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04/11/2024 | FRANCE | N°22BX01633

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 04 novembre 2024, 22BX01633


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Suez Eau France a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler le titre de recettes émis le 21 octobre 2019 par le syndicat mixte d'eau potable (SMEP) de la région de Jurançon en vue du recouvrement d'une créance de 379 929,60 euros, et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.



Par un jugement n° 1902645 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Pau a annulé ce titre de recettes et a déchargé la société Suez Eau F

rance de l'obligation de payer.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Suez Eau France a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler le titre de recettes émis le 21 octobre 2019 par le syndicat mixte d'eau potable (SMEP) de la région de Jurançon en vue du recouvrement d'une créance de 379 929,60 euros, et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.

Par un jugement n° 1902645 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Pau a annulé ce titre de recettes et a déchargé la société Suez Eau France de l'obligation de payer.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 juin 2022, le SMEP de la région de Jurançon, représenté par Me Gallardo, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 14 avril 2022 ;

2°) de rejeter la demande de la société Suez Eau France tendant à l'annulation de ce titre de recettes du 21 octobre 2019 et à la décharge de l'obligation de payer ;

3°) de mettre à la charge de la société Suez Eau France une somme correspondant au montant du titre exécutoire ;

4°) de mettre à la charge de la société Suez Eau France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'acte attaqué est régulier en la forme ; il comporte la signature de son auteur car il s'agit d'un extrait du bordereau des titres de recettes n° 26, lequel a été régulièrement signé par voie électronique ; les nom, prénom et qualité du signataire figurent sur ce bordereau ;

- la créance n'est pas prescrite car la prescription quadriennale issue de la loi du 31 décembre 1968 n'est pas applicable à une personne publique détentrice d'une créance sur une personne privée ; seule s'applique la prescription désormais quinquennale de l'article 2224 du code civil ; celle-ci a couru à compter du jour où il a eu connaissance de l'étendue de ses droits ; or le volume réel de la consommation d'eau, qui est l'assiette de la somme en litige, n'est toujours pas connu ; en tout état de cause, le délai a été interrompu par le courrier du 1er avril 2015 aux termes duquel il a informé la société Suez qu'il entendait recouvrer la part syndicale due ;

- la créance n'est pas dépourvue de base légale ; la somme due correspond à l'application de l'article 44.1 du contrat de délégation de service public qui prévoit que la part syndicale est calculée sur la base des volumes d'eau consommés ; la circonstance que la société Suez a omis de répercuter ce coût sur les usagers est sans incidence sur le bien-fondé de sa créance.

Par un mémoire enregistré le 22 mai 2023, la société Suez Eau France, représentée par Me de Metz-Pazzis, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge du SMEP de la région de Jurançon en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable pour méconnaitre les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative dès lors qu'elle se borne à reproduire les écritures de première instance et ne comporte aucune critique du jugement entrepris ; cette cause d'irrecevabilité n'est plus régularisable ;

- les conclusions du syndicat, présentées pour la première fois devant la cour, tendant à ce que le tribunal mette à sa charge la somme qui est l'objet du titre de recettes en litige sont en tout état de cause irrecevables ;

- le titre de recettes ne comporte pas les nom, prénom et qualité de son auteur en violation des dispositions de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ;

- il n'indique pas les bases de la liquidation de la créance en violation des dispositions de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

- la créance est prescrite dès lors que la prescription quinquennale, à supposer même qu'elle a commencé à courir le 1er juin 2014, avait expiré le 1er juin 2019, soit avant l'émission du titre de recettes en litige ; elle n'a pas été interrompue par le courrier du 1er avril 2015, qui n'était d'ailleurs pas adressé au bon débiteur, dès lors que le syndicat ne justifie de sa notification ;

- la créance est infondée car aucun manquement contractuel ne peut lui être reproché ; le syndicat ne conteste pas le motif retenu par les premiers juges qui ont ainsi jugé et que la cour pourra adopter ; au surplus, la part syndicale avait été calculée conformément aux clauses du contrat.

Vu :

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Valérie Réaut,

- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,

- les observations de Me Gallardo, représentant le syndicat mixte d'eau potable de la région de Jurançon et les observations de Me de Metz-Pazzis, représentant la société Suez Eau France.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Pau, à la demande de la société Suez Eau France, a annulé le titre de recettes émis le 21 octobre 2019 par le président du syndicat mixte d'eau potable (SMEP) de la région de Jurançon, avec lequel elle est liée par un contrat d'affermage, pour obtenir le paiement d'une fraction de la part syndicale relative à l'année 2013 d'un montant de 379 929, 60 euros et l'a, par suite, déchargée de l'obligation de payer cette somme. Le syndicat mixte relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à ce que soit mise à la charge de la société Suez Eau France une somme correspondant au montant du titre exécutoire :

2. Les conclusions par lesquelles le SMEP de la région de Jurançon demande à la cour de mettre à la charge de la société Suez Eau France une somme correspondant au montant du titre exécutoire sont nouvelles en appel et, à ce titre, irrecevables. Il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée à cet égard par la société Suez Eau France.

