Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 26 octobre 2021 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter
du 3 novembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou
de contre-indication à la vaccination ou de rétablissement de la Covid-19.
Par un jugement n° 2200021 du 5 juillet 2022, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 octobre 2022 et un mémoire enregistré le 3 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Armand, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 26 octobre 2021 ;
3°) de mettre à la charge du CHU de la Guadeloupe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de suspension sans rémunération à compter du 3 novembre 2021 reçue
le 27 octobre 2021 était rétroactive ;
- elle n'a reçu la décision de suspension du 20 janvier 2022 que le 16 mars 2022,
et entre son préavis de grève et cette réception, elle n'a bénéficié ni d'un entretien, ni d'un accompagnement, ni de la possibilité de consulter son dossier administratif, ni de prendre des congés comme le prévoit la loi du 5 août 2021 ;
- la décision constitue une sanction disciplinaire déguisée car l'administration a eu l'intention de la sanctionner pour des raisons étrangères à l'intérêt du service ;
- le 26 octobre 2021, elle a informé la cadre de proximité de sa décision de se mettre en grève à partir du 1er novembre 2021 pour une durée illimitée, et une traçabilité écrite lui a été envoyée par courriel le lendemain ; si le CHU estimait qu'elle était tenue de se soumettre à l'obligation de vaccination, il aurait dû engager une procédure disciplinaire, et non une retenue sur traitement ;
- dès lors qu'elle était en grève à compter du 1er novembre 2021, elle n'exerçait pas ses fonctions à partir de cette date et ne pouvait donc être regardée comme intervenant dans l'établissement à compter du 3 novembre 2021 ; ainsi, la décision qui ne tient pas compte de sa qualité de gréviste est " manifestement illégale " ;
- l'obligation vaccinale des personnes intervenant dans les établissements de santé a été reportée au 31 décembre 2021 dans le département de la Guadeloupe, de sorte qu'elle ne pouvait être suspendue de ses fonctions avant cette date ;
- dans un rapport publié le 20 février 2023, la Haute autorité de santé a indiqué que l'obligation vaccinale contre la Covid-19 pourrait être levée pour tous les personnels soignants ; dès lors que la décision de suspension va devenir caduque, elle est inopportune et doit être annulée ;
- le 3 mars 2023, le CHU lui a proposé une rupture conventionnelle, ce qui démontre qu'il ignore l'éventuelle évolution réglementaire à prévoir, ainsi que l'illégalité de la décision intervenue avant la mise en place de l'obligation vaccinale ; ainsi, la volonté de l'administration de l'évincer est manifeste.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 février 2023, le CHU de la Guadeloupe, représenté par la SELARL Minier, Maugendre et Associées, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- contrairement à ce qu'elle affirme, Mme C... ne s'est jamais déclarée gréviste ; si elle déclare l'avoir fait oralement, puis avoir adressé un courriel en ce sens, elle ne l'établit pas ; au demeurant, l'agent qui reste en position d'activité pendant un mouvement social continue à être soumis à l'obligation vaccinale, et tous les agents qui ne justifiaient pas remplir leur obligation vaccinale ont été suspendus ; l'existence d'une discrimination n'est pas démontrée ;
- en soutenant que l'obligation vaccinale aurait été reportée au 31 décembre 2021 dans le département de la Guadeloupe, Mme C... fait référence à des recommandations du ministère de la solidarité et de la santé relatives aux informations de négociations individuelles et collectives préalables, dépourvues de valeur juridique, lesquelles concernaient exclusivement les agents acceptant un échange individuel et le signifiant par un engagement écrit, ce qui n'était pas le cas de Mme C... ;
- la suspension est une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, afin de lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19, et n'a aucun caractère disciplinaire ; l'employeur est tenu, sous peine de sanctions pénales, de suspendre sans rémunération l'agent qui ne peut plus exercer son activité en l'absence de présentation des justificatifs prévus à l'article 14 de la loi du 5 août 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021, modifié par le décret n° 2021-1059
du 7 août 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rajbenbach, représentant le CHU de la Guadeloupe.
Une note en délibéré présentée pour le CHU de la Guadeloupe a été enregistrée le 8 octobre 2024.
