Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2306604 du 18 mars 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du préfet de la Gironde du 11 juillet 2023 et a enjoint à cette autorité de délivrer à M. A... un titre de séjour mention " vie privée et familiale ".
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 mars 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- M. A..., célibataire et sans charge de famille, ne justifie ni de l'ancienneté de sa présence en France, ni d'une insertion professionnelle notable, ni d'attache particulière en France ; il s'est soustrait à de précédentes mesures d'éloignement et a fait l'objet d'une condamnation pénale ;
- M. A... n'établit pas qu'il ne pourrait pas de réinsérer socialement et professionnellement en Tunisie.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 mai 2024, M. A..., représenté par Me Pornon-Weidknnet, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros HT en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le tribunal a retenu à juste titre le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de l'ancienneté de sa présence en France, de son insertion professionnelle et personnelle et de l'absence d'attache familiale en Tunisie ;
- l'arrêté est entaché d'incompétence de son signataire ;
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure tenant à l'irrégularité de la composition de la commission du titre de séjour ;
- cet arrêté est entaché d'un vice de procédure s'agissant de l'appréciation de son intégration en France ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant son admission exceptionnelle au séjour.
Par une ordonnance du 31 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 28 juin 2024.
M. A... a obtenu le maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les observations de Me Pornon-Weidknnett, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né le 7 août 1974, est entré en France en 2005 selon ses déclarations. Le 11 mars 2021, il a présenté une demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 9 août 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a assorti sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un arrêt du 10 janvier 2023, la cour administrative de Bordeaux a annulé cet arrêté au motif que, M. A... établissant sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans, l'arrêté aurait dû être précédé de la consultation de la commission du titre de séjour, et a enjoint au préfet de réexaminer la demande d'admission exceptionnelle au séjour de l'intéressé. Par un dernier arrêté en date du 11 juillet 2023, le préfet de la Gironde, après avoir recueilli l'avis de la commission du titre de séjour réunie le 16 juin 2023, a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a désigné le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de deux ans. Par un jugement du 18 mars 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté aux motifs tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. A..., et a enjoint au préfet de la Gironde de délivrer un titre de séjour à M. A.... Le préfet de la Gironde relève appel de ce jugement.
Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
3. Eu égard à l'autorité absolue de la chose juge jugée qui s'attache à l'arrêt ci-dessus mentionné de la cour du 10 janvier 2023 et aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire, le préfet de la Gironde n'est pas fondé à remettre en cause la résidence habituelle de M. A... en France entre 2011 et 2021. L'intéressé, qui ne produit aucune pièce pour les années 2005 et à 2009 et qui se borne à produire, au titre de l'année 2010, un avis d'impôt sur le revenu ne mentionnant aucun revenu et une attestation de suivi d'ateliers sociolinguistiques à partir d'octobre 2010, n'apporte en revanche pas d'élément probant à l'appui de son affirmation selon laquelle il réside habituellement en France depuis 2005. M. A... produit, au titre de l'année 2022, deux promesses d'embauche et des documents médicaux établis en février, juillet et septembre 2022. Au titre de l'année 2023, il produit notamment le formulaire de demande de titre de séjour déposé en mars, une facture d'électricité établie en juin et des justificatifs d'activité professionnelle. Ces documents sont suffisants pour établir la présence de l'intéressé sur le territoire national au cours de ces deux années. Dans ces conditions, il doit être tenu pour établi qu'à la date du 11 juillet 2023 d'édiction de l'arrêté en litige, M. A... résidait habituellement en France depuis 12 ans.
