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03/10/2024 | FRANCE | N°22BX02339

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 03 octobre 2024, 22BX02339


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Tandonnet Brascassat a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 mai 2020 par lequel la préfète de la Gironde a déclaré cessibles au profit de l'établissement public d'aménagement (EPA) Bordeaux Euratlantique les parcelles cadastrées BY 117,118,119 et 331 dont elle était propriétaire

au 246 et 248 rue Carle Vernet et 2 rue Brascassat à Bordeaux.



Par un jugement n° 2005206 du

29 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.





Procédure devant la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Tandonnet Brascassat a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 mai 2020 par lequel la préfète de la Gironde a déclaré cessibles au profit de l'établissement public d'aménagement (EPA) Bordeaux Euratlantique les parcelles cadastrées BY 117,118,119 et 331 dont elle était propriétaire

au 246 et 248 rue Carle Vernet et 2 rue Brascassat à Bordeaux.

Par un jugement n° 2005206 du 29 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 août 2022, 16 juin

et 25 octobre 2023, 19 juillet et 5 août 2024, la SCI Tandonnet Brascassat, représentée par

la SCP Cornille-Fouchet-Manetti (Me Fouchet), demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 25 mai 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'EPA Bordeaux Euratlantique la somme

de 3 000 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la minute du jugement n'a pas été signée, en méconnaissance de l'article R.741-7 du code de justice administrative ;

- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré du défaut d'intérêt public de l'opération, présenté à l'encontre de l'arrêté de cessibilité ;

- le régime des opérations d'intérêt national (OIN) méconnaît les règles destinées

à promouvoir la protection de l'environnement et l'information comme la participation du public, en méconnaissance des articles 3 et 7 de la Charte de l'environnement et des articles 3 et 6 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement ; la Garonne étant classée Natura 2000 sur l'ensemble de son cours, la définition du périmètre de l'OIN, qui enjambe le fleuve, aurait dû faire l'objet

d'une évaluation environnementale et d'une consultation du public ; tant l'article L. 121-2 que l'article L. 121-9 du code de l'urbanisme méconnaissent l'article 3 et l'article 6 de la directive

n° 2001/42/CE du 27 juin 2001 en omettant de prévoir une telle procédure, si bien que le décret du 5 novembre 2009 délimitant le périmètre de l'OIN est dépourvu de base légale et l'arrêté de cessibilité, qui s'inscrit dans cette opération complexe, ne peut qu'être annulé par voie de conséquence ; les évaluations environnementales ultérieures n'ont pu pallier ce défaut alors qu'elles ont été faites par sous-secteur, sans analyse d'ensemble ; dans le silence des textes, le premier ministre aurait dû prévoir un tel cadre et a méconnu sa propre compétence en s'abstenant de le faire en édictant l'article R. 121-4-1 du code de l'urbanisme ;

- la déclaration d'utilité publique du 31 mars 2014 portant sur la zone d'aménagement concerté (ZAC) Saint-Jean Belcier, sur laquelle se fonde l'arrêté, est illégale :

* l'estimation sommaire des acquisitions à réaliser n'a pas été réellement précédée de l'avis du service des Domaines prévu à l'article R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques, puisque l'avis du 9 avril 2014 ne concerne pas l'ensemble des parcelles visées par la déclaration d'utilité publique (DUP), et notamment pas ses parcelles, qui sont classées en secteur UDc ; elle est sous-évaluée ; l'avis comporte une réserve dans le temps, estimant qu'une nouvelle consultation serait nécessaire si l'opération n'était pas réalisée dans un délai d'un an ; la sous-évaluation initiale des dépenses ne saurait être régularisée par la modification de la DUP en 2023 comme le suggère l'EPA, et un moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité de la DUP ne peut faire l'objet d'une régularisation à l'occasion d'un contentieux dirigé contre un arrêté de cessibilité ;

* le dossier d'enquête aurait dû comporter le rapport établi par le ministère de l'écologie avant l'édiction du décret du 5 novembre 2009 ; l'étude d'impact ne précise pas quels ont été les déterminants du périmètre retenu pour l'OIN ; le public n'a pas été informé comme prévu par l'article R. 122-5 du code de l'environnement, alors au surplus que l'étude d'impact ne prévoyait que peu d'évolution du sous-quartier " Carle Vernet " et que c'est la commission d'enquête, se fondant sur des informations non accessibles au public, qui a retenu la nécessité d'exproprier la SCI requérante pour un carrefour urbain crucial pour le projet ;

* l'étude d'impact est également lacunaire en ce qu'elle n'a pas analysé les effets cumulés du projet avec d'autres projets connus, pourtant lancés sur la commune de Floirac (quartier Palmer, quartier Davremont) et sur la Zac Garonne-Eiffel, la méthodologie de

l'article R. 122-5 du code de l'environnement n'étant pas respectée ;

* l'utilité publique n'est pas avérée : il n'est pas justifié que l'opération envisagée par la ZAC Saint-Jean Belcier n'aurait pu être menée sans recourir à l'expropriation, et que d'autres solutions aient été recherchées ; les inconvénients pour la propriété privée, qui se trouve expropriée dans l'intérêt de promoteurs privés, excèdent l'intérêt public allégué, alors que la qualité du bâti existant permet la mixité sociale et que les 29 boxes et garages dont elle est propriétaire sont nécessaires aux activités des artisans et commerçants du secteur ; en l'absence d'insalubrité des immeubles, qui justifie la procédure spéciale de l'article L. 511-1 et L. 511-9 du code de l'expropriation, il n'est pas possible d'exproprier des logements ;

