Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... veuve E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 1er juillet 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité (CRI) a rejeté une demande de pension militaire d'invalidité présentée par M. E....
Par un jugement n° 2003930 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 septembre 2022, 13 avril 2023
et 13 juin 2023, Mme C..., représentée par Me Geny, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 6 janvier 2020 refusant le bénéfice de la pension militaire d'invalidité à M. E..., ensemble la décision de rejet du 1er juillet 2020 rejetant son recours administratif préalable obligatoire auprès de la CRI ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées d'octroyer la pension militaire d'invalidité à M. E..., avec versement des arrérages à compter du rejet de sa demande, et les intérêts moratoires et capitalisés à compter du 1er juillet 2020 ;
4°) de mettre solidairement à la charge de la ministre des armées et du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable, le délai d'appel étant augmenté de deux mois pour les personnes demeurant à l'étranