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05/11/2024 | FRANCE | N°22BX03117

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 05 novembre 2024, 22BX03117


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 26 mai 2020 par laquelle le commandant de la gendarmerie de Guyane l'a affectée à compter du même jour à la section immobilier et logement du bureau des soutiens et des finances, et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices subis à ce titre.



Par un jugement n° 2100590 du 27 octobre 2022, le tribunal admi

nistratif de la Guyane a rejeté ses demandes.



Procédure devant la cour :



Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 26 mai 2020 par laquelle le commandant de la gendarmerie de Guyane l'a affectée à compter du même jour à la section immobilier et logement du bureau des soutiens et des finances, et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices subis à ce titre.

Par un jugement n° 2100590 du 27 octobre 2022, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 décembre 2022, Mme A..., représentée par la SELASU Tshefu, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 octobre 2022 du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) d'annuler la décision du 26 mai 2020 du commandant de la gendarmerie de Guyane ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de la réintégrer à la section du budget et de l'administration du bureau des soutiens et des finances en qualité de gestionnaire des ressources budgétaires, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui payer une indemnité de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et une indemnité de 35 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal, alors que la mesure de mutation prononcée à son égard le 26 mai 2020 emportait baisse du niveau de ses responsabilités, a refusé de la qualifier de sanction déguisée ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a subi un harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, ayant notamment été appelée par un autre prénom par sa supérieure hiérarchique directe, empêchée d'accéder à son poste par un changement de serrure de son bureau et alors qu'elle a été placée en arrêt maladie à compter du 8 avril 2020, sa pathologie étant considérée comme accident ou maladie professionnelle ;

- elle a subi en conséquence des préjudices à réparer par l'octroi d'une somme de 50 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 août 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la décision du 26 mai 2020 est une mesure d'ordre intérieur ;

- les moyens de la requête sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vincent Bureau,

- et les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., adjointe administrative principale de deuxième classe, a été affectée au commandement de la gendarmerie de Guyane en résidence à Cayenne, en qualité de gestionnaire budgétaire et comptable à la section du budget et de l'administration du bureau des soutiens et des finances, à compter du 1er mars 2015. Par une décision du 26 mai 2020, le commandant de la gendarmerie de la Guyane l'a affectée d'office au service casernement de la section immobilier et logement du même bureau. Mme A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane l'annulation de cette décision de réaffectation et la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation de ses préjudices moral et matériel. Elle relève appel du jugement du 27 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de changement d'affectation :

2. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable.

3. Par ailleurs, un changement d'affectation prononcé d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.

4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient au juge de rechercher si la décision portant changement d'affectation contestée a porté atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressé tient de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... était, avant le changement d'affectation litigieux, affectée en tant que gestionnaire budgétaire et comptable au sein de la section du budget et de l'administration du bureau des soutiens et des finances, et qu'elle a été confrontée, à l'arrivée d'une nouvelle supérieure hiérarchique dans ce service en mars 2019, à des difficultés relationnelles et managériales. A la suite d'une lettre adressée par Mme A... à sa hiérarchie le 7 avril 2020 par laquelle elle signalait être victime d'un harcèlement moral de la part de cette supérieure, elle a été informée par un courrier du 14 avril 2020 du commandant de la gendarmerie de Guyane qu'une enquête allait être diligentée auprès du chef d'état-major. Il lui était également indiqué que, dans un souci de protection et d'apaisement des tensions, elle allait être extraite de la section du budget et de l'administration et qu'un détachement au sein de l'état-major allait lui être proposé. Parallèlement, Mme A... a été placée en congé de maladie du 8 avril au 23 mai 2020. Elle a été reçue en entretien, accompagnée de deux collègues, les 19 et 26 mai 2020 par le chef d'état-major qui, à cette occasion, l'a informée d'une affectation temporaire au service casernement de la section immobilier et logement du bureau des soutiens et des finances. A l'issue de ce dernier entretien, elle a déclaré un accident de service, qui a été reconnu imputable au service par la commission de réforme le 9 mars 2021. Par la décision contestée du 26 mai 2020, elle été affectée sur un poste de gestionnaire administrative au sein de la section immobilier et logement.

