Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mars 2022 et 16 octobre 2023, la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2022 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour l'implantation et l'exploitation de huit éoliennes d'une hauteur de 180 mètres sur le territoire de la commune de Saint Sauveur d'Aunis ;
2°) à titre principal, de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime, de lui délivrer l'autorisation sollicitée, sous astreinte, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre à cette autorité de statuer à nouveau sur sa demande, dans les mêmes conditions d'astreinte et de délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté du 27 janvier 2022 est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- il est entaché d'erreurs de fait et d'appréciation sur l'atteinte que le projet générerait pour les intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, tant en ce qui concerne les nuisances visuelles que générerait le projet sur les bourgs les plus proches, et en particulier sur les phénomènes de saturation et d'encerclement, que sur les atteintes à l'avifaune, les atteintes aux chiroptères, l'absence de demande de dérogation, l'insuffisance de l'évaluation des incidences Natura 2000 et l'inadaptation des travaux de construction pour la faune ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce que le préfet de la Charente-Maritime s'est senti lié par le guide ministériel relatif aux études d'impact de projets éoliens terrestres.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2023, le préfet de la Charente-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Guiheux, représentant la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis.
Une note en délibéré, présentée par le cabinet Volta, a été enregistré le 29 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 juillet 2020, la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis a déposé une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de huit éoliennes, d'une hauteur de 180 mètres et un poste de livraison, sur le territoire de la commune de Saint Sauveur d'Aunis (Charente-Maritime). Par un arrêté du 27 janvier 2022, le préfet de la Charente-Maritime a rejeté cette demande d'autorisation environnementale. La société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis demande l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe du refus d'autorisation :
2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. Après avoir visé les textes applicables et notamment les articles pertinents du code de l'environnement et décrit le projet, le préfet de la Charente-Maritime relève l'importance des nuisances visuelles causées par le parc éolien pour les habitants des bourgs de Saint-Sauveur d'Aunis, du Gué d'Alléré et de Rioux, dont le territoire est déjà impacté par quatre parcs éoliens et trois projets de parcs éoliens autorisés non encore construits et retient, à ce titre, que le projet accentuera le phénomène de densité éolienne et de saturation. Il indique ensuite l'impact du projet, qui se situe en zone d'influence du site Natura 2000 " Marais Poitevin ", sur des espèces protégées dont des espèces d'intérêt communautaire de chauves-souris et d'oiseaux présents sur le site d'exploitation. En prenant en particulier en compte l'absence d'écoute de chauves-souris à hauteur de rotor d'éolienne, l'insuffisante distance entre les pales des éoliennes et la canopée présente alentour en vue de prévenir la mortalité des chauves-souris, le modèle d'éolienne choisi doté d'une garde au sol du rotor inférieure à 50 mètres, la coupe de 360 mètres linéaires de haies occasionnant la perte directe d'habitats, de repos, de reproduction et la participation à la dégradation des corridors biologiques de déplacement, le préfet indique que l'évaluation des incidences Natura 2000 est insuffisante en ce qu'elle sous-estime les impacts du projet sur l'avifaune et sur le chiroptères, sans que l'efficacité des mesures de réduction proposées pour réduire les risques de collision de ces espèces avec les pales des éoliennes ne soit démontrée. Cette motivation est suffisante, contrairement à ce que soutient la société requérante, dès lors qu'elle permet de comprendre les éléments de droit et de fait sur lesquels la décision est fondée.
En ce qui concerne la légalité interne du refus d'autorisation :
4. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages (...) soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".
5. La circonstance que les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'il est susceptible de produire, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article. Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu'une telle argumentation est soulevée devant lui, de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.
6. Il ressort de la motivation de l'arrêté contesté que le préfet de la Charente-Maritime, en se référant à l'accentuation de la densité éolienne et à l'effet de saturation visuelle au niveau des bourgs de Saint-Sauveur d'Aunis, du Gué d'Alléré et de Rioux a entendu notamment fonder son refus sur les inconvénients du projet pour la commodité du voisinage. A cet égard, l'absence d'intérêt particulier des paysages environnant le site d'implantation, invoquée par la société pétitionnaire, est sans incidence sur l'appréciation de la gêne visuelle apportée à la commodité des habitants des lieux de vie voisins du projet.
