La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/10/2024 | FRANCE | N°24BX00315

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 03 octobre 2024, 24BX00315


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2304694 du 7 décembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a reje

té sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 9 février...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2304694 du 7 décembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 février 2024, M. B..., représenté par Me Cesso, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 décembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision de refus de séjour :

- elle est entachée d'un vice de procédure ; d'une part, l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ne comporte pas la signature d'un des trois médecins ; d'autre part, le collège de médecins de l'Office ne s'est pas prononcé sur deux des trois conditions posées par l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatives aux conséquences d'un défaut de soins et à la possibilité de bénéficier d'un traitement dans le pays d'origine ;

- elle est entachée d'une erreur de fait, qui ne peut être neutralisée par une substitution de motifs ou à tout le moins d'une erreur de droit en ce que le préfet de la Gironde s'est cru lié par l'avis de l'OFII ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que son état de santé nécessite une prise en charge médicale, que le défaut de soins pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que les soins nécessaires au traitement de sa maladie ne sont pas disponibles au Congo ;

- elle méconnait son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de son état de santé, de son ancienneté de présence en France et de son intégration ;

- elle méconnait l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de son état de santé, de son ancienneté de présence en France, de son intégration et des risques encourus en cas de retour au Congo ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- pouvant bénéficier d'un titre de séjour de plein droit, il ne peut légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;

- la décision méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- elle méconnait l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- la décision méconnait l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu des risques qu'il encourrait en cas de retour au Congo.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'il confirme les termes de son mémoire transmis en première instance.

Par une décision n° 2023/010285 du 1er février 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant de République démocratique du Congo né le 10 octobre 1994, est entré irrégulièrement en France le 11 septembre 2019 selon ses déclarations. A la suite du rejet de sa demande d'asile par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 26 février 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 20 décembre 2022, le préfet de la Gironde, par un arrêté du 27 janvier 2023, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par la suite, M. B... a sollicité, le 23 février 2023, son admission au séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 425-9 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 20 juillet 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi. Par la présente requête, M. B... relève appel du jugement du 7 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté en litige :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi allant dans le sens de ses conclusions. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. L'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Il ressort des pièces du dossier que par un avis du 5 juin 2023, le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments du dossier, l'état de santé de l'intéressé peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine. Pour refuser de délivrer le titre de séjour sollicité, le préfet de la Gironde s'est notamment fondé sur la circonstance que l'état de santé de M. B... ne nécessite pas une prise en charge médicale. Dans son mémoire en défense de première instance auquel il se reporte en appel, le préfet de la Gironde soutient que la décision de refus de délivrance de titre de séjour se fonde non pas sur la circonstance que l'état de santé de M. B... ne nécessite pas une prise en charge médicale, mais sur la circonstance que le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner pour lui de conséquences d'une exceptionnelle gravité. A ce titre, il doit être regardé comme sollicitant une substitution de motifs.

7. Pour remettre en cause l'avis de l'OFII selon lequel son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, M. B... produit des certificats médicaux datés des 22 juin 2021, 22 octobre 2021 et 25 janvier 2023, complétés en appel par un certificat établi le 22 décembre 2023 par un médecin psychiatre de l'équipe mobile de " psychiatrie précarité " du centre hospitalier Charles Perrens. Il en ressort que l'intéressé souffre d'un syndrome de stress post-traumatique à l'origine d'un état dépressif, pour le traitement duquel il fait l'objet d'un suivi psychiatrique et suit un traitement composé de mirtazapine et de cyamémazine. Les certificats médicaux produits indiquent en particulier que si la prise de ce traitement a permis une amélioration de la qualité du sommeil de M. B... et une amélioration de la dissociation ainsi qu'une moindre fréquence des reviviscences la journée et des cauchemars, un retour en République démocratique du Congo réactiverait son syndrome de stress post-traumatique et entrainerait un risque suicidaire. Dans les circonstances de l'espèce, les éléments produits par M. B... sont de nature à remettre en cause l'appréciation, que le préfet entend s'approprier, portée par le collège des médecins de l'OFII sur les conséquences d'un défaut de traitement sur l'état de santé du requérant, étant précisé que ledit collège ne s'est pas prononcé sur l'existence d'un traitement approprié dans le pays d'origine. Par suite, et sans qu'il puisse être fait droit à la demande de substitution de motifs, M. B... est fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet de la Gironde, a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif d'annulation retenu et au fait que le préfet de la Gironde ne s'est pas prononcé sur l'existence d'un traitement approprié dans le pays d'origine, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui accorder une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais liés au litige :

10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 200 euros à Me Cesso, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 décembre 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 20 juillet 2023 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui accorder une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me Cesso la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au préfet de la Gironde, à Me Cesso et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.

La rapporteure,

Béatrice Molina-Andréo

La présidente,

Evelyne Balzamo

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX00315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00315
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Béatrice MOLINA-ANDREO
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;24bx00315 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award