6. D'une part, Mme A... soutient que son changement d'affectation s'inscrit dans un contexte de harcèlement moral sur son lieu de travail, qu'elle impute à sa nouvelle supérieure hiérarchique. Elle fait ainsi valoir que cette dernière aurait manifesté d'emblée un comportement déplacé à son égard en l'appelant à plusieurs reprises " Soraya " et non par son véritable prénom. Cependant cette confusion n'aurait eu lieu, selon les propres déclarations de la requérante, qu'au cours de l'un de leurs premiers entretiens et rien ne permet de considérer que cet incident présenterait un caractère volontaire et révélateur d'un comportement discriminatoire. Si Mme A... invoque également la circonstance que les serrures de son bureau ont été changées le 25 mai 2020, il ressort des pièces du dossier que ce remplacement est intervenu après qu'elle ait signalé à la trésorière avoir égaré son trousseau de clés et compte tenu de la présence dans ce local d'un coffre-fort et de liquidités, qui rendait indispensable un changement immédiat de serrure. Par ailleurs, les échanges de courriels versés aux débats, s'ils révèlent les tensions entre Mme A... et sa supérieure hiérarchique, qui ne parvenaient pas à communiquer de manière apaisée, n'établissent pas que cette dernière aurait adopté un comportement excédant les limites du pouvoir hiérarchique, et la circonstance que la requérante souffre d'un syndrome anxio-dépressif en lien avec sa situation professionnelle ayant donné lieu à des arrêts maladie reconnus imputables au service ne permet pas davantage de faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. En outre, ni le contenu du procès-verbal dressé le 27 mai 2020 à la suite du dépôt par Mme A... d'une plainte à l'encontre de sa supérieure directe, ni aucune autre pièce du dossier, ne permettent d'établir que le changement d'affectation en litige relèverait lui-même d'un phénomène de harcèlement de la part de sa hiérarchie, alors que ces pièces, notamment un courrier du général Bras du 14 avril 2020, révèlent au contraire que la décision considérée a été prise tant dans l'intérêt du service que dans celui de Mme A... en raison de la dégradation des conditions de travail due à la relation conflictuelle des deux agents, et alors que le chef d'état-major, lors de l'entretien du 19 mai 2020, a proposé à l'intéressée trois postes vacants qu'elle a refusés.

7. D'autre part, selon sa nouvelle fiche de poste, les missions de gestionnaire administrative sont de la nature et du niveau de celles normalement dévolues à un fonctionnaire de catégorie C relevant du corps des adjoints administratifs. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision portant nouvelle affectation de Mme A... sur ce poste, décrit comme comportant des tâches de " mises à jour ", ait conduit à une réduction des responsabilités de l'intéressée ou à une perte de rémunération. Cette décision, si elle entraine une modification des tâches dévolues à l'intéressée, n'a aucunement porté atteinte aux droits et prérogatives que celle-ci tient de son statut, pas plus qu'à l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux, alors qu'au demeurant elle a été prise dans son intérêt et celui du service, ainsi qu'il a été dit au point 6. En outre, le changement d'affectation litigieux n'a pas non plus entrainé de modification géographique du lieu de travail de la requérante, la section immobilier et logement se situant dans la caserne de la Madeleine, tout comme la section du budget et de l'administration où Mme A... exerçait jusqu'alors ses fonctions.

8. Par suite, la décision litigieuse du 26 mai 2020 portant affectation de Mme A... au poste de gestionnaire administrative au sein de la section immobilier et logement, dès lors qu'elle est exempte de discrimination et ne peut être regardée comme une sanction déguisée, est constitutive d'une mesure d'ordre intérieur non susceptible de recours. Les conclusions de Mme A... dirigées contre cette décision sont, par suite, irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 26 mai 2020. Ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros à titre de réparation de ses préjudices et ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Vincent Bureau, conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.

Le rapporteur,

Vincent Bureau

Le président,

Laurent Pouget

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX03117


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03117
Date de la décision : 05/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Vincent BUREAU
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : CABINET TSHEFU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;22bx03117 ?
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