* le projet de ZAC était contraire au principe de prévention acté par l'article L.110-1 du code de l'environnement en tant qu'il ne permet pas d'éviter des atteintes à l'environnement en conservant l'existant et en tant qu'il a des effets négatifs sur la santé humaine ;

* le coût réel n'est pas précisé et paraît disproportionné par rapport aux avantages allégués ;

* le conseil de l'environnement et du développement durable, qui émane du ministère de l'écologie, ne disposait pas de l'autonomie nécessaire pour rendre un avis conforme aux préconisations de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans sa décision

du 20 octobre 2011 Department of environment for Northern Ireland ; la procédure est donc entachée d'irrégularité ;

- la décision du 13 février 2019 prorogeant la validité de la DUP est également illégale :

* le secrétaire général ne pouvait la signer sans une délégation spécifiant cette matière ;

* le préfet aurait dû consulter l'autorité environnementale pour qu'elle examine, au cas par cas, si une nouvelle évaluation environnementale était nécessaire, notamment pour s'assurer que les effets cumulés du projet avec d'autres projets intervenus depuis la première DUP ne sont pas susceptibles d'affecter le site Natura 2000 ;

* la prorogation ne pouvait être décidée alors qu'une modification substantielle du coût du projet est apparue lorsque la sous-estimation, notamment de ses biens, a été révélée pour près d'un million d'euros ; la date de référence de 2010 a été abandonnée devant le juge de l'expropriation, qui a estimé les propriétés à la date de 2016 après la révision du PLU intervenue en 2015 ; le coût des aménagements et équipements des terrains de la ZAC n'est pas précisé ; la cour des comptes a relevé l'importance des provisions pour revalorisation des acquisitions ; l'équilibre financier étant bouleversé, la DUP ne pouvait être prorogée sans une nouvelle enquête publique ; l'EPA ne saurait faire valoir que la DUP modificative de

mars 2023 aurait régularisé l'erreur initiale sur l'appréciation des dépenses ;

* une modification substantielle résultait également du report du projet de ligne ferroviaire vers Dax et l'Espagne, qui remettait en cause l'ampleur du besoin de logements et bureaux, et l'utilité publique de la ZAC ;

* la mise à jour de l'étude d'impact le 30 avril 2021 révèle qu'une procédure de participation du public était lancée, avant la prorogation de 2019, pour la ZAC Garonne-Eiffel sur les territoires de Bordeaux et Floirac, dont l'impact devait donc être envisagé, alors que la société Clairsienne y prévoyait un programme de logements ;

* le choix de la durée maximale de prorogation de 5 ans est entaché d'erreur d'appréciation ;

- conjuguée à l'absence de notification de l'enquête parcellaire à la requérante et de tentative de renvoi du courrier par l'administration, la réception plus de six ans après la déclaration d'utilité publique d'un arrêté de cessibilité avec ordonnance d'expropriation viole le principe de sécurité juridique ;

- l'arrêté de cessibilité ne pouvait être signé par le secrétaire général, dont la délégation ne vise pas ce type de décisions ;

- les plans parcellaires et les états parcellaires annexés au dossier de l'enquête parcellaire étaient incomplets ; des parcelles n'étant expropriées que sur une partie de leur emprise, un document d'arpentage aurait dû être dressé préalablement pour modifier leur numérotation cadastrale ;

- la SCI n'a pas reçu notification régulière du dépôt du dossier en mairie, en méconnaissance de l'article R. 131-6 du code de l'expropriation, alors que le retour du pli avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse " imposait des recherches supplémentaires, et que d'ailleurs son adresse n'a pas changé ; à supposer qu'il faille alors se suffire d'un affichage en mairie, le premier certificat ne mentionne qu'une maison de quartier, et le second, produit tardivement devant le tribunal, porte sur une période différente et est signé par une autorité incompétente.

Par des mémoires en défense enregistrés les 14 novembre 2022, 19 juin et 24 octobre 2023 et 17 juillet 2024, l'EPA Bordeaux Euratlantique conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la SCI requérante à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré d'une illégalité de l'opération d'intérêt national est inopérant en l'absence d'opération complexe liant cette décision à l'arrêté de cessibilité ;

- la SCI n'est pas recevable à contester devant la cour le refus de transmission de la QPC qu'elle a soulevée ;

- les autres moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que la cour pourra vérifier la signature du jugement au dossier de première instance, et s'en remet pour le surplus aux observations du préfet devant le tribunal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu la décision 22BX02339-QPC du 13 juillet 2023 par laquelle la présidente de la deuxième chambre a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par la requérante sur les articles L.121-2 et L.121-9 du code de l'urbanisme ;

Vu :

- la Constitution ;

- la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de l'urbanisme ;

- le décret n°2009-1359 du 5 novembre 2009 ;

- le décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020 relatif à l'autorité environnementale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Catherine Girault,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gournay pour la SCI Tandonnet Brascassat, et de Me Rivoire pour l'EPA Bordeaux Euratlantique ;

