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07/11/2024 | FRANCE | N°24BX00626

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 07 novembre 2024, 24BX00626


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 23 août 2023 par lequel le préfet de la Gironde a retiré sa carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant deux ans.



Par un jugement n° 2305418 du 14 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



P

rocédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 mars et 26 juillet 2024, M....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 23 août 2023 par lequel le préfet de la Gironde a retiré sa carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant deux ans.

Par un jugement n° 2305418 du 14 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 mars et 26 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Valay, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 février 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 23 août 2023 en ce qu'il procède au retrait de sa carte de séjour pluriannuelle, l'oblige à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une nouvelle carte de séjour pluriannuelle dans un délai de sept jours à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne le retrait de son titre de séjour :

- il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché de vices de procédure tenant à l'absence d'information sur la consultation de fichiers comportant des données à caractère personnel, à l'incompétence de l'agent ayant procédé à la consultation des fichiers et à l'absence de saisine préalable des services de police nationale ou du procureur de la République pour complément d'information ;

- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- il méconnaît l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale en raison de l'illégalité dont est entaché le retrait de son titre de séjour ;

- elle méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur à la date de la décision attaquée.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :

- elle est illégale en raison de l'illégalité dont est entaché le retrait de son titre de séjour ;

- elle méconnaît l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il s'en remet à son mémoire de première instance pour soutenir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 septembre 2024 à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

n° 2024/000513 du 19 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lucie Cazcarra a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant marocain né le 31 octobre 1987, est entré en France le 25 juillet 2012 muni d'un visa C délivré par les autorités consulaires françaises à Casablanca et d'un passeport valable du 18 juin 2012 au 18 juin 2017. Il a obtenu la délivrance de titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", régulièrement renouvelés jusqu'au

27 janvier 2024. Par arrêté du 23 août 2023, le préfet de la Gironde a retiré la carte de séjour pluriannuelle d'une durée de deux ans, valable jusqu'au 27 janvier 2024, accordée le

28 janvier 2022 à M. A..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du

14 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Dans l'arrêté en litige, le préfet de la Gironde a relevé que M. A... est défavorablement connu du fichier du traitement des antécédents judiciaires pour des faits de violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, commis le 4 février 2016, conduite d'un véhicule en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, commis les 14 février et 26 mars 2019, violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours commis le 13 août 2020, violence sans incapacité, en présence d'un mineur, par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, commis le 10 septembre 2021, et blessures involontaires sans incapacité par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence, commis le 1er avril 2023.

3. D'une part, aux termes de l'article 17-1 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité : " Il est procédé à la consultation prévue à l'article L. 234-1 du code de la sécurité intérieure pour l'instruction des demandes (...) de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers (...) ". Aux termes de l'article L. 234-1 du code de la sécurité intérieure : " Un décret en Conseil d'Etat fixe la liste des enquêtes administratives mentionnées à l'article L. 114-1 qui donnent lieu à la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l'article 230-6 du code de procédure pénale, y compris pour les données portant sur des procédures judiciaires en cours, dans la stricte mesure exigée par la protection de la sécurité des personnes et la défense des intérêts fondamentaux de la Nation. (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 230-6 du code de procédure pénale : " Afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale peuvent mettre en œuvre des traitements automatisés de données à caractère personnel (...) ". Aux termes du I de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 (...), les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : (...) 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. L'habilitation précise limitativement les motifs qui peuvent justifier pour chaque personne les consultations autorisées. Lorsque la consultation révèle que l'identité de la personne concernée a été enregistrée dans le traitement en tant que mise en cause, l'enquête administrative ne peut aboutir à un avis ou une décision défavorable sans la saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du ou des procureurs de la République compétents. Le procureur de la République adresse aux autorités gestionnaires du traitement un relevé des suites judiciaires devant figurer dans le traitement d'antécédents judiciaires et relatif à la personne concernée. Il indique à l'autorité de police administrative à l'origine de la demande si ces données sont accessibles en application de l'article 230-8 du présent code (...) ".

5. En l'espèce, il est soutenu par M. A... et n'est pas contesté en défense, que le préfet n'a pas saisi les services de police nationale pour complément d'information, ou le procureur de la République compétent aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, conformément aux dispositions du I de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, avant de procéder au retrait du titre de séjour du requérant.

6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

7. La saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du procureur de la République, imposée par les dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, a pour objet de protéger les personnes faisant l'objet d'une mention dans le traitement d'antécédents judiciaires constitué par les services de police et de gendarmerie nationales aux fins de faciliter leurs investigations. Elle constitue, de ce fait, une garantie pour toute personne dont les données à caractère personnel sont contenues dans les fichiers en cause. Dès lors, en se fondant sur les mises en causes révélées par la consultation du traitement des antécédents judiciaires pour estimer que la présence en France de M. A... constituait une menace pour l'ordre public, sans procéder au préalable à la saisine des services du procureur de la République, pour demande d'information sur les suites judiciaires, ou des services compétents de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, pour complément d'information, le préfet a privé le requérant d'une garantie. Dans ces conditions, la décision du 23 août 2023 par laquelle le préfet de la Gironde a retiré la carte de séjour pluriannuelle d'une durée de deux ans à M. A..., prise à l'issue d'une procédure irrégulière, doit être annulée de même que, par voie de conséquence, les décisions du même jour lui faisant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 août 2023.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt n'implique pas nécessairement qu'un titre de séjour soit délivré à M. A..., mais seulement qu'il soit procédé à un nouvel examen de sa situation après avoir procédé, le cas échéant, aux saisines mentionnées au point 7. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

10. M. A... ayant été admis à l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Valay, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette avocate de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2305418 du tribunal administratif de Bordeaux du 14 février 2024 et l'arrêté du 23 août 2023 par lequel le préfet de la Gironde a retiré à M. A... sa carte de séjour pluriannuelle d'une durée de deux ans valable du 28 janvier 2022 au 27 janvier 2024, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Valay, avocate de M. A..., sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. B... A..., à Me Valay et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.

La rapporteure,

Lucie CazcarraLa présidente,

Frédérique Munoz-Pauziès

La greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX00626


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00626
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur ?: Mme Lucie CAZCARRA
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : SELARL CONQUAND-VALAY

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;24bx00626 ?
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