, confiée à un neurologue assisté d'un sapiteur pharmacologue. Le rapport déposé le 26 novembre 2021 a conclu que le lien entre la narcolepsie et la vaccination était très vraisemblable. Par un jugement du 7 juin 2022, le tribunal a condamné l'ONIAM à verser à M. et Mme C..., en leur qualité de représentants légaux de leur fils D..., une indemnité de 70 880,50 euros ainsi qu'une somme de 243 744,15 euros au titre de l'assistance par une tierce personne pour la vie quotidienne et l'aide scolaire, sous déduction de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et de la prestation de compensation du handicap (PCH), en fonction des justificatifs à fournir. Il a en outre condamné l'ONIAM à verser des indemnités de 13 000 euros chacun à M. et Mme C... et de 5 000 euros à M. F... C... devenu majeur, et a mis les frais d'expertise à la charge de l'ONIAM. Ce dernier relève appel de ce jugement en contestant à titre principal le principe même de l'indemnisation, et à titre subsidiaire l'indemnisation d'un préjudice scolaire et d'un préjudice d'agrément. Par leur appel incident, les consorts C... contestent l'évaluation des préjudices par les premiers juges.
Sur le lien de causalité :
2. L'article L. 3131-1 du code de la santé publique prévoyait, dans sa rédaction alors en vigueur, qu'" En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. ". Aux termes de l'article L. 3131-4 du même code : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. / (...). " Par un arrêté du 4 novembre 2009, pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, la ministre de la santé et des sports a lancé une campagne de vaccination nationale pour permettre aux personnes qui le souhaitaient de se faire immuniser contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009. L'article 2 de l'arrêté du 13 janvier 2010 de la même ministre précise que " Toute personne vaccinée contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009 par un vaccin appartenant aux stocks constitués par l'Etat bénéficie des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique ".
3. Lorsqu'il est saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination effectuée dans le cadre de mesures prescrites sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il lui appartient ensuite, soit, s'il est ressorti qu'en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations subies par l'intéressé et les symptômes qu'il a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations. Par suite, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que le droit à indemnisation serait subordonné à la démonstration d'un lien de causalité direct et certain entre la narcolepsie et la vaccination contre la grippe H1N1. Les dispositions des articles L. 3111-9 et R. 3131-3-3 du code de la santé publique qu'il invoque, selon lesquelles, respectivement, il assure la réparation " des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire " et se prononce " sur l'existence d'un lien de causalité entre le dommage subi par la victime et l'acte de prévention, de diagnostic ou de soins ", n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à la prise en compte d'un faisceau d'indices pour retenir un lien de causalité lorsque l'état des connaissances scientifiques ne permet ni d'établir, ni d'exclure un tel lien.
4. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise judiciaire, que les données relatives à la pandémie de grippe H1N1 qui avait débuté au Mexique en 2009 ont fait craindre une catastrophe sanitaire, ce qui a conduit les Etats à mettre en place des campagnes massives de vaccination, avec des vaccins développés et produits très rapidement par les laboratoires pharmaceutiques, parmi lesquels le Pandemrix(r) a été le plus utilisé en Europe, avec plus de 30,5 millions de personnes vaccinées. Postérieurement à ces vaccinations réalisées d'octobre 2009 à février 2010, une incidence accrue de narcolepsie avec cataplexie, dite narcolepsie de type 1, a été observée dans six pays européens dont la France, où l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a publié un communiqué faisant état d'une augmentation du risque de narcolepsie en lien avec le Pandemrix(r) chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. L'hypothèse a été initialement émise que l'adjuvant AS03 entrant dans la composition de ce vaccin, destiné à augmenter la réaction immunologique, serait à l'origine du déclenchement de la narcolepsie, ce qui aurait permis d'exclure la possibilité de tout lien entre cette pathologie et le Panenza(r), vaccin sans adjuvant utilisé notamment en France pour certaines populations fragiles, dont les jeunes enfants, mais cette hypothèse a été abandonnée. Les experts, qui se réfèrent à