Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de La Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et a procédé au retrait de son attestation de demande d'asile.
Par un jugement n° 2300272 du 14 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête enregistrée le 24 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Djafour, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de La Réunion du 14 avril 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 du préfet de La Réunion ;
3°) d'enjoindre au préfet de La Réunion de procéder au réexamen de sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance de son droit d'être entendu ;
- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 juin 2024, le préfet de La Réunion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 24 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 2 septembre 2024.
M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2023/008080 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 24 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant sri-lankais né le 17 octobre 1978, est entré sur le territoire français le 14 décembre 2018. Il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 26 mars 2019, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 novembre 2022. Par un arrêté du 3 février 2023, le préfet de La Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et a procédé au retrait de son attestation de demande d'asile. L'intéressé relève appel du jugement du 14 avril 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, M. A... reprend, sans critique utile du jugement, le moyen tiré de l'absence d'examen réel et sérieux de sa situation, auquel le premier juge a pertinemment répondu. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le magistrat désigné du tribunal administratif de La Réunion.
3. En deuxième lieu, lorsqu'il sollicite la délivrance du statut de réfugié, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande, il pourra faire l'objet, le cas échéant, d'une mesure d'éloignement du territoire français avec ou sans délai de départ volontaire et d'une interdiction de retour. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne la décision prise sur sa demande, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ou de compléter ses observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français, sur l'octroi ou non d'un délai de départ volontaire, sur la fixation du pays de destination et sur l'interdiction de retour, lesquels sont pris concomitamment et en conséquence du refus de la qualité de réfugié. Par suite, dans la mesure où M. A... a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié et dès lors que l'arrêté en litige fait suite au constat que la reconnaissance du statut de réfugié lui a été refusée, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ".
5. M. A... fait valoir qu'il appartient à la communauté tamoule, présente à La Réunion, et qu'il occupe depuis novembre 2021 un emploi de métallier sous couvert d'un contrat de travail à durée indéterminée. Toutefois, le requérant, entré récemment en France, est célibataire et sans charge de famille et ne démontre pas qu'il disposerait en France de liens anciens, intenses et stables. De plus, il n'allègue pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de 44 ans. Dans ces conditions, et malgré la bonne insertion professionnelle du requérant depuis son arrivée en France, le préfet de La Réunion n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en lui faisant obligation de quitter le territoire français. Pour les mêmes motifs, cette décision ne repose pas sur une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé.
6. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
7. Il n'est pas contesté que la présence de M. A... ne constitue pas une menace à l'ordre public et qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement. En outre, si son entrée en France est récente, compte tenu des éléments cités au point 5 relatifs à sa situation professionnelle, l'appelant est fondé à soutenir qu'en fixant à deux ans, soit la durée maximale prévue par les dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'interdiction de retour prononcée à son encontre, le préfet de la Réunion a entaché cette décision d'une erreur d'appréciation. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué à l'encontre de cette décision, M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation de la décision du 3 février 2023 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et à demander, dans cette mesure, la réformation de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt, qui se borne à annuler la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, n'implique pas qu'il soit procédé au réexamen de la situation de M. A.... Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant.
Sur les frais liés à l'instance :
10. L'Etat n'étant pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'appelant sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : La décision du 3 février 2023 du préfet de La Réunion faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans est annulée.
Article 2 : Le jugement n° 2300272 du 14 avril 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de La réunion est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie sera adressée pour information au préfet de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve-Dupuy
Le président,
Laurent Pouget La greffière,
Caroline Brunier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02654