Sur la légalité du titre de recettes :

3. Lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.

4. Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Aux termes de l'article 2240 de ce code : " La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. ". Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion (...) ". Enfin, aux termes de l'article 2244 de ce code : " Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ".

5. Par ailleurs, aux termes de l'article 44.1 du contrat d'affermage du service public de distribution d'eau potable conclu le 18 octobre 2005 entre le SMEP de la région de Jurançon et la société Suez Eau france, dans sa version applicable à l'exercice 2013 : " Le fermier sera tenu de mettre en recouvrement, pour le compte de la collectivité, une part syndicale s'ajoutant aux éléments du tarif de base prévu à l'article 38.2 du présent contrat. / La part syndicale comporte, à la date d'effet du contrat : Un prix au m3 consommé, payable à l'issue de la période de consommation. / (...) ". L'article 44.3 du contrat d'affermage, dans la version applicable issue de l'avenant n° 2 signé le 27 décembre 2010, prévoit que la société Suez Eau France reverse au délégant la part syndicale qui lui revient par fractions échelonnées tout au long de l'année civile et s'acquitte du solde de l'année N au 30 avril de l'année N+1.

6. La créance en litige est constituée d'une fraction de la part syndicale de l'année 2013, que le SMEP de la région de Jurançon a mis à la charge de la société Suez Eau France au motif que celle-ci aurait omis de la lui reverser. Il résulte de l'instruction que, par courriel du 7 mai 2014, le directeur du syndicat a interrogé la société délégataire sur une discordance qu'il a constatée en ce qui concerne le volume annuel d'eau consommée en 2013, sur la base duquel est reversée la part syndicale : il indique que ce volume correspond à 3 342 225 m3 selon les justificatifs joints au solde perçu le 28 avril 2024, mais figure pour une valeur de 4 109 698 m3 dans le rapport annuel du délégataire de la même année. Il résulte ainsi des termes de ce courriel que le SMEP de la région de Jurançon avait connaissance, à la date à laquelle il a été émis, des éléments de faits lui permettant de faire valoir ses droits. La prescription a donc couru à compter du 7 mai 2014 pour une durée de cinq ans, soit jusqu'au 7 mai 2019.

7. Le SMEP fait valoir que le courrier du 1er avril 2015 par lequel il a demandé à la société Suez Eau France de procéder à un paiement de régularisation aurait interrompu le délai de prescription. Toutefois, ce courrier, qui ne comporte aucune reconnaissance des droits du créancier par la société délégataire, ne peut être regardé comme une cause d'interruption au sens de l'article 2240 du code civil. Il ne correspond pas davantage aux autres causes interruptives du délai de prescription prévues aux articles 2241 et 2244 du même code. En outre, et en tout état de cause, le syndicat n'établit pas qu'il aurait notifié cette réclamation à la société Suez Eau France. Il s'ensuit que le délai de prescription n'a pas été interrompu avant le 7 mai 2019.

8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le SMEP de la région de Jurançon prétend que sa créance à l'encontre de la société Suez Eau France n'était pas prescrite. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête ni les autres moyens soulevés, le syndicat mixte n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Pau a annulé le titre de recettes du 21 octobre 2019 et a déchargé la société Suez Eau France de l'obligation de payer la somme de 379 929, 60 euros.

Sur les frais de l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions du SMEP de la région de Jurançon tendant à ce que la société Suez Eau France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, lui verse une somme au titre des frais d'instance. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SMEP de la région de Jurançon une somme de 1 500 euros à verser à la société Suez Eau France en application des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête du SMEP de la région de Jurançon est rejetée.

Article 2 : Le SMEP de la région de Jurançon versera à la société Suez Eau France une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte d'eau potable de la région de Jurançon et à la société Suez Eau France.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure

Mme Valérie Réaut, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2024.

La rapporteure,

Valérie Réaut

Le président,

Laurent PougetLe greffier

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX01633 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01633
Date de la décision : 04/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Valérie RÉAUT
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : GALLARDO

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-04;22bx01633 ?
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