7. Il résulte de l'instruction que le projet de parc éolien litigieux est situé dans un rayon d'une dizaine de kilomètres de quatre parcs éoliens en exploitation et trois parcs autorisés mais non encore construits avec, au nord et nord-est, le parc éolien exploité par la société Aunis Energie à Ferrières (quatre éoliennes, à une distance de 4 kilomètres) à Saint-Jean-de- Liversay et Saint-Cyr d'Aunis (cinq éoliennes, à une distance de 3 kilomètres), le parc éolien exploité par la société Parc éolien de Longèves à Longèves (trois éoliennes, à une distance de 4,5 kilomètres), le parc éolien exploité par la société ferme éolienne Canal de Gargouilleau à Vix et le Gué-de-Velluire (cinq éoliennes, à une distance de 10,5 kilomètres), le projet de parc éolien de la société Ferme éolienne de Saint-Jean-de-Liversay à Saint-Jean-de-Liversay (cinq éoliennes, à une distance de 2,7 kilomètres), et au sud et sud-est, le projet de parc éolien de la société parc éolien de Chambon Puyravault à Chambon et Puyravault (douze éoliennes, à une distance de 6,5 kilomètres), et le projet de parc éolien de la société Centrale éolienne de la plaine des fiefs à Forges ( huit éoliennes, à une distance de 8,5 kilomètres). L'inspection des installations classées de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Nouvelle-Aquitaine a émis un avis défavorable au projet le 7 décembre 2021, tout comme le commissaire-enquêteur le 30 juillet 2021, au regard notamment de l'effet de saturation visuelle pouvant être constaté dans le secteur d'implantation du projet.
8. En premier lieu, des études scientifiques ont permis de mettre au point une méthodologie, reprise par les services de l'Etat depuis plusieurs années, ainsi que par les cabinets d'études dont celui ayant établi l'étude d'impact concernant le projet en litige, qui bien que ne résultant d'aucun texte règlementaire, permet de définir et de quantifier la saturation visuelle du point de vue de l'habitant et d'une personne de passage à partir de l'analyse de plusieurs indices d'alerte dont l'indice d'occupation de l'horizon, l'indice de densité des horizons occupés et l'indice d'espace de respiration (ou angle de respiration), auxquels doit s'ajouter une appréciation affinée au cas par cas de la topographie des lieux. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de la Charente-Maritime, qui a apprécié la saturation visuelle engendrée par le projet de parc éolien en litige à l'aune de l'ensemble des éléments figurant dans l'étude paysagère jointe à la demande d'autorisation, aurait uniquement tenu compte de ces indices d'alerte théorique sans porter une appréciation fine de la topographie des lieux au moyen notamment des photomontages également produits. Par suite, le moyen tiré de ce que l'autorité administrative se serait à tort sentie en situation de compétence liée doit être écarté.
9. En second lieu, s'agissant du bourg de Gué d'Alléré, il résulte de l'instruction et notamment des indicateurs et photomontages figurant dans le volet paysager de l'étude d'impact que le projet, qui est implanté au nord du bourg, augmente l'indice de l'occupation de l'horizon et la prégnance visuelle du motif éolien, respectivement, de 67° à 112° et de 17° à 79°, tout en restant en dessous des seuils d'alerte communément retenus respectivement supérieurs à 120° et à 100°. Au titre de l'appréciation de la topographie des lieux, le préfet de la Charente-Maritime indique que l'étude paysagère a néanmoins relevé qu'en sortie nord du bourg, des chevauchements visuels entre les éoliennes créent des points d'appel perturbateurs pour l'observateur, générateurs d'un impact paysager fort. Toutefois, il résulte de l'instruction, et en particulier des photomontages produits, que si les éoliennes sont effectivement visibles depuis les abords de la route départementale n°115, elles s'inscrivent dans un paysage essentiellement agricole, de sorte qu'elles ne constituent pas le seul point d'appel visuel du secteur, et ne génèrent pas de phénomène de saturation visuelle. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les trois éoliennes perceptibles depuis la frange sud-ouest du bourg créeraient, comme le soutient le préfet, " un effet de surplomb et d'écrasement " sur les constructions situées au hameau " Le moulin de David ", dès lors que les vues sont majoritairement fermées par la trame bâtie associée à la végétation environnante et que seuls quelques fragments de pales et de rotors y seront visibles selon l'emplacement de l'observateur. Enfin, la seule circonstance que depuis la frange sud-est du bourg, le parc éolien soit visible en second plan de la trame arborée, dans l'axe de la route, à une distance de près de deux kilomètres, ne traduit pas à elle seule une atteinte à la commodité du voisinage.