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 31 mars 2014, la préfète de la Gironde a déclaré d'utilité publique, au profit de l'établissement public d'aménagement (EPA) Bordeaux Euratlantique, les travaux de réalisation de la zone d'aménagement concerté (ZAC) " Bordeaux Saint-Jean Belcier " créée

le 29 janvier 2013 sur près de 150 hectares autour de la gare, à l'intérieur du périmètre de l'opération " Bordeaux Euratlantique " déclarée d'intérêt national par décret du 5 novembre 2009. Par un nouvel arrêté préfectoral du 13 février 2019, cette déclaration d'utilité publique a été prorogée pour une durée de cinq ans jusqu'au 31 mars 2024. Le 4 juin 2019, une troisième enquête publique a été prescrite pour délimiter précisément, en vue d'une nouvelle phase opérationnelle, les parcelles à acquérir, laquelle s'est déroulée du 24 juin au 12 juillet 2019. Par arrêté

du 25 mai 2020, la préfète de la Gironde a déclaré cessibles au profit de l'établissement public d'aménagement Bordeaux Euratlantique un ensemble de parcelles, comprenant notamment les parcelles appartenant à la SCI Tandonnet Brascassat cadastrées section BY n° 117, 118, 119 et 331, situées 246 et 248 rue Carle Vernet sur le territoire de la commune de Bordeaux, lesquelles supportent deux maisons, 29 boxes et un garage-atelier. La SCI, qui a été expropriée par ordonnance du 19 juin 2020 du juge de l'expropriation, relève appel du jugement du 29 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de cessibilité en tant qu'il porte sur ses parcelles.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort du dossier de première instance que la minute du jugement a été signée par le président, la rapporteure et la greffière, conformément à l'article R 741-7 du code de justice administrative.

3. Le tribunal ayant relevé, au point 21 de son jugement concernant l'exception d'illégalité de la déclaration d'utilité publique (DUP), que les parcelles de la requérante étaient nécessaires à l'opération d'intérêt public, il n'a pas omis de statuer sur ce point, quand bien même il n'a pas réitéré la même appréciation en ce qui concerne le moyen identique soulevé sur les vices propres de l'arrêté de cessibilité.

4. Il résulte de ce qui précède que le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Sur l'exception d'illégalité du décret du 5 novembre 2009 fixant le périmètre de l'opération d'intérêt national Bordeaux Euratlantique :

5. Le décret du 5 novembre 2009 a ajouté à la liste des opérations d'intérêt national (OIN), alors fixée à l'article R. 121-4-1 du code de l'urbanisme, l'OIN Bordeaux Euratlantique dont il fixe le périmètre. La SCI fait valoir que, alors même que le législateur n'a pas prévu de procédure d'évaluation environnementale et de participation du public au stade de la fixation du périmètre d'une opération d'intérêt national, le premier ministre a méconnu l'étendue de sa compétence pour prévenir les atteintes à l'environnement et fixer les conditions de la participation du public à une décision. Elle fait valoir que la Garonne est classée Natura 2000 sur l'ensemble de son cours, et que l'OIN sur ses deux rives a nécessairement des conséquences sur l'environnement, ce qui impliquait de telles procédures pour respecter les articles 3 et 7 de la Charte de l'environnement, ainsi que les articles 3 et 6 de la directive 2001/42/CE.

6. Aux termes de l'article 2 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001, sont, pour son application, regardés comme des plans et programmes, les " plans et programmes, (...) : - élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d'une procédure législative, et - exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ". L'article 3 prévoit qu'une évaluation environnementale, qui doit, selon l'article 4, être effectuée " pendant l'élaboration du plan ou du programme et avant qu'il ne soit adopté ou soumis à la procédure législative ", est nécessaire " 2. pour tous les plans et programmes: a) qui sont élaborés pour les secteurs de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme, de l'aménagement du territoire urbain et rural ou de l'affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir ; ou b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE. (...) 4. Pour les plans et programmes, autres que ceux visés au paragraphe 2, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l'avenir, les Etats membres déterminent s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ". Par ailleurs, aux termes de l'article 1er de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, les projets sont définis comme : " - la réalisation de travaux de construction ou d'autres installations ou ouvrages, - d'autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l'exploitation des ressources du sol ; ".

7. Aux termes de l'article L. 122-4 du code de l'environnement, adopté notamment pour la transposition de l'article 3 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 : " I.- Pour l'application de la présente section, on entend par : / 1° " Plans et programmes " : les plans, schémas, programmes et autres documents de planification élaborés ou adoptés par l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les établissements publics en dépendant, ainsi que leur modification, dès lors qu'ils sont prévus par des dispositions législatives ou réglementaires, y compris ceux cofinancés par l'Union européenne ; / (...) II. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique : / 1° Les plans et programmes qui sont élaborés dans les domaines de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme ou de l'aménagement du territoire et qui définissent le cadre dans lequel les projets mentionnés à l'article L. 122-1 pourront être autorisés ; (...) / III. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas par l'autorité environnementale : / 1° Les plans et programmes mentionnés au II qui portent sur des territoires de faible superficie s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ; / 2° Les plans et programmes, autres que ceux mentionnés au II, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (...) ". L'article L. 122-5 du même code prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise notamment " 1° La liste des plans et programmes soumis à évaluation environnementale de manière systématique ou à un examen au cas par cas, en application des II et III de l'article L. 122-4 et les conditions de son actualisation annuelle ; / 2° Les conditions dans lesquelles, lorsqu'un plan ou programme relève du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 mais ne figure pas sur la liste établie en application du 1°, le ministre chargé de l'environnement décide, pour une durée n'excédant pas un an, de le soumettre à évaluation environnementale systématique ou à examen au cas par cas (...) ".

8. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 122-17 du même code fixe la liste des plans, schémas, programmes et autres documents de planification devant, systématiquement ou à la suite d'un examen au cas par cas, faire l'objet d'une évaluation environnementale au titre du II et du III de l'article L. 122-4 précité. Son III précise que : " Lorsqu'un plan ou un programme relevant du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 ne figure pas dans les listes établies en application du présent article, le ministre chargé de l'environnement, de sa propre initiative ou sur demande de l'autorité responsable de l'élaboration du projet de plan ou de programme, conduit un examen afin de déterminer si ce plan ou ce programme relève du champ de l'évaluation environnementale systématique ou d'un examen au cas par cas, en application des dispositions du IV de l'article L. 122-4. / L'arrêté du ministre chargé de l'environnement soumettant un plan ou un programme à évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas est publié au Journal officiel de la République française et mis en ligne sur le site internet du ministère chargé de l'environnement (...) ".

9. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts du 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a. (C-290/15), du 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (C-671/16), du 12 juin 2019, Terre Wallonne (C-321/18)

et du 25 juin 2020, A. e.a (Éoliennes à Aalter et à Nevele) (C-24/19), la notion de " plans et programmes " soumis à évaluation environnementale en application du paragraphe 2 de l'article 3 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 précitée se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la

directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés au paragraphe 4 de l'article 3, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement.

10. La qualification d'une opération comme d'intérêt national, si elle a des conséquences financières et transfère des compétences des collectivités territoriales aux autorités de l'Etat dans le périmètre qu'elle délimite, n'a ni pour objet, ni pour effet de définir un ensemble significatif de critères et de modalités devant être mis en œuvre par les autorités compétentes pour autoriser des projets, au sens de la directive, et ne constitue pas un plan ou un programme au sens de cette directive. Au demeurant, si la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 recommande, à son article 6, d'associer le public " à un stade précoce ", cette participation doit pouvoir s'appuyer sur un projet suffisamment défini. Or, si les objectifs d'une OIN sont arrêtés lors de sa création, les incidences sur l'environnement ne peuvent être encore appréciées en l'absence de programmes suffisamment déterminés à ce stade, et c'est précisément l'objet des procédures préalables à la déclaration d'utilité publique des ZAC que d'examiner les incidences sur l'environnement des travaux envisagés, sur lesquelles le public est amené à présenter ses observations au cours des enquêtes publiques, afin de prévenir, réduire ou compenser les atteintes susceptibles d'être portées à cet environnement. Dans ces conditions, le décret du 5 novembre 2009 et l'article R.121-4-1 du code de l'urbanisme ne méconnaissent ni la directive précitée, ni la Charte de l'environnement qui édicte les mêmes principes, et le moyen doit en tout état de cause être écarté.

Sur l'exception d'illégalité de l'arrêté du 31 mars 2014 portant déclaration d'utilité publique de la ZAC Saint-Jean Belcier :

11. L'arrêté de cessibilité, l'acte déclaratif d'utilité publique sur le fondement duquel il a été pris et la ou les prorogations dont cet acte a éventuellement fait l'objet constituent les éléments d'une même opération complexe. Dès lors, à l'appui de conclusions dirigées contre l'arrêté de cessibilité, un requérant peut utilement se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la DUP ou de l'acte la prorogeant, y compris des vices de forme et de procédure dont ils seraient entachés, quand bien même le requérant aurait vu son recours en excès de pouvoir contre la DUP ou l'acte la prorogeant, être rejeté.

S'agissant de la composition du dossier d'enquête publique :

En ce qui concerne l'estimation sommaire des dépenses :

12. Aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique alors applicable : " L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : (...) II.- Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi : (...) 4° L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser. (...). ". Aux termes de l'article R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales, alors applicable : " Dans le cas des acquisitions poursuivies par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, les dispositions de l'article R. 1211-3 du

code général de la propriété des personnes publiques sont applicables. ". Aux termes de

l'article R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques dans sa version applicable à l'instance : " En cas d'acquisition poursuivie par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, l'expropriant est tenu de demander l'avis du directeur départemental des finances publiques : 1° Pour produire, au dossier de l'enquête mentionnée à l'article L. 11-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'estimation sommaire et globale des

biens dont l'acquisition est nécessaire à la réalisation des opérations prévues au I et au II de l'article R. 11-3 du même code (...) ". L'obligation ainsi faite à l'autorité publique qui poursuit la déclaration d'utilité publique de travaux ou d'ouvrages a pour but de permettre à tous les intéressés de s'assurer que ces travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût total réel, tel qu'il peut être raisonnablement apprécié à l'époque de l'enquête, ont un caractère d'utilité publique. Toutefois, la seule circonstance que certaines dépenses auraient été omises n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la procédure si, compte tenu de leur nature, leur montant apparaît limité au regard du coût global de l'opération et ne peut être effectivement apprécié qu'au vu d'études complémentaires postérieures, rendant ainsi incertaine leur estimation au moment de l'enquête.

13. Il ressort des pièces du dossier que l'estimation sommaire des dépenses correspondant aux acquisitions liées au projet a été précédée d'un avis émis le 9 avril 2013 par France Domaine conformément à ces dispositions. La SCI Tandonnet Brascassat fait valoir pour la première fois en appel que ses parcelles, et l'ensemble du secteur Carle Vernet classé UDc, n'auraient pas été comprises dans le territoire soumis à cet avis. Toutefois, les documents figurant au dossier ne permettent pas de l'établir, et la circonstance que le juge de l'expropriation a substantiellement relevé en 2021 l'indemnité envisagée par l'EPA au profit de la SCI pour les 1 472 m² en litige n'est pas de nature à établir que l'appréciation sommaire des dépenses pour l'ensemble de la ZAC aurait été manifestement sous-évaluée. La circonstance que, par une formulation habituelle en la matière, le service des Domaines ait indiqué que l'avis donné correspondait à la valeur actuelle des biens, et qu'une nouvelle consultation serait nécessaire si l'opération n'était pas réalisée dans un délai d'un an, n'est pas de nature à retirer son utilité à l'estimation en cause, et aucune disposition n'imposait à l'administration de procéder à une nouvelle saisine. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient la requérante, le coût des travaux d'aménagement de la ZAC a été inclus dans l'estimation soumise à enquête publique.

En ce qui concerne l'état parcellaire :

14. Le dossier comportait également, contrairement à ce qui est soutenu, des plans parcellaires et un état parcellaire identifiant les parcelles de la requérante comme incluses dans le projet.