de nombreuses études, précisent que si la cause de la narcolepsie de type 1 est mal connue, une origine auto-immune est le plus souvent évoquée, en raison de sa survenue presque exclusivement chez des personnes porteuses de l'allèle HLA-DQB1*0602, et en relation avec des infections susceptibles de déclencher des pathologies auto-immunes. Ils expliquent que le Pandemrix(r) et le Panenza(r) comportent le même antigène, en plus faible quantité pour le premier, ce qui est compensé par l'adjuvant, que ces deux vaccins déclenchent quantitativement la même réaction immunitaire, et que de nombreuses études ont montré que c'est l'antigène et non l'adjuvant qui déclenche la réponse immunitaire à l'origine de la réaction auto-immune. Contrairement à ce que soutient l'ONIAM, les experts, qui répondent à l'argumentation de son médecin conseil relative à l'étude Narcoflu incluant des personnes vaccinées par Panenza(r), tiennent compte des données scientifiques et épidémiologiques, mais estiment qu'en l'absence d'étude spécifique concernant ce vaccin, utilisé dans un nombre très limité de pays et seulement pour des populations spécifiques, ces données ne sont pas pertinentes pour l'étude de l'association entre Panenza(r) et narcolepsie. En se fondant sur l'identité de composition antigénique des deux vaccins, les experts judiciaires concluent que la composition du Panenza(r) est en faveur d'un rôle de ce vaccin, au même titre que le Pandemrix(r), dans la survenue d'une narcolepsie. Ainsi, l'état des connaissances scientifiques en débat ne permet pas de conclure à l'absence de toute probabilité qu'un tel lien existe.
5. Il résulte de l'instruction que le jeune D... C..., âgé de 5 ans lors des deux injections du vaccin Panenza(r) les 18 décembre 2009 et 8 janvier 2010, n'avait aucun antécédent personnel ou familial d'hypersomnie. Un examen réalisé le 12 février 2020 a établi qu'il était porteur de l'allèle HLA-DQB1*0602. L'apparition des premiers symptômes de narcolepsie au plus tard en mars 2010 est documentée par le témoignage d'un médecin, oncle de l'enfant, et la consultation d'un autre médecin le 19 mars 2010 pour une somnolence diurne excessive. La narcolepsie de type 1, dont le diagnostic a été confirmé le 25 janvier 2011 après une polysomnographie, a été d'emblée sévère, avec des accès de sommeil irrésistibles au cours de la journée et d'importantes cataplexies. Ainsi, en l'absence d'autre cause, un lien de causalité entre la vaccination et la narcolepsie doit être retenu au regard du faisceau d'indices mentionné au point 3, sans que l'ONIAM, qui ne conteste pas ces éléments factuels, puisse utilement faire valoir que la méthode retenue par les experts pour retenir un score d'imputabilité de 5 sur 6 serait lacunaire et inapplicable à une vaccination par Panenza(r).
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices avant consolidation du jeune D... C... :
6. La demande est relative aux préjudices avant la consolidation de l'état de santé
du jeune D... C..., laquelle n'était pas acquise lorsque les experts l'ont examiné à l'âge
de 16 ans et ne saurait être antérieure au 16 décembre 2022, date de sa majorité. Il
résulte toutefois de l'instruction que M. D... C... a quitté le domicile de ses parents
le 1er août 2022, avant sa majorité, pour s'installer à Limoges où il suit des études supérieures, et qu'il est alors devenu plus autonome. Dans ces circonstances, il y a lieu de limiter le présent arrêt à une indemnisation de ses préjudices avant consolidation jusqu'à la date du 31 juillet 2022.
S'agissant des dépenses de santé restées à charge :
7. Le tribunal a rejeté la demande relative à une évaluation de D... par une ergothérapeute, dont la facture de 250 euros a été acquittée le 16 décembre 2020, au motif qu'il ne résultait pas de l'instruction que cette dépense n'aurait pas été prise en charge par une mutuelle. L'absence de prise en charge a été justifiée en appel. Il y a donc lieu d'admettre la somme
de 250 euros.
S'agissant du matériel en lien avec le handicap :
8. Il résulte de l'évaluation de l'ergothérapeute que l'écriture manuscrite est " coûteuse en énergie " pour D... et accroît la fatigabilité causée par la narcolepsie en mobilisant des compétences utiles aux procédures d'apprentissage. Le compte-rendu de la réunion de l'équipe de suivi de la scolarisation du 5 novembre 2020 précise que l'utilisation d'un ordinateur en cours a été très bénéfique. Les consorts C... sont ainsi fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté la demande relative à l'acquisition d'un ordinateur portable le 29 janvier 2020 au motif qu'elle était sans lien avec la pathologie, et il y a lieu d'admettre la somme de 599,99 euros justifiée par une facture.
