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03/10/2024 | FRANCE | N°24BX00589

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 03 octobre 2024, 24BX00589


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2023 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2301747 du 11 janvier 2024, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par u

ne requête enregistrée le 10 mars 2024, M. C..., représenté par

la SELARL Avoc'Arènes, demande à la cour :



1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2023 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2301747 du 11 janvier 2024, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 mars 2024, M. C..., représenté par

la SELARL Avoc'Arènes, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 7 juillet 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) compte tenu de l'aide juridictionnelle partielle qui lui a été accordée, de mettre

à la charge de l'Etat le versement à son profit d'une somme de 1 350 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et au profit de son conseil une somme

de 800 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- il a saisi le juge aux affaires familiales pour fixer son droit de visite et d'hébergement et sa contribution à l'entretien et à l'éducation de son enfant ; il a communiqué au juge l'adresse de Mme A... ; l'assignation n'a pas pu lui être délivrée parce qu'elle ne met pas son nom sur la boîte aux lettres, mais elle a bien réceptionné un courrier envoyé à cette adresse en janvier 2024 ; il se rend régulièrement chez Mme A... pour exercer son droit de visite, et s'il a été empêché à plusieurs reprises de voir son enfant, c'est en raison du comportement de Mme A..., qu'il a signalé au juge aux affaires familiales ; par les photographies produites, il démontre qu'il voit régulièrement son fils depuis sa naissance ; alors que Mme A... refuse le versement de la pension alimentaire par virement bancaire, il justifie effectuer des retraits pour la régler en espèces, et il produit de nombreuses factures d'achats destinés à l'enfant ; ainsi, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il contribue à l'entretien et à l'éducation de son enfant, ce que le préfet n'a d'ailleurs jamais contesté ;

- il vit en France depuis le 4 juin 2019, il travaille sous contrat à durée indéterminée et dispose d'un revenu stable, d'un logement et d'un lien familial avec son fils âgé de deux ans ; le centre de ses intérêts privés et familiaux se trouve ainsi en France, de sorte que le refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- eu égard à ses liens avec son fils, le refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- depuis son entrée en France, il a travaillé de manière constante sous contrat à durée indéterminée pour deux employeurs successifs ; la qualité de son travail a été reconnue par un premier employeur qui l'a promu manager le 1er octobre 2021, puis par un second qui a augmenté son temps de travail pour un temps complet le 1er octobre 2023 ; ses emplois de personnel polyvalent et de management en restauration figurent sur la liste des métiers en tension arrêtée le 23 mai 2017 par le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine, de sorte qu'il remplit les conditions de régularisation du point 2.2.1 de la circulaire du 28 novembre 2012 ; en outre, sa première compagne, mère de son premier enfant, est décédée dans un naufrage, et sa fille est née sans vie à Limoges le 20 janvier 2021 ; dans ces conditions, il peut prétendre à une admission exceptionnelle au séjour ;

- l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi sont illégales du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2024, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la présence en France de M. C... est récente, et il s'y est maintenu irrégulièrement malgré une précédente mesure d'éloignement du 24 mars 2021 ; les pièces produites pour la première fois en appel ne suffisent pas à établir qu'il exercerait son droit de visite auprès de son fils dans les conditions fixées par le juge aux affaires familiales, et au demeurant, il ne démontre pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge

de 20 ans et où résident ses parents, ses quatre frères et sœurs et son enfant âgé de 8 ans ; ainsi, le refus de titre de séjour ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le refus de titre de séjour n'a ni pour objet, ni pour effet de séparer l'enfant de sa mère, et ne fait pas obstacle à ce que M. C... leur rende visite en France, de sorte qu'elle ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de l'enfant.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 % par une décision du 15 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., de nationalité guinéenne, né le 13 août 1998, a déclaré être entré en France le 4 juin 2019. Le 23 février 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant d'une demande d'autorisation de travail sous contrat à durée indéterminée et à temps complet dans un établissement de restauration rapide à Limoges, et par un arrêté

du 24 mars 2021, le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et lui a interdit le retour pour une durée d'un an. Le recours contentieux présenté par l'intéressé a été rejeté en dernier lieu par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 9 août 2022. Le 4 mai 2023, M. C... a présenté une demande de régularisation à titre exceptionnel en se prévalant de l'exercice de l'autorité parentale conjointe sur son fils né à Limoges le 17 février 2022 et d'une nouvelle demande d'autorisation de travail présentée par une autre entreprise de restauration rapide. Par un arrêté du 7 juillet 2023, la préfète de la Haute-Vienne a pris une décision de rejet assortie d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement

du 11 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / (...). " Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est père d'un enfant né

le 17 février 2022, dont la mère de nationalité guinéenne est titulaire d'une carte de résident. Par un jugement du 13 mars 2023, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Limoges a reconnu l'exercice de l'autorité parentale conjointe des parents et fixé la résidence de l'enfant alors âgé de 13 mois chez sa mère, avec un droit de visite et d'hébergement du père un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Par les très nombreuses pièces produites pour la première fois en appel, M. C... justifie entretenir d'étroites relations avec son fils et contribuer à son entretien par de multiples achats. Dans ces circonstances, et alors même qu'il ne résidait en France, où il est entré à l'âge de 20 ans, que depuis quatre ans à la date de l'arrêté

du 7 juillet 2023, et qu'il a laissé en Guinée, à la garde de sa mère, un autre enfant né en 2014 dont la mère est décédée, M. C... est fondé à soutenir que le refus de titre de séjour porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations et dispositions précitées.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens

de la requête, que M. C... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 7 juillet 2023 et du jugement du tribunal administratif de Limoges

n° 2301747 du 11 janvier 2024.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Eu égard aux motifs exposés au point 3, l'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 7 juillet 2023 implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait, la délivrance à M. C... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

6. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 %. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 300 euros à son conseil,

la SELARL Avoc'Arènes. En outre, dès lors que l'admission à l'aide juridictionnelle partielle a laissé à la charge du requérant une partie des frais exposés à l'occasion du présent litige, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros à M. C....

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 7 juillet 2023 et le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 2301747 du 11 janvier 2024 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Vienne, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait, de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la SELARL Avoc'Arènes une somme de 300 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : L'Etat versera à M. C... une somme de 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au préfet de la Haute-Vienne, au ministre de l'intérieur et à la SELARL Avoc'Arènes.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24BX00589


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00589
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET AVOC'ARENES

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;24bx00589 ?
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