En ce qui concerne l'étude d'impact :

15. Aux termes de l'article L. 122- 1 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I. ' Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. / II. ' Lorsque ces projets concourent à la réalisation d'un même programme de travaux, d'aménagements ou d'ouvrages et lorsque ces projets sont réalisés de manière simultanée, l'étude d'impact doit porter sur l'ensemble du programme. Lorsque la réalisation est échelonnée dans le temps, l'étude d'impact de chacun des projets doit comporter une appréciation des impacts de l'ensemble du programme. Lorsque les travaux sont réalisés par des maîtres d'ouvrage différents, ceux-ci peuvent demander à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement de préciser les autres projets du programme, dans le cadre des dispositions de l'article L. 122-1-2. / Un programme de travaux, d'aménagements ou d'ouvrages est constitué par des projets de travaux, d'ouvrages et d'aménagements réalisés par un ou plusieurs maîtres d'ouvrage et constituant une unité fonctionnelle. / (...) ".

16. L'opération d'intérêt national Bordeaux Euratlantique comporte quatre ZAC, dénommées respectivement " Saint Jean Belcier " autour de la gare, intégralement en rive gauche de la Garonne, " Garonne Eiffel " exclusivement en rive droite sur les communes de Bordeaux et Floirac, Bègles Garonne et Bègles Faisceau, toutes deux au sud de la première en rive gauche. La première à être déclarée d'utilité publique était celle de Saint Jean Belcier, le 31 mars 2014. Alors que les autres ZAC pouvaient faire l'objet d'une définition et d'une réalisation autonomes, laquelle serait nécessairement différée au regard des délais d'approbation, elles ne pouvaient être regardées comme concourant à la réalisation d'un même programme au sens de ces dispositions, et l'étude d'impact n'avait pas à les prendre en compte.

17. Aux termes de l'article R.122-5 du code de l'environnement, dans sa version applicable : II.- L'étude d'impact présente : 1° Une description du projet comportant des informations relatives à sa conception et à ses dimensions (...) 4° Une analyse des effets cumulés du projet avec d'autres projets connus. Ces projets sont ceux qui, lors du dépôt de l'étude d'impact : -ont fait l'objet d'un document d'incidences au titre de l'article R. 214-6 et d'une enquête publique ; -ont fait l'objet d'une étude d'impact au titre du présent code et pour lesquels un avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement a été rendu public. (...). L'article R. 123-8 indique : " Le dossier soumis à l'enquête publique comprend les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet, plan ou programme. Le dossier comprend au moins :1° Lorsque le projet fait l'objet d'une évaluation environnementale :a) L'étude d'impact et son résumé non technique(...) 3° La mention des textes qui régissent l'enquête publique en cause et l'indication de la façon dont cette enquête s'insère dans la procédure administrative relative au projet, plan ou programme considéré, ainsi que la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de l'enquête et les autorités compétentes pour prendre la décision d'autorisation ou d'approbation (...) . "

18. L'étude d'impact de la ZAC comporte une présentation détaillée du projet, qui informe le public sur sa conception et ses dimensions. Elle n'avait pas à citer ni à joindre le rapport qui a précédé la définition du périmètre de l'OIN. Elle a recherché les projets correspondant aux conditions prévues à l'article R. 122-5 précité pour analyser les effets cumulés de plusieurs projets, et en a identifié trois, le réaménagement de l'espace Saint-Michel, une mûrisserie de bananes à proximité du marché d'intérêt national Brienne, et l'extension des lignes de tramways A, B et C. Elle a pris en compte les effets cumulés avec ces projets, et également avec le pont Jean-Jacques Bosc, renommé aujourd'hui Simone Veil, qu'elle a regardé comme indissociable de la ZAC en cause. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas de la terminologie employée par l'étude d'impact que ses auteurs se seraient bornés à analyser l'impact de la ZAC sur ces projets au lieu d'envisager leurs effets cumulés. Si la SCI requérante soutient que d'autres projets étaient connus et auraient dû faire l'objet d'un examen de leurs effets cumulés, elle ne démontre pas qu'ils auraient rempli, à la date de la DUP en cause, les conditions posées par les dispositions précitées. Enfin, si le projet a ensuite évolué à la suite de l'enquête publique, cette circonstance postérieure ne saurait caractériser une insuffisance de l'étude d'impact. Dans ces conditions, le dossier d'enquête n'est pas entaché d'une insuffisance sur ce point.

En ce qui concerne l'absence du rapport préalable à la détermination du périmètre

de l'OIN :

19. Ni les dispositions de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation, ni celles de l'article R.123-8 du code de l'environnement ne prévoient que le dossier d'enquête devrait comporter une telle pièce, alors au demeurant que l'étude d'impact de la ZAC explique l'opération et son positionnement au sein de l'OIN. Le moyen doit donc être écarté comme inopérant.

S'agissant de l'avis de l'autorité environnementale :

20. Aux termes de l'article L. 122-7 du code de l'environnement : " La personne publique responsable de l'élaboration d'un plan ou d'un document transmet pour avis à une autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement le projet de plan ou de document élaboré en application de l'article L. 122-4, accompagné du rapport environnemental. ". Aux termes de l'article R. 122-6 de ce code : " (...) II.- L'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1 est la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable : 1° Pour les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements qui donnent lieu à une décision du ministre chargé de l'environnement ou à un décret pris sur son rapport (...) ".