S'agissant de l'assistance par une tierce personne pour la vie quotidienne :
9. Les experts ont retenu un besoin d'assistance par une tierce personne non spécialisée de 3 heures par jour, tous les jours de l'année, pour l'aide au réveil, à l'organisation et à la planification des activités, la surveillance lors des accès de cataplexie, la gestion administrative de la scolarité aménagée et des soins, et la vérification de la prise des médicaments, dont l'un
doit être administré dans la nuit. La narcolepsie s'étant installée progressivement, c'est à bon droit que le tribunal a alloué une indemnisation à compter du 25 janvier 2011, date du diagnostic, à laquelle les symptômes sont précisément documentés. Alors que la période du 25 janvier 2011
au 31 juillet 2022 est échue à la date du présent arrêt et qu'il n'est pas établi ni même allégué que les consorts C... auraient recouru à un prestataire de services, il y a lieu, comme l'a fait le tribunal, d'évaluer l'assistance par une tierce personne à 13,72 euros par heure, correspondant au coût horaire moyen du salaire minimum au cours de la période en cause, majoré des charges sociales, sur la base d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés payés, des dimanches et des jours fériés. Le préjudice peut ainsi être fixé à 195 411 euros. Il convient de
déduire 15 710,52 euros d'allocation pour l'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) versée
du 1er novembre 2013 au 31 juillet 2022, alors qu'il résulte de l'instruction qu'aucune prestation de compensation du handicap (PCH) n'a été perçue. La part du préjudice restée à la charge de la victime s'élève ainsi à 179 700,48 euros.
S'agissant de l'assistance par une tierce personne pour la scolarité :
10. Les experts ont retenu un besoin d'aide spécialisée pour le suivi du bon déroulement de la scolarité, l'aide aux devoirs et la reprise des notes de cours d'1 h 30 par jour, 5 jours sur 7 durant les périodes scolaires jusqu'à l'entrée au collège, puis de 2 h par jour au-delà. Cette aide étant spécialisée, les consorts C... sont fondés à demander le rehaussement du coût horaire moyen de 13,72 euros retenu par le tribunal. Il sera fait une juste appréciation du préjudice en fixant ce coût horaire à 17 euros au cours de la période allant de l'entrée au cours préparatoire
en septembre 2010 à la fin de la classe de terminale en juin 2022. L'année scolaire comportant 180 jours de classe, le besoin d'aide retenu par les experts correspond à 1 350 heures à l'école primaire (1,5 h x 180 jours x 5 ans) et 2 520 heures de la sixième à la terminale (2 h x 180 jours x 7 ans), soit au total 3 870 heures. Le préjudice peut ainsi être évalué à 65 790 euros, auxquels il convient d'ajouter 690 euros de frais de cours particuliers exposés ponctuellement en
novembre 2015 et janvier 2016 et justifiés par des factures, soit au total 66 480 euros.
S'agissant de l'incidence scolaire et du préjudice d'agrément temporaire :
11. Le préjudice d'incidence scolaire est caractérisé par une perte d'années d'études, un retard scolaire ou de formation, une modification d'orientation, voire une renonciation à toute formation obérant l'intégration de la victime dans le monde du travail. A la date
du 31 juillet 2022, D... venait d'obtenir le baccalauréat après avoir suivi un parcours normal et sans redoublement du cours préparatoire à la classe de terminale, et allait commencer des études supérieures. Par suite, il n'avait encore subi aucun préjudice d'incidence scolaire. Par ailleurs, la pénibilité de la scolarité en lien avec la narcolepsie relève des troubles de toute nature dans les conditions d'existence indemnisés au titre du déficit fonctionnel, et il en va de même du préjudice d'agrément temporaire. Par suite, l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont alloué des indemnisations au titre d'une incidence scolaire et d'un préjudice d'agrément temporaire.