10. S'agissant du bourg de Rioux, l'étude paysagère de l'étude d'impact indique qu'en frange nord, le parc en projet est visible avec une prégnance importante, l'implantation de la hauteur sur deux lignes générant localement des chevauchements qui attirent le regard et l'occupation horizontale s'étendant de part et d'autre de la route départementale n° 207. Toutefois, si cette étude ne comporte pas d'indicateurs pour objectiver les effets de saturation depuis les différents lieux de vie concernés, il ressort des photomontages produits que le point de vue se trouve dans une zone de champs agricoles sans habitation à proximité immédiate. A ce titre, l'effet d'encerclement n'est pas caractérisé.
11. Compte tenu de ces éléments, il ne résulte pas de l'instruction que l'implantation des éoliennes du projet serait de nature à créer ou accentuer le risque de saturation et d'effet d'encerclement pour ces lieux d'habitation.
12. S'agissant en revanche du bourg de Saint Sauveur d'Aunis, il résulte de l'instruction et notamment des indicateurs et photomontages figurant dans le volet paysager de l'étude d'impact que le projet, qui est implanté au sud du bourg, augmente l'indice de l'occupation de l'horizon et la prégnance visuelle du motif éolien, de 67° à 137° pour chacun de ces deux critères, soit bien au-dessus des seuils d'alerte communément retenus indiqués au point 9, tandis qu'il réduit l'indice de respiration de 231° à seulement 83°, soit en dessous du seuil d'alerte inférieur à 90° retenu par l'étude et à 160° communément admis. Il résulte en outre des photomontages produits que la forte prégnance du motif éolien est confirmée dans la frange est du village, majoritairement ouverte sur le milieu agricole, où il existe un effet de surplomb et de miniaturisation du bâti, ainsi que dans la frange habitée située au sud du village, où il existe une vue dégagée en direction du parc d'éoliennes projeté qui s'ajoute aux nombreux parcs déjà visibles. Aucun des documents produits par la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis ne permet d'estimer que la topographie des lieux, décrits dans l'étude paysagère comme étant de configuration plane, ou les écrans végétaux, présents autour de la commune ou dont l'implantation et le renforcement sont envisagés en vue d'atténuer les effets cumulés des parcs, permettraient de réduire de façon significative, notamment en hiver, l'effet de saturation visuelle pour les riverains. Par suite, et quand bien même les éoliennes ne seraient pas toutes simultanément visibles depuis un même point, à partir duquel les photomontages de l'étude paysagère ont notamment été réalisés, il résulte de l'instruction, ainsi que le relève le commissaire enquêteur, que le projet " a des impacts cumulés pour le bourg de Saint-Sauveur d'Aunis ", générateurs d'un phénomène de saturation visuelle et d'encerclement.
13. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Charente-Maritime a pu légalement estimer que l'implantation du projet, cumulée avec les autres parcs existants et les projets autorisés, serait de nature à favoriser un phénomène de saturation visuelle et d'encerclement du bourg de Saint Sauveur d'Aunis, portant ainsi atteinte aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, sans que des prescriptions permettent d'éviter de telles atteintes. Ce seul motif suffit à justifier légalement le refus d'autorisation qui a été opposé à la société au regard de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 27 janvier 2022.
Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation sollicitée ou aux fins d'injonction :
15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 janvier 2022 n'implique ni la délivrance par la cour de l'autorisation sollicitée, ni qu'il soit enjoint à l'administration de délivrer cette autorisation ou de réexaminer la demande. Par voie de conséquence, les conclusions de la société requérante aux fins de délivrance de l'autorisation sollicitée ainsi que celles, subsidiaires, aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme Eolienne de Saint Sauveur d'Aunis et au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier Kerjean, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 novembre 2024.
La rapporteure,
Béatrice Molina-AndréoLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22BX00948 2