21. Il ressort des pièces du dossier que l'avis requis par l'article L. 122-7 du code de l'environnement a été émis le 13 juin 2012 par l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, autorité indépendante siégeant à Paris, laquelle, contrairement à ce que soutient la requérante, ne saurait être regardée du fait qu'une partie de ses membres sont désignés par le ministre de la transition écologique comme ne disposant pas, à l'égard de la préfète de la Gironde, d'une autonomie effective lui permettant d'exercer la mission de consultation en matière environnementale qui lui est dévolue par l'article R. 122-6 du même code.

S'agissant de l'utilité publique de l'opération :

22. Il appartient au juge, lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente. Il lui appartient également, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.

23. Le tribunal a rappelé que les travaux de réalisation de la ZAC, qui relèvent par ailleurs d'une opération déclarée d'intérêt national, visent à tirer parti des importantes potentialités foncières issues de friches ferroviaires et industrielles du secteur afin de créer un nouveau centre urbain autour de la gare et aux abords du centre historique de la ville de Bordeaux, à développer une offre diversifiée de 296 000 m² de logements en réponse au fort accroissement de sa population, et à créer un pôle tertiaire d'envergure nationale et européenne en lien avec l'arrivée de la ligne à grande vitesse reliant la ville à Paris et représentant 296 000 m² de bureaux, qui seront également desservis par des équipements culturels, sportifs, scolaires, de commerce et d'activités à hauteur de 148 000 m². Il en ressort également que le projet prend en compte les quartiers d'habitat et le bâti existant, dont il prévoit la mise en valeur, qu'il permet de restaurer le lien de ces quartiers avec la Garonne, qu'il prévoit l'aménagement de 12 hectares d'espaces verts ainsi que la poursuite de la mise en place de liaisons douces et la gestion de sites pollués.

24. Il a relevé en outre, qu'eu égard au vaste potentiel foncier mobilisable offert par les friches ferroviaires et industrielles du secteur concerné, les acquisitions d'habitations et les délocalisations d'entreprises ont été limitées aux nécessités de la restructuration du quartier et de l'implantation d'équipements publics. Il ressort ainsi du rapport de la commission d'enquête que les expropriations portent seulement sur trois emplacements, le premier correspondant au secteur situé entre la rue du Commerce, la rue Cabanac et le quai de Paludate, actuellement dominé par des établissements de nuit et déserté la journée, le deuxième correspondant à l'angle formé par le quai de Brienne, la rue Carle Vernet et le Boulevard des Frères Mogat, qui correspond à un carrefour stratégique pour l'usage public et qui impose la relocalisation de deux sociétés de distribution de matériaux, et le troisième correspondant au triangle formé à l'angle du marché d'intérêt national (MIN) par les rues Beck, Vernet, Armagnac, qui comporte quelques maisons basses encerclées par des voies de circulation, comme celles de la SCI requérante, devant laisser place à un nouveau carrefour urbain crucial pour le projet et à un marché Bio public, le reste du quartier Vernet étant pour sa part préservé et valorisé.

25. Enfin il a souligné que le coût du projet a été estimé à 320 millions d'euros, que le plus gros poste de dépenses concerne les équipements publics et voiries publiques, le nouveau pont reliant les quartiers Amédée et Armagnac et la dépollution des sols orphelins, et que 70 % du coût du projet en investissement sera financé par les recettes liées à la vente du foncier et aux participations d'urbanisme, le reste du financement étant apporté par des acteurs publics tiers qui se sont engagés en ce sens.

26. Pour contester cette présentation de l'intérêt général, la SCI requérante fait valoir que le sous-quartier Carle Vernet n'est pas une friche industrielle ou ferroviaire, mais un ensemble mixte de maisons et de logements collectifs, au sein duquel se trouvent les quatre petits logements qu'elle donne en location, dont deux à disposition de ses associés. Toutefois cette qualification n'exclut pas l'utilité générale, dans le cadre du projet, d'un plus grand développement d'une offre de logements diversifiée au sein d'un centre urbain densifié, ce qui permettra, avec 35 % de logements sociaux, de contribuer au rééquilibrage de l'offre au sein de la ville de Bordeaux, laquelle n'atteignait pas le seuil de 25 % de logements sociaux fixé par l'article 55 de la loi SRU. Par ailleurs, l'utilité pour les artisans du secteur des 29 boxes à usage de garages ou stockage ne fait pas obstacle à ce que des installations de plus grandes dimensions incluent des réponses aux besoins de stationnement et de stockage des habitants et artisans du quartier. La SCI ne peut sérieusement faire valoir la qualité du bâti sur ses parcelles, qui n'apparait pas représenter

un intérêt architectural particulier au regard des photographies produites, quand bien même

les bâtiments seraient en bon état et aux normes. Si le code de l'expropriation a prévu, aux

articles L. 511-1 et suivants, une procédure spécifique pour les immeubles insalubres et l'habitat indigne, il n'interdit pas par ailleurs l'expropriation de logements qui ne présenteraient pas ces caractéristiques, et dès lors que cette expropriation répond à une utilité publique et est assortie d'une juste et préalable indemnité, elle ne saurait méconnaître l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

27. Par ailleurs, la circonstance que les biens de la SCI aient été revendus à une société d'HLM, déjà gestionnaire d'ensembles locatifs sociaux à proximité, et que celle-ci y prévoit la création de 50 logements familiaux, ne démontre pas que l'opération ait en réalité pour effet, voire pour objet, d'enrichir des promoteurs privés comme le soutient la SCI requérante, alors même que d'autres parcelles ont été revendues à des promoteurs pour permettre le développement des surfaces à créer.

28. Enfin, si la SCI invoque un risque pour la santé humaine que le projet aurait omis de prévenir, réduire ou compenser en méconnaissance de l'article L.110-1 du code de l'environnement, elle n'apporte aucune précision utile au soutien de ce moyen, alors que l'étude d'impact a présenté les mesures de nature à éviter, réduire ou compenser les atteintes à l'environnement.

