Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile " La maison de Gabrielle " a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de taxe sur les salaires qui ont été mises à sa charge au titre des années 2015 et 2016 pour un montant total de 46 399 euros.
Par un jugement n° 2001584 du 4 mars 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 avril 2022, et des mémoires enregistrés les 9 septembre, 2 octobre et 19 novembre 2023, la société civile " La maison de Gabrielle ", représentée par Me Richard, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 2001584 du 4 mars 2022 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de prononcer la décharge et la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de taxe sur les salaires qui ont été mises à sa charge au titre des années 2015 et 2016 pour un montant total de 46 399 euros.
Elle soutient que :
S'agissant de l'impôt sur les sociétés :
- elle a bien contesté cet impôt ; les déclarations rectificatives indiquant qu'elle relève de l'impôt sur le revenu et non de l'impôt sur les sociétés, adressées à la juridiction doivent être considérées comme des réclamations ;
- elle accepte le rehaussement afférent aux amortissements non justifiés concernant 2015 et 2016 d'un montant respectif de 12 428 euros et 6 714 euros ; le résultat doit être réparti entre les associés et imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- en revanche, les associés de la société civile la maison de Gabrielle en leur qualité de permanents du lieu de vie et d'accueil exercent une profession non commerciale réglementée et ne se livraient pas en 2015 et 2016 à des opérations visées à l'article 34 du code général des impôts ; elle relevait en 2015 et 2016 sur le plan fiscal de l'article 8 du code général des impôts et son résultat doit être déterminé suivant les règles propres aux bénéfices non commerciaux ;
- les différents éléments de la mission d'insertion sociale des mineurs et jeunes majeurs en difficulté effectuée par le lieu de vie et d'accueil (éducation, protection, surveillance, accompagnement continu et quotidien, logement, nourriture, blanchisserie, transports, loisirs) sont étroitement liés et forment une profession unique et indissociable ; les prestations commerciales de logement, nourriture, blanchisserie, transport, loisirs ne constituent pas une fin en soi et n'ont pas un caractère prépondérant ; ces prestations ne sont pas rémunérées de manière distincte ; le forfait journalier perçu par les lieux de vie en contrepartie de l'accueil des jeunes en difficulté rémunère les prestations effectuées au titre de la mission d'accompagnement social et l'ensemble des prestations de services et des livraisons de biens liées à l'hébergement du jeune ;
- la profession exercée est réglementée et soumise à de nombreuses obligations, notamment au respect par ces membres de principes éthiques comme le secret professionnel ;
- la disposition statutaire selon laquelle les écritures des affaires sociales doivent être tenues selon les lois et usage du commerce n'implique pas qu'elle soit désignée comme commerçante ; cette obligation n'a aucune conséquence sur la qualification de l'activité ;
- elle exerce une activité libérale ;
S'agissant de la taxe sur les salaires :
- M. A... n'a pas été rémunéré pour son activité professionnelle par un salaire mais par sa part de bénéfices correspondant à ses droits dans la société ; le montant de salaires rattaché à M. A... correspond à 50 % du montant initialement déclaré par le foyer fiscal en tant que salaires revenant en totalité à Mme A... ;
- la position de l'administration qui se refuserait à rembourser l'impôt sur les sociétés acquitté spontanément aboutirait à une double imposition à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés, contraire au principe d'équité inscrit dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ;
- le législateur en exonérant de taxe sur la valeur ajoutée les prestations de service et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées par les lieux de vie et d'accueil a considéré que la fourniture de logement et de nourriture ne relève pas des prestations principales couvertes par le forfait journalier ; le service vérificateur a acté dans les propositions de rectification que son activité commerciale n'était pas prépondérante.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 octobre 2022 et les 13 septembre, 27 octobre et 27 novembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas fait l'objet d'une communication, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les conclusions sont irrecevables en ce qu'elles tendent à la décharge de l'impôt sur les sociétés non visé par la réclamation préalable, acquitté spontanément sur la base des déclarations souscrites au titre des exercices 2015 et 2016 ; les conclusions en décharge sont recevables à hauteur de 40 587 euros ;
- les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 6 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2023 à 12 heures.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,
- et les observations de M. A..., représentant la société la Maison de Gabrielle.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... est gérante et associée à hauteur de 55 % de la société civile la Maison de Gabrielle, qui exerce une activité d'hébergement et d'accompagnement personnalisé de huit enfants et adolescents en difficulté, au sens du III de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles. Mme A... et M. A..., son époux, associé à 45 % de la société, sont également responsables permanents de ce lieu de vie dans lequel ils résident avec les mineurs accueillis et exercent à leur égard la mission d'éducation, de protection et de surveillance, prévue par l'article D. 316-1 du même code. La société la Maison de Gabrielle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période courant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, à l'issue de laquelle l'administration a procédé à des rehaussements d'impôt sur les sociétés et de taxe sur les salaires au titre des deux exercices vérifiés aux motifs d'une part, que la société est passible de plein droit à l'impôt sur les sociétés, d'autre part, que M. A... a perçu une rémunération pour son activité professionnelle exercée au sein de la structure. Les intéressés ont par ailleurs fait l'objet de deux contrôles sur pièces, l'un à l'encontre de Mme A..., en qualité d'associée gérante, l'autre, à l'encontre de M. et Mme A..., au titre de leur imposition commune. Par une proposition de rectification du 23 juillet 2018, la société la Maison de Gabrielle a été informée des rehaussements envisagés en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur les salaires au titre des années 2015 et 2016. Les réclamations préalables formées les 6 août 2019 et 2 janvier 2020 ont été rejetées par des décisions de l'administration fiscale des 30 octobre 2019 et 15 mai 2020. La société la Maison de Gabrielle relève appel du jugement du 4 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de taxe sur les salaires qui ont été mises à sa charge au titre des années 2015 et 2016 pour un montant total, en droits et pénalités, de 46 399 euros.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
2. Aux termes de l'article 8 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société (...). /Il en est de même, sous les mêmes conditions : / 1° Des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées au 1 de l'article 206 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) ". Aux termes de l'article 206 du même code, relatif à l'impôt sur les sociétés : " (...) 2. (...) les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) / 3. Sont soumis à l'impôt sur les sociétés s'ils optent pour leur assujettissement à cet impôt dans les conditions prévues à l'article 239 : (...) / b. Les sociétés civiles mentionnées au 1° de l'article 8 (...) ". L'article 34 du code général des impôts prévoit : " Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que les sociétés civiles qui se livrent à des opérations de nature commerciale doivent être soumises à l'impôt sur les sociétés sur l'ensemble de leurs recettes, même si ces opérations ne revêtent pas un caractère prépondérant.