4. Il ressort néanmoins des pièces du dossier que M. A..., qui a vécu en Tunisie la majeure partie de sa vie, est célibataire et sans charge de famille et ne démontre pas avoir noué en France des liens d'une particulière intensité en se bornant à produire quelques attestations peu circonstanciées émanant de connaissances ou d'anciens collègues de travail avec lesquels il a noué des relations amicales. Par ailleurs, l'intéressé établit qu'il a occupé des emplois saisonniers d'ouvrier agricole du 18 décembre 2017 au 31 janvier 2018, du 1er mars au 2 mars 2018, du 13 mars au 18 avril 2018, du 18 juillet 2018 au 21 août 2018, du 3 septembre 2018 au 13 septembre 2018, de décembre 2018 à mars 2019, du 2 mai au 9 mai 2019 du 3 au 4 décembre 2019, puis a travaillé comme agent de service de mars à juin 2023, correspondant à la période de validité de son récépissé de demande de titre de séjour. Il ajoute qu'il a bénéficié en 2021, 2022 et 2023 de promesses d'embauche en qualité de mécanicien, de commis de cuisine, d'ouvrier agricole et d'agent de service, lesquelles n'ont pu aboutir à la conclusion de contrats de travail faute de titre de séjour. Ces seuls éléments ne permettent cependant pas de justifier d'une insertion professionnelle notable et stable en France. Enfin, M. A... s'est soustrait à deux mesures d'éloignement édictées à son encontre en 2011 et 2013, s'est maintenu plusieurs années en France sans solliciter son admission au séjour et a été condamné à huit mois d'emprisonnement pour des faits, commis en janvier 2012, de dégradation volontaire par incendie de deux chambres du centre de rétention administrative de Paris. Dans ces conditions, et malgré l'ancienneté de la présence en France de M. A..., l'arrêté en litige n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
5. Eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que son arrêté du 11 juillet 2023 avait été pris en méconnaissance des dispositions et stipulations citées au point 2 et reposait sur une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de M. A....
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur la légalité de l'arrêté du 11 juillet 2023, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens :
7. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. ". Aux termes de l'article L. 432-14 du même code : " La commission du titre de séjour est composée : / 1° D'un maire ou de son suppléant désignés par le président de l'association des maires du département ou, lorsqu'il y a plusieurs associations de maires dans le département, par le préfet en concertation avec celles-ci et, à Paris, du maire, d'un maire d'arrondissement ou d'un conseiller d'arrondissement ou de leur suppléant désigné par le Conseil de Paris ; / 2° De deux personnalités qualifiées désignées par le préfet ou, à Paris, par le préfet de police. / Le président de la commission du titre de séjour est désigné, parmi ses membres, par le préfet ou, à Paris, par le préfet de police. / Dans les départements de plus de 500 000 habitants, une commission peut être instituée dans un ou plusieurs arrondissements. ". Aux termes de l'article R. 432-6 du même code : " Le préfet ou, à Paris, le préfet de police met en place la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 par un arrêté : / 1° Constatant la désignation des élus locaux mentionnés au 1° du même article ; / 2° Désignant les personnalités qualifiées mentionnées au 2° du même article ; / 3° Désignant le président de la commission ".
8. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D... B..., qui a siégé au sein de la commission du titre de séjour réunie le 15 juin 2023 pour examiner le cas de M. A..., aurait été préalablement désigné par un arrêté du préfet de la Gironde comme membre de cette commission. Cette circonstance conduit à regarder ladite commission comme s'étant réunie de manière irrégulière. Le préfet de la Gironde ayant pris en compte l'avis de cette commission, qu'il a visé dans son arrêté du 11 juillet 2023, cette irrégularité a été de nature à priver M. A... d'une garantie et entache ainsi d'illégalité ledit arrêté.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé son arrêté du 11 juillet 2023.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
11. À son article 2, le jugement attaqué, qui avait annulé pour un motif de légalité interne l'arrêté du 11 juillet 2023 du préfet de la Gironde, avait fait injonction à ce dernier de délivrer un titre de séjour à M. A.... S'il confirme l'annulation prononcée en première instance, le présent arrêt censure toutefois les motifs retenus par les premiers juges, pour se fonder sur un motif de légalité externe, qui est le seul de nature à justifier l'annulation et qui n'implique pas nécessairement la délivrance de ce titre de séjour. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement du 18 mars 2024 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à l'intéressé un titre de séjour et d'enjoindre à ladite autorité de se prononcer à nouveau sur la situation de l'intéressé après saisine de la commission du titre de séjour dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à M. A....
Sur les frais d'instance :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. A... sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2306604 du 18 mars 2024 du tribunal administratif de Bordeaux enjoignant au préfet de la Gironde de délivrer un titre de séjour à M. A... est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet de la Gironde est rejeté.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A... et de saisir la commission du titre de séjour dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux, ensemble ses conclusions présentées en appel au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Gironde, à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2024.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve-Dupuy
Le président,
Laurent Pouget Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00950