29. Dans ces conditions, les atteintes à la propriété privée que comporte la DUP ne sont pas excessives au regard des avantages économiques, sociaux et environnementaux qui en sont attendus, et les parcelles appartenant à la requérante étant nécessaires à cette opération, le moyen tiré d'une disproportion dans l'atteinte à sa propriété ne peut qu'être écarté.

Sur l'exception d'illégalité de l'arrêté du 13 février 2019 prorogeant la durée de la

déclaration d'utilité publique :

30. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. Thierry Suquet, secrétaire général de la préfecture, bénéficiait, par arrêté du 25 janvier 2019 régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour, d'une délégation générale, laquelle n'avait pas besoin d'énumérer toutes les décisions concernées dès lors qu'elle se bornait à exclure certaines catégories de décisions qu'elle précisait, au nombre desquelles ne figure pas la décision en litige. Il était donc compétent pour signer l'arrêté de prorogation au nom de la préfète de la Gironde.

31. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Un acte pris dans la même forme peut proroger une fois les effets de la déclaration d'utilité publique pour une durée au plus égale à la durée initialement fixée lorsque celle-ci n'est pas supérieure à cinq ans. Cette prorogation peut être accordée sans nouvelle enquête préalable, en l'absence de circonstances nouvelles. (...) ".

32. La requérante soutient que le projet aurait été substantiellement modifié tant d'un point de vue financier que technique par rapport au projet dont l'utilité publique a initialement été déclarée, et produit pour la première fois en appel le rapport de la Cour des comptes délibéré

le 10 juin 2020 sur la gestion de l'EPA pour les exercices 2013 à 2019. Si ce rapport fait état de la passation d'importantes provisions en 2015, 2016, 2017 et 2019 pour couvrir la revalorisation des coûts d'acquisitions due à la prise en compte par le juge de l'expropriation d'anticipations haussières du marché immobilier, il ne remet pas en cause la possibilité d'atteindre un bilan positif au terme des opérations de réalisation de la ZAC vers 2030, alors que la croissance des recettes a suivi celle des dépenses. Dans ces conditions, et en l'absence de modification substantielle démontrée du programme envisagé, qui ne saurait résulter du lancement du projet, distinct, de la ZAC Garonne-Eiffel, cette actualisation des coûts ne constituait pas une circonstance nouvelle de nature à nécessiter une nouvelle enquête publique. La circonstance que la réalisation de la branche Sud du projet de LGV se dirigeant vers l'Espagne ait été reportée n'est pas de nature à remettre en cause l'utilité de l'ampleur du projet de ZAC, et n'était donc pas davantage de nature à justifier une nouvelle enquête, alors que le projet ferroviaire au Sud de Bordeaux fait l'objet d'autorisations autonomes.

33. En troisième lieu, la SCI n'apporte pas d'éléments de nature à justifier que la simple prorogation dans le temps de la DUP aurait en elle-même une incidence notable sur l'environnement de nature à nécessiter une nouvelle évaluation environnementale, ou que la prise en compte d'autres projets intervenus entretemps l'aurait nécessitée.

34. En quatrième lieu, le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur la durée retenue par le pouvoir réglementaire pour proroger les effets de la décision déclarant certains travaux d'utilité publique. En l'espèce, eu égard à l'importance du projet, et surtout à la circonstance que des solutions d'acquisitions amiables ont été prioritairement recherchées, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Gironde aurait commis une erreur d'appréciation ou porté atteinte au principe de sécurité juridique en prorogeant la déclaration d'utilité publique pour une durée de cinq ans, la circonstance qu'il s'agisse de la durée maximum autorisée étant sans incidence sur cette appréciation.

Sur les vices propres de l'arrêté de cessibilité :

S'agissant de la compétence du signataire de l'arrêté contesté :

35. Par arrêté du 12 novembre 2019 régulièrement publié au recueil des actes administratifs du 14 novembre 2019, la préfète de la Gironde a donné délégation à M. Thierry Suquet, secrétaire général de la préfecture, pour signer tous les actes relevant des compétences de l'Etat dans le département, en excluant certaines décisions au nombre desquelles ne figurent pas les arrêtés de cessibilité. Cette délégation était suffisamment précise et n'avait pas à spécifier en particulier les actes relatifs à une procédure d'expropriation, contrairement à ce qui est soutenu. Par suite, le moyen tiré d'une incompétence du signataire de l'arrêté de cessibilité

du 25 mai 2020 ne peut qu'être écarté.

S'agissant de la procédure préalable :

36. En premier lieu, aux termes de l'article R.131-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " I. - Lorsque les communes où sont situés les immeubles à exproprier se trouvent dans un seul département, l'expropriant adresse au préfet du département, pour être soumis à l'enquête dans chacune de ces communes, un dossier comprenant : 1° Un plan parcellaire régulier des terrains et bâtiments ; 2° La liste des propriétaires établie à l'aide d'extraits des documents cadastraux délivrés par le service du cadastre ou à l'aide des renseignements délivrés par le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques, au vu du fichier immobilier ou par tous autres moyens. (...) ".

