Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17 juin 2022, 11 octobre 2022, 14 septembre 2023, 13 octobre 2023 et 4 décembre 2023, la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 19 avril 2022 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de faire droit à sa demande d'autorisation environnementale en vue de l'implantation d'un parc éolien constitué de six aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Saint-Pierre-La-Noue, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
2°) d'ordonner avant-dire droit à la ministre de la transition écologique de produire tout justificatif relatif à la création ou l'existence d'une gêne avérée pour le radar de Rochefort ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Charente-Maritime de reprendre sans délai l'instruction de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux est entaché d'un défaut de motivation en ce qu'il se borne à s'en remettre à l'avis défavorable émis par le ministre des armée le 17 février 2022 qui est lui-même insuffisamment motivé ; le radar de Rochefort n'étant pas implanté, ses caractéristiques ne sont pas connues ; par ailleurs, le ministre avait émis, le 13 avril 2011, un avis favorable à l'installation d'un polygone d'étude géographique sur le territoire de la commune de Saint-Pierre-La-Noue pour une hauteur d'éolienne de 180 mètres ; le secret de la défense nationale ne saurait faire obstacle à l'obligation pour l'administration de motiver sa décision, sous peine de priver les sociétés souhaitant développer un projet éolien d'un accès à un tribunal, protégé par le premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté litigieux et l'avis de la ministre des armées sont entachés d'une erreur de droit dès lors qu'ils se fondent sur les critères de la " posture permanente de sûreté " dont le cadre est précisé par l'instruction n° 1050/DSAE/DIRCAM du 18 juin 2021 relative aux traitements des dossiers obstacles, instruction qui n'a pas été publiée, dont les éléments qui ne constituent pas de simples lignes directrices ne sont pas repris dans l'avis défavorable de la ministre des armées ou ses annexes et qui a été abrogée par une décision du 2 juin 2022 ; en outre, en méconnaissance de cette instruction, la ministre des armées a fondé son avis défavorable sur la seule circonstance que le projet serait en inter visibilité avec le radar de Rochefort sans procéder à une étude de faisabilité du projet ;
- l'avis de la ministre des armées et l'arrêté litigieux sont entachés d'une erreur d'appréciation quant à la gêne que représenterait le projet pour le radar de Rochefort qui n'est pas démontrée par l'administration ; subsidiairement, il y aurait lieu pour la cour d'ordonner à la ministre de la transition écologique de produire les éléments pertinents établissant la gêne alléguée ;
- la décision de rejet du recours gracieux est entachée des mêmes illégalités.
Par des mémoires en défense enregistrés les 23 août 2023, 13 octobre 2023 et 29 novembre 2023, le préfet de la Charente-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 19 avril 2022 est inopérant compte tenu de la situation de compétence liée dans laquelle il se trouvait pour édicter cette décision ;
- l'avis favorable émis par le ministre de la défense le 13 avril 2011 n'a pas de valeur juridique, portait sur un projet différent et a été émis en considération d'un environnement qui a évolué ;
- l'arrêté litigieux n'est pas fondé sur l'instruction n° 1050 du 16 juin 2021 qui ne fournissait que des lignes directrices de sorte que le moyen tiré de ce qu'il serait dépourvu rétroactivement de base légale du fait de l'abrogation de cette instruction est inopérant ;
- le secret de la défense nationale fait obstacle à la communication de l'ensemble des éléments demandés par la société requérante ;
- les autres moyens soulevés par la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 20 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 décembre 2023 à 12h00.
Un mémoire présenté par le ministre des armées a été enregistré le 25 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code de l'environnement ;
- le code des transports ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kolia Gallier,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Rochard, représentant la SAS Ferme éolienne de Saint-Pierre La Noue, de Mme A..., représentant le préfet de la Charente-Maritime et de Mme B... représentant le ministre des armées.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 19 avril 2022, le préfet de la Charente-Maritime a refusé à la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue la délivrance d'une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'un parc éolien sur la commune de Saint-Pierre-La-Noue. La société a formé un recours gracieux contre cet arrêté qui a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par l'administration. La société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue demande l'annulation de ces décisions.
2. Aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : / 1° Le ministre chargé de l'aviation civile : / a) Pour ce qui concerne les radars primaires, les radars secondaires et les radiophares omnidirectionnels très haute fréquence (VOR), sur la base de critères de distance aux aérogénérateurs ; / b) Pour les autres aspects de la circulation aérienne, sur tout le territoire et sur la base de critère de hauteur des aérogénérateurs. / Ces critères de distance et de hauteur sont fixés par un arrêté des ministres chargés des installations classées et de l'aviation civile ; / 2° Le ministre de la défense, y compris pour ce qui concerne les radars et les radiophares omnidirectionnels très haute fréquence (VOR) relevant de sa compétence (...) ". L'article R. 244-1 du code de l'aviation civile, alors applicable, dispose : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. (...) ". L'article R. 181-34 du code de l'environnement prévoit : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet e se conformer est défavorable (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement : " L'installation est implantée de façon à ne pas perturber de manière significative le fonctionnement des radars utilisés dans le cadre des missions de sécurité météorologique des personnes et des biens et de sécurité à la navigation maritime et fluviale. / En outre, les perturbations générées par l'installation ne remettent pas en cause de manière significative les capacités de fonctionnement des radars et des aides à la navigation utilisés dans le cadre des missions de sécurité à la navigation aérienne civile et les missions de sécurité militaire. (...) "
3. Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente pour délivrer une autorisation unique doit, lorsque l'installation envisagée est susceptible de constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison de son emplacement et de sa hauteur, saisir le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense et que cette autorité est tenue, à défaut d'accord de l'un des ministres dont l'avis est ainsi requis, de refuser l'autorisation demandée.
4. La ministre des armées ayant émis un avis défavorable au projet de la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue le 17 février 2022, le préfet de la Charente-Maritime était en situation de compétence liée pour opposer un refus à sa demande d'autorisation environnementale. Les moyens tirés de ce que l'arrêté du 19 avril 2022 serait entaché d'un défaut de motivation, d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation doivent, par suite, être écartés comme inopérants.
5. Si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
6. L'avis défavorable émis par la ministre des armées le 17 février 2022 fait référence à l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile et indique que le projet est de nature à remettre en cause les missions des forces armées dès lors qu'il se situe à moins de 25 km du radar militaire de Rochefort, que les éoliennes peuvent générer des perturbations de nature à dégrader la qualité de la détection et l'intégrité des informations transmises par les radars, de telles perturbations devant être réduites au minimum pour la sécurité des vols et dans le cadre de la posture permanente de sûreté. L'avis précise à cet égard que le projet est en intervisibilité simple du seul radar de Rochefort et qu'il représente une gêne avérée pour la détection. Dans ces conditions, l'avis du 17 février 2022 mentionne les éléments de droit et de fait sur lesquels il repose et le moyen tiré de son défaut de motivation doit être écarté.
7. Il ne ressort pas des termes de l'avis de la ministre des armées émis le 17 février 2022 que celui-ci serait fondé sur l'instruction n° 1050/DSAE/DIRCAM du 18 juin 2021 relative aux traitements des dossiers obstacles. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise la ministre des armées en se fondant sur cette instruction doit être écarté.
8. Il résulte des éléments produits au dossier par le préfet de la Charente-Maritime et en particulier de l'analyse technique de la brigade aérienne de la posture permanente de sûreté air du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes que la faisabilité du projet a été étudiée avant que la ministre des armées n'émette un avis défavorable au projet le 17 février 2022. Le moyen tiré de ce que l'étude de faisabilité prévue par l'instruction du 18 juin 2021relative aux traitements des " dossiers obstacles " n'aurait pas été effectuée ne peut, dans ces conditions, qu'être écarté comme manquant en fait.
9. Il résulte de l'instruction, en particulier de la note technique de la brigade aérienne de la posture permanente de sûreté air du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes produite par l'administration, que le projet éolien de la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue sera en intervisibilité électromagnétique avec le radar militaire de Rochefort dont il sera de nature à dégrader les performances, ce qui constitue un risque non acceptable dans le cadre de la posture permanente de sûreté air. En effet, les aérogénérateurs, d'une hauteur de 200 mètres, seraient situés à une distance du radar comprise entre 24 et 26 kilomètres et seraient détectables par celui-ci sur une hauteur de 183 à 198 mètres. La note technique de la brigade aérienne de la posture permanente de sûreté air fait en particulier état de l'analyse de l'incidence de l'intervisibilité électromagnétique, réalisée grâce à un outil de calcul dédié, pour les éoliennes n° 1 et n° 4 du projet, dont il est indiqué qu'elles sont représentatives de l'ensemble du parc. Le préfet précise, par ailleurs, que les interférences qui seraient générées par le projet de la société pétitionnaire ne pourraient être compensées par le radar de Cognac. La société requérante n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les éléments techniques fournis par l'administration. Au regard de ces éléments, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre des armées aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que le projet de parc éolien en cause était susceptible de perturber les capacités de détection du radar militaire de Rochefort.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire droit à l'administration de produire de nouveaux éléments, que la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 19 avril 2022 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de faire droit à sa demande d'autorisation environnementale, ni celle de la décision rejetant son recours gracieux. Sa requête doit, par suite, être rejetée en toutes ses conclusions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne de Saint-Pierre-La-Noue, au ministre des armées et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
Kolia GallierLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22BX01647 2