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
12. A l'exception de 4 jours d'hospitalisation avec un déficit total, le déficit fonctionnel temporaire a été fixé par les experts à 50 % compte tenu de la sévérité des symptômes, des difficultés à les contrôler, de leur impact sur la vie sociale et scolaire ainsi que sur la vie quotidienne, des effets secondaires des traitements et des troubles de l'humeur. Eu égard à la particulière pénibilité de la scolarité et à l'importante limitation des activités sportives et de loisirs en lien avec la narcolepsie, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant
à 22 euros par jour de déficit total. Le préjudice subi du 25 janvier 2011 au 31 juillet 2022 peut ainsi être fixé à 46 310 euros.
S'agissant des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire :
13. Les experts ont estimé que compte tenu des soins, des investigations, des accès de cataplexie, du vécu de la maladie et de son retentissement psychique, les souffrances endurées ne seront pas inférieures à 4 sur 7. Si le tribunal a alloué une indemnité de 7 500 euros, dont les consorts C... sollicitent le rehaussement, ce préjudice ne peut être liquidé qu'après la consolidation de l'état de santé de la victime. Par suite, il y a seulement lieu, dans l'attente de l'évaluation définitive de ce préjudice, d'allouer une provision à valoir sur son indemnisation, et de la fixer à la somme non sérieusement contestable de 7 500 euros.
14. Pour les motifs exposés au point précédent, le préjudice esthétique temporaire, qui ne devrait pas être inférieur à 3,5 sur 7 selon les experts, ne peut donner lieu à une indemnisation, mais seulement à une provision, laquelle peut être fixée à 5 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices des proches :
15. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation du préjudice moral causé à M. E... C... et Mme A... C... par le handicap de leur fils en fixant
son indemnisation à 8 000 euros pour chacun d'eux. En revanche, eu égard à la durée
de la perturbation de la vie familiale jusqu'au départ de D... du foyer le 1er août 2022, il a
lieu de porter l'indemnisation des troubles dans leurs conditions d'existence de 5 000 euros
à 10 000 euros chacun.
16. En l'absence d'éléments plus précis caractérisant le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence de M. F... C..., frère aîné de D..., l'indemnité globale de 5 000 euros allouée par le tribunal n'apparaît pas insuffisante.
17. Il résulte de tout ce qui précède que l'article 2 du jugement qui a condamné l'ONIAM au versement d'une somme de 243 744,15 euros au titre de l'assistance par une tierce personne pour la vie quotidienne et la vie scolaire sous déduction de l'AEEH et de la PCH en fonction des justificatifs à fournir doit être annulé, que la somme que l'ONIAM a été condamné à verser au titre des préjudices avant consolidation de M. D... C... doit être portée
à 293 340,47 euros pour la période du 25 janvier 2011 au 31 juillet 2022, que l'ONIAM doit être condamné à verser à M. D... C... désormais majeur une provision de 12 500 euros à valoir sur l'indemnisation des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire, que les sommes que l'ONIAM a été condamné à verser à M. E... C... et Mme A... C... doivent être portées à 18 000 euros chacun, et que le surplus des conclusions d'appel des parties doit être rejeté.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
18. Les frais d'expertise, taxés à la somme de 8 100 euros, ayant déjà été mis à la charge de l'ONIAM par le jugement, les conclusions des consorts C... relatives aux dépens sont sans objet.
19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros à verser aux consorts C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1604519
du 7 juin 2022 est annulé.
Article 2 : La somme que l'ONIAM a été condamné à verser au titre des préjudices avant consolidation de M. D... C... est portée à 293 340,47 euros pour la période
du 25 janvier 2011 au 31 juillet 2022.
Article 3 : L'ONIAM est condamné à verser à M. D... C... une provision de 12 500 euros à valoir sur l'indemnisation des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire.
Article 4 : Les sommes que l'ONIAM a été condamné à verser à M. E... C... et Mme A... C... sont portées à 18 000 euros chacun.
Article 5 : Le surplus du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1604519
du 7 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : L'ONIAM est condamné à verser aux consorts C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Mme A... C..., représentante unique des consorts C..., et à la Mutualité sociale agricole de Dordogne et Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
Mme Catherine Girault, présidente de chambre,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
La rapporteure,
Anne B...
Le président,
Luc DerepasLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02121