Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 15 février 2021 par laquelle le préfet de Lot-et-Garonne a rejeté sa demande de délivrance de carte nationale d'identité pour son fils E....
Par un jugement n° 2102006 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 juin 2023, M. A..., représenté par Me Stinco, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 février 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler la décision du 15 février 2021 par laquelle le préfet de Lot-et-Garonne a rejeté sa demande de délivrance de carte nationale d'identité pour son fils E... ;
3°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de lui délivrer la carte nationale d'identité, dans un délai de 15 jours à compter de la date de notification du présent arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation ; le jeune E... A... remplit les conditions posées par les textes applicables tant au regard de sa filiation que de sa nationalité ; alors que sa nationalité française n'est pas contestée, il a reconnu E... comme étant son enfant, comme l'atteste l'acte de naissance ; la filiation a été établie avant la naissance ; il n'y a eu aucune fraude dans la démarche de reconnaissance de paternité ; il justifie de son intention bienveillante à l'égard de l'enfant en subvenant à ses besoins et son éducation, sans que la mère profite de la nationalité française de son fils pour régulariser sa situation ;
- la décision du 15 février 2021 est insuffisamment motivée ; la situation de fraude n'est ni identifiée ni développée ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit ; il est de nationalité française et détient l'autorité parentale sur E... A... ; conformément aux articles 2 et 4 du décret du 22 octobre 1955, E... A... avait droit à la délivrance d'une carte d'identité française ; il ne peut lui être reproché de ne pas être le père biologique ;
- l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant a été méconnu ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 6 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 25 juin 2024 à 12h00.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 25 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de Mme Reynaud, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité française, a déposé le 28 juillet 2020 auprès de la mairie de Guéret un dossier de première demande de carte nationale d'identité pour E... A..., né le 30 avril 2020 de Mme C..., sénégalaise, qu'il a reconnu de manière anticipée par acte du 2 mars 2020. Par décision du 15 février 2021, le préfet de Lot-et-Garonne a refusé d'accorder le titre d'identité français au motif du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité. M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation de cette décision. Par un jugement du 21 février 2023, le tribunal a rejeté sa demande. M. A... fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, le moyen tiré de ce que la décision contestée est insuffisamment motivée et aurait méconnu les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, que M. A... reprend en appel sans apporter de précisions nouvelles.
3.En deuxième lieu, l'article 18 du code civil dispose : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". Aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. / Elle est délivrée ou renouvelée par le préfet ou le sous-préfet. (...) ". Aux termes de l'article 4 de ce décret : " I. En cas de première demande, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur :/ a) De son passeport, (...) /c) Ou, à défaut (...), de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation (...)/ Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II./ II. La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. (...) /Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ". L'article 4-4 de ce décret dispose qu'il appartient à une personne exerçant l'autorité parentale de présenter la demande de carte nationale d'identité faite au nom d'un mineur. Aux termes de l'article 31-2 du code civil : " Le certificat de nationalité indique en se référant aux chapitres II, III, IV et VII du présent titre, la disposition légale en vertu de laquelle l'intéressé a la qualité de français, ainsi que les documents qui ont permis de l'établir. Il fait foi jusqu'à preuve du contraire (...) ". Aux termes de l'article 30 de ce code : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants. ".
4. Pour l'application des dispositions, citées au point précédent, du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955, il appartient aux autorités administratives, qui ne sont pas en situation de compétence liée, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du titre demandé. Dans ce cadre, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre, qu'une reconnaissance de paternité a été souscrite frauduleusement, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance du titre sollicité.
5. Pour refuser de faire droit à la demande de délivrance d'une carte nationale d'identité présentée par M. A... pour son fils E..., le préfet de Lot-et-Garonne s'est fondé sur le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de l'enfant par M. A....
6. Il est constant que M. A... n'est pas le père biologique du jeune E.... Entendus séparément par l'administration, M. A... et la mère de l'enfant, Mme C..., ont expliqué qu'en réponse à la demande de cette dernière, arrivée d'Espagne en France, sans ressources et enceinte de trois mois, le couple A..., pour des raisons personnelles, a accepté de l'aider et de subvenir à ses besoins. M. A... a reconnu l'enfant de manière anticipée par acte du 2 mars 2020. Mme C... est hébergée dans un foyer d'accueil à Guéret et M. A... réside avec sa femme et sa fille à Marsac, à 30 km. En se bornant à produire des attestations de paiement de l'assurance scolaire et protection individuelle pour l'enfant E... au titre des années 2021 à 2024 et à justifier de deux virements sur son compte bancaire au cours du mois de mai 2022, pièces toutes postérieures à la date de la décision contestée, M. A... n'établit ni sa participation à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ni la réalité des liens qu'il soutient avoir noués avec lui. La circonstance que le signalement du préfet de Lot-et-Garonne pour suspicion de reconnaissance de paternité frauduleuse n'ait pas fait l'objet de poursuites pénales par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, par décision du 9 juillet 2021, au motif de l'insuffisance de preuve pour établir " clairement " les faits et les qualifier d'infraction est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Dans ces conditions, compte tenu des informations dont disposait l'administration et des doutes suffisants qu'elles avaient pu faire naître sur la réalité du lien de filiation et par voie de conséquence sur la nationalité de l'enfant, le préfet n'a commis ni erreur de droit, ni erreur d'appréciation en rejetant la demande de délivrance d'une carte nationale d'identité présentées par M. A... pour l'enfant E... A..., au motif qu'elle présentait un caractère frauduleux.
7. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3, §1, de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
8. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, et ainsi qu'il a été dit au point 6, les éléments rassemblés par le préfet sont de nature à faire naître un doute suffisant quant à la filiation paternelle de l'enfant E..., ainsi, le préfet de Lot-et-Garonne n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3, § 1, de la convention internationale des droits de l'enfant, lesquelles n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire du respect de la loi, au seul motif de l'intérêt de l'enfant, les agissements frauduleux destinés à obtenir des documents d'identité à ce dernier.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 février 2021 par laquelle le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer une carte d'identité au nom de l'enfant E... A....
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision administrative attaquée par M. A... n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par le requérant doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par le conseil du requérant en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 octobre 2024.
La rapporteure,
Bénédicte D...La présidente,
Frédérique Munoz-Pauziès La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01572