4. La société appelante soutient que, par ses missions d'insertion sociale de mineurs et jeunes adultes, elle n'exerce pas une activité à caractère commercial et que les prestations de logement, nourriture, blanchisserie, transport et de loisirs n'ont pas un caractère prépondérant. Il résulte de l'instruction que la société la Maison de Gabrielle gère un lieu de vie et d'accueil d'enfants, d'adolescents et de jeunes adultes en situation problématique, au sens des articles L. 312-1 et D. 316-1 du code de l'action sociale et des familles. L'établissement accueille ainsi des enfants confiés par le service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) du département des Deux-Sèvres, ou par d'autres services départementaux ou organismes, en application d'une convention signée le 29 décembre 2015 avec le président du conseil départemental des Deux-Sèvres. Le financement est établi, conformément aux dispositions de l'article D. 316-5 du code de l'action sociale et des familles, sur la base d'un forfait journalier de base arrêté par l'administration, versé pour chaque enfant accueilli, lequel comprend notamment la rémunération des permanents et autres salariés du lieu de vie et d'accueil, les charges sociales, les charges d'exploitation à caractère hôtelier et d'administration générale, les charges d'exploitation relatives à l'animation, l'accompagnement social et l'exercice des missions d'éducation, de protection et de surveillance, les allocations versées en faveur des résidents, les amortissements du matériel et du mobilier destinés à l'accueil. Un forfait complémentaire peut être versé pour tout ou partie de dépenses non prévues dans le forfait de base. Dans ces conditions, la société la Maison de Gabrielle doit être regardée comme exerçant une activité commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts. La circonstance que les enfants et jeunes majeurs accueillis par la société requérante sont placés par décision de l'administration est sans influence sur la nature de l'activité exercée. Il en va de même de la circonstance que les activités commerciales exercées (hébergement, nourriture, blanchisserie, transport des enfants accueillis), lesquelles ont d'ailleurs été évaluées par le vérificateur à au moins 10 % du chiffres d'affaires, ne constituent que le prolongement des missions d'accompagnement social des enfants et jeunes adultes en difficulté sans qu'elles puissent pour autant être qualifiées d'accessoires. Par suite, et alors au demeurant que la société appelante a spontanément déposé au titre des exercices contrôlés des déclarations d'impôt sur les sociétés de même qu'au titre des exercices 2017 et 2018, c'est sans commettre d'erreur de droit que l'administration fiscale l'a regardée comme soumise de plein droit à l'impôt sur les sociétés.
5. Ainsi qu'il vient d'être dit, la société relève de l'impôt sur les sociétés de plein droit en raison de la nature commerciale de son activité. La circonstance qu'elle est exonérée de taxe sur la valeur ajoutée, conformément aux dispositions du 1° quater du 7 de l'article 261 du code général des impôts, est sans incidence sur le bien-fondé de l'imposition en litige.
6. Par une proposition de rectification du 24 juillet 2018, l'administration fiscale a notifié à M. et Mme A... des suppléments d'impôt sur le revenu au titre des années 2015 et 2016 à raison des revenus perçus par eux, relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux. Ces suppléments d'imposition sont distincts des suppléments d'impôt sur les sociétés notifiés à la société la Maison de Gabrielle. Par suite, le moyen tiré d'une double imposition ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la taxe sur les salaires :
7. Aux termes de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " 1. Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés (...) sont soumises à une taxe au taux de 4,25 % de leur montant évalué selon les règles prévues à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, sans qu'il soit toutefois fait application du deuxième alinéa du I et du 6° du II du même article. Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés (...) L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total. Le chiffre d'affaires qui n'a pas été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée en totalité ou sur 90 p. 100 au moins de son montant, ainsi que le chiffre d'affaires total mentionné au dénominateur du rapport s'entendent du total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations qui n'entrent pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné au numérateur du rapport s'entend du total des recettes et autres produits qui n'ont pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. (...) / Les entreprises entrant dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée qui n'ont pas été soumises en fait à cette taxe en vertu d'une interprétation formellement admise par l'administration sont redevables de la taxe sur les salaires. (...) ".
8. Il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait été rémunéré par sa part de bénéfices correspondant à ses droits dans la société alors que lors de la vérification de comptabilité, l'intéressé a indiqué que la rémunération allouée à Mme A... comprenait à hauteur de 50 % celle le concernant pour le travail effectué par lui au sein de la structure. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a soumis la rémunération de M. A... à la taxe sur les salaires.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que la société la Maison de Gabrielle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société la Maison de Gabrielle est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société la Maison de Gabrielle et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction spécialisé de contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Frédérique Munoz-Pauziès La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01232