37. Comme l'a relevé le tribunal, il ressort de la page 5 du rapport du commissaire enquêteur que le dossier mis à l'enquête publique était composé d'un sommaire, de trois plans et de trois états parcellaires de 117 pages au total correspondant à chacun des trois secteurs concernés par l'enquête, dont celui intitulé Cav Cop où sont situées les parcelles de la SCI. La requérante n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'incomplétude des plans et listes mis à la disposition du public en se bornant à soutenir qu'" il y a fort à supposer " que l'état parcellaire était incomplet, et que le rapport du commissaire enquêteur qui lui a été transmis en réponse à sa demande de communication ne comportait que deux de ces trois plans et seulement 54 de ces 117 pages. Les parcelles de la SCI sont bien identifiées à l'état parcellaire fourni comme " dossier de l'enquête publique " en première instance, et rien ne permet d'établir que ces documents ne seraient pas ceux qui ont été effectivement soumis à l'enquête publique. Le moyen tiré de ce que le dossier d'enquête parcellaire ne respecterait pas les exigences précitées de l'article R. 131-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut donc qu'être écarté.

38. En deuxième lieu, l'article R. 131-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose : " Notification individuelle du dépôt du dossier à la mairie est faite par l'expropriant, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, aux propriétaires figurant sur la liste établie conformément à l'article R. 131-3, lorsque leur domicile est connu d'après les renseignements recueillis par l'expropriant ou à leurs mandataires, gérants, administrateurs ou syndics. En cas de domicile inconnu, la notification est faite en double copie au maire, qui en fait afficher une, et, le cas échéant, aux locataires et aux preneurs à bail rural. ". Il résulte de ces dispositions que l'expropriant doit notifier, sous pli recommandé, le dépôt

du dossier d'enquête parcellaire aux propriétaires figurant sur la liste mentionnée au 2° de

l'article R. 131-3, et dont le domicile est connu d'après les renseignements qu'il a pu recueillir auprès du service du cadastre ou du conservateur des hypothèques ou par tout autre moyen. Ces dispositions n'imposent pas à l'expropriant de procéder à de nouvelles recherches lorsque l'avis de réception de la notification effectuée au domicile ainsi déterminé ne lui est pas retourné dans le délai normal d'acheminement, l'affichage en mairie se substituant alors régulièrement à la formalité de la notification individuelle.

39. En l'espèce, le pli adressé à la SCI, comme aux 107 autres propriétaires concernés par l'arrêté de cessibilité, est revenu avec la mention " " Destinataire inconnu à l'adresse ", bien que l'adresse utilisée soit celle qui était connue de l'administration, et figurant sur l'extrait K bis de la SCI. Une telle mention est, contrairement à ce que soutient la requérante, équivalente à celle indiquant " n'habite pas à l'adresse indiquée ". Dans ces conditions, l'EPA n'était pas tenu de procéder à des recherches complémentaires. La SCI n'ayant pas informé l'EPA de l'existence de locataires, elle ne saurait se plaindre que ceux-ci n'aient pas reçu non plus de courriers. L'affichage en mairie, qui est suffisamment établi par le constat du commissaire enquêteur et les attestations versées au dossier, que notamment M. A..., adjoint au directeur des affaires juridiques, avait compétence pour signer en vertu d'une délégation du maire du 13 mars 2019, permet ainsi de regarder la procédure comme régulière.

40. Il résulte des dispositions de l'article R. 132-4 du code de l'expropriation et de

l'article 7 du décret du 14 octobre 1955 que, lorsqu'un arrêté de cessibilité déclare cessibles des parties de parcelles, ce qui implique de modifier les limites des terrains concernés, un document d'arpentage doit être préalablement réalisé afin que l'arrêté de cessibilité désigne les parcelles concernées conformément à leur numérotation issue de ce document. Le défaut d'accomplissement de cette obligation, qui constitue une garantie pour les propriétaires concernés par la procédure d'expropriation, entache d'irrégularité l'arrêté de cessibilité.

41. La société requérante n'apporte pas davantage en appel qu'en première instance d'élément démontrant que la cessibilité partielle d'une de ses parcelles aurait été prononcée. Elle ne peut utilement se prévaloir de ce que le dossier soumis à l'enquête montre qu'il était envisagé une cessibilité partielle des parcelles DL n°s 41, 42 et 43, qui ne lui appartiennent pas et n'ont pas été affectées in fine par l'arrêté de cessibilité attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce qu'aucun document d'arpentage n'aurait été préalablement réalisé en méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

S'agissant du contenu de l'arrêté :

42. L'article L. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que : " L'autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique. Elle en établit la liste, si celle-ci ne résulte pas de la déclaration d'utilité publique. "

43. Le tribunal n'a pas fait une inexacte interprétation de ces dispositions en relevant qu'elles n'imposent nullement que dans une telle hypothèse, la décision attaquée précise expressément qu'aucun droit réel immobilier n'est concerné. Il a constaté que l'arrêté déclare cessibles des parcelles. En l'absence de mention de droits réels immobiliers, il apparaît que l'arrêté n'a pas entendu permettre l'expropriation de droits réels immobiliers, et le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par défaut de précision ne peut qu'être écarté.

44. Enfin, la SCI requérante n'est pas fondée à soutenir que ses parcelles, quand bien même elles étaient construites, ne seraient pas nécessaires à l'opération, alors notamment que leur expropriation permet de contribuer à la réalisation de l'objectif de diversification de l'offre de logements et de densification de l'habitat dans cette partie de l'agglomération.

45. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Tandonnet Brascassat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

46. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat ou de l'EPA, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

47. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par l'établissement public d'aménagement Bordeaux Euratlantique et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCI Tandonnet Brascassat est rejetée.

Article 2 : La SCI Tandonnet Brascassat versera une somme de 3 000 euros à l'EPA Bordeaux Euratlantique au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Tandonnet Brascassat, à l'EPA Bordeaux Euratlantique et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. Copie en sera adressée pour information au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.

La présidente-assesseure,

Anne Meyer

La présidente, rapporteure

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02339


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02339
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SCP CORNILLE - POUYANNE-FOUCHET

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;22bx02339 ?
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