Considérant ce qui suit
1. Par une décision du 26 octobre 2021, Mme C..., infirmière titulaire affectée au CHU de la Guadeloupe, dans le service de pneumologie, a été suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter du 3 novembre 2021, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid-19 ou d'un certificat de rétablissement. Elle relève appel du jugement du 5 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre
la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...). " Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. -Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de
l'article 12. (...) / (...) / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / (...). " Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. / (...) / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / (...) / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. / Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / (...). "
3. En premier lieu, les dispositions précitées, prises dans l'intérêt de la santé publique dans un contexte de crise sanitaire, soumettent à l'obligation de vaccination toute personne exerçant son activité dans un établissement de santé, et prévoient qu'en l'absence de production de l'un des justificatifs énumérés à l'article 13, l'intéressé ne peut plus exercer son activité et doit être suspendu de ses fonctions. Une décision de suspension prise sur leur fondement n'a pas le caractère d'une sanction. Alors que les dispositions de l'article 14 imposent seulement à l'employeur une obligation d'information de l'agent public sur les conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi et sur les moyens de régulariser sa situation, Mme C... ne peut utilement faire valoir qu'elle n'a bénéficié ni d'un entretien ni d'un accompagnement, ni de la possibilité de consulter son dossier administratif. Si elle soutient qu'elle n'aurait pas eu la possibilité de prendre des congés, elle n'établit ni même n'allègue en avoir fait la demande.
4. En deuxième lieu, en l'absence de la complète législation du droit de grève annoncée par le Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution
du 4 octobre 1958, il appartient à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et l'étendue des limitations qui doivent être apportées au droit de grève en vue d'en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l'ordre public ou aux besoins essentiels du pays, pour les services dont l'organisation lui incombe.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'en Guadeloupe, la réticence d'une importante partie du personnel des établissements de santé vis-à-vis de l'obligation vaccinale applicable à compter du 15 septembre 2021 avait conduit les autorités de tutelle à demander aux chefs d'établissements de procéder à un contrôle gradué et progressif du respect de cette obligation, dans la perspective de convaincre les agents qui n'y satisfaisaient pas le 15 septembre de se faire vacciner, et d'éviter ainsi une suspension. Dans ce contexte, le CHU de la Guadeloupe avait échelonné les dates de suspension en répartissant ses agents en trois groupes, les personnels soignants dont relevait Mme C... devant être suspendus de leurs fonctions à compter
du 3 novembre 2021. Par une lettre de " dernier rappel avant suspension " du 15 octobre 2021, le directeur général du CHU de la Guadeloupe a mis Mme C... en demeure de régulariser sa situation sous huit jours par la production d'un certificat de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid-19 ou d'un certificat de rétablissement, en lui indiquant que passé ce délai, l'absence de transmission de ces justificatifs l'exposerait à une mesure de suspension sans traitement jusqu'à régularisation de sa situation. Par un courriel envoyé le 27 octobre 2021
à 6 h 27, Mme C..., qui avait alors connaissance de cette mise en demeure dont elle avait reçu notification sur son lieu de travail, ainsi que de l'imminence de la décision de suspension qu'elle indique avoir reçue le même jour, a informé sa supérieure hiérarchique de son intention de participer, à compter du 1er novembre et pour une durée illimitée, au mouvement de grève auquel les syndicats avaient appelé à compter du 10 septembre 2021 par un préavis
du 3 septembre, pour demander l'abrogation de la loi du 5 août 2021 et la suppression de l'obligation vaccinale. Dans ces circonstances, sa déclaration de participation à la grève doit être regardée comme ayant pour unique objet de lui permettre d'échapper à la suspension,
et elle n'est pas fondée à soutenir que cette déclaration, postérieure à l'édiction de la décision
du 26 octobre 2021, aurait fait obstacle à l'exécution de la suspension de fonctions, ou l'aurait entachée d'illégalité.
6. En troisième lieu, Mme C... indique avoir reçu la décision du 26 octobre 2021 dès le 27 octobre, antérieurement à la date d'effet de la suspension fixée au 3 novembre.
La circonstance que le CHU de la Guadeloupe a pris le 20 janvier 2022 une seconde décision ayant le même objet, et présentant ainsi un caractère confirmatif, n'est pas de nature à conférer un caractère rétroactif à la suspension.
7. En quatrième lieu, l'affirmation de Mme C... selon laquelle l'obligation de vaccination aurait été reportée au 31 décembre 2021 dans le département de la Guadeloupe n'est pas assortie des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. L'évolution de la situation sanitaire postérieurement à la décision contestée ne peut être utilement invoquée pour en contester la légalité, laquelle s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise.
8. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
10. Mme C..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à sa charge au titre des frais exposés par le CHU de la Guadeloupe à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le CHU de la Guadeloupe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02600