Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une somme de 9 238,88 euros en réparation de son préjudice matériel relatif aux pertes de revenus professionnels et une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Par un jugement n° 2103112 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à verser à M. E... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 juillet 2022, M. E..., représenté par Me Astié, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 juillet 2022 en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 1 000 euros ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 238,88 euros en réparation de son préjudice matériel relatif aux pertes de revenus professionnels et la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le rejet implicite de sa réclamation préalable du 18 mars 2024 est entaché d'un défaut de motivation ; cette décision a été annulée par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 mai 2022 ;
- par un jugement du 18 novembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du préfet de la Gironde en date du 6 mai 2020 lui opposant un refus de séjour ; l'illégalité de cet arrêté est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- il a subi un préjudice matériel dès lors qu'il n'a pas pu travailler entre le 6 mai 2020, date de la décision de refus de la préfète et le 9 décembre 2020, date de délivrance du titre ; il a pu travailler dès que sa situation administrative a été régularisée et a signé un contrat de travail à durée déterminée d'insertion le 11 mars 2021 ; son préjudice matériel doit être évalué à 9 238,88 euros, correspondant à huit mois de salaire au SMIC ;
- il a subi un préjudice moral dès lors qu'il s'est retrouvé dans une situation angoissante l'exposant à un éventuel retour dans son pays d'origine le privant de sa famille ; il a été isolé et n'a pu travailler pendant huit mois, a fait une dépression nécessitant une prise en charge médicale ; il a été privé de la possibilité d'apporter son aide financière au foyer, situation que le couple a mal vécue.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2022, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'il confirme les termes de son mémoire transmis en première instance.
Par des mémoires enregistrés les 14 décembre 2022 et 11 janvier 2023, Mme B... D..., agissant en sa qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs, A... et C... D..., représentée par Me Astié, déclare reprendre l'instance engagée par M. E..., décédé le 18 octobre 2022.
Par une décision n° 2023/009433 du 17 octobre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis Mme B... D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,
Considérant ce qui suit :
1. M. F... E..., ressortissant nigérian né le 5 décembre 1984, est entré en France depuis l'Allemagne le 2 juin 2018 selon ses déclarations et a sollicité le 21 septembre 2018 son admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un jugement n° 2002973 du 18 novembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 6 mai 2020 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et lui a enjoint de délivrer à M. E... un titre de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale. Le 18 mars 2021, M. E... a formé une demande indemnitaire préalable, réceptionnée le 24 mars. Cette demande ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet née le 24 mai 2021, il a alors demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 9 238, 88 euros en réparation de son préjudice matériel et de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral. Par un jugement du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral. M. E... relève appel de ce jugement en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction. A la suite du décès du requérant survenu le 18 octobre 2022, sa compagne, Mme B... D..., agissant en sa qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs, A... et C... D..., a repris l'instance.
Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
2. Par une décision n° 2023/009433 du 17 octobre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé l'aide juridictionnelle totale à Mme B... D.... Dès lors, les conclusions tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le principe de la responsabilité :
3. Par un jugement n° 2002973 du 18 novembre 2020 devenu définitif, le tribunal a annulé l'arrêté préfectoral du 6 mai 2020 au motif tiré de la méconnaissance des stipulations du 1° de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Par le jugement attaqué, qui n'est pas critiqué sur ce point, le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que l'illégalité de l'arrêté du 6 mai 2020 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne les préjudices :
4. Mme D... soutient que M. E... aurait subi un préjudice financier, dès lors qu'il n'a pas pu travailler au cours de la période comprise entre le 6 mai 2020, date à laquelle lui a été opposé le refus illégal de séjour, et le 9 décembre 2020, date à laquelle un titre de séjour lui a été accordé, et produit à l'appui de cette affirmation un contrat à durée déterminée d'insertion et à temps partiel en qualité d'ouvrier d'entretien-propreté urbaine au bénéfice de l'intéressé en date du 11 mars 2021, des avenants au contrat et des bulletins de salaire. Toutefois, compte tenu de la nature du contrat de travail signé, de la durée que l'intéressé a mis pour trouver cet emploi à partir de la délivrance d'un titre de séjour et de la durée de la période de responsabilité de l'Etat, les pièces produites ne sont pas de nature à établir que M. E... aurait perdu une chance sérieuse d'obtenir un emploi pendant la période du 6 mai au 9 décembre 2020 du fait de l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 6 mai 2021. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande d'indemnisation au titre de ce chef de préjudice.
5. Mme D... n'établit pas, en se bornant à produire deux certificats médicaux en date des 4 juin 2020 et 24 mars 2021 faisant état, sans plus de précision, de ce que l'état de santé de M. E... nécessitait une prise en charge médicale et de ce qu'il était suivi régulièrement depuis novembre 2019, que la dépression dont il souffrait aurait été en lien direct et certain avec l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 6 mai 2021. Néanmoins, en raison de la situation précaire et incertaine dans laquelle celui-ci a été placé du fait de l'absence d'un titre de séjour entre le 6 mai 2020 et le 9 décembre 2020 alors qu'il devait assumer la charge, avec Mme D..., de leurs deux jeunes enfants nés en juillet 2018 et novembre 2021, la faute commise par la préfète de la Gironde a nécessairement causé à M. E... un préjudice moral dont Mme D... est fondée à demander la réparation en qualité de représentante légale des enfants du couple. Compte tenu de la durée écoulée entre le refus illégal et la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation du préjudice subi en lui allouant la somme de 1 000 euros.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a limité l'indemnisation accordée à M. E... à la somme de 1 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme D... tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le surplus de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., agissant en sa qualité de représentante légale de A... et C... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier Kerjean, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
La rapporteure,
Béatrice Molina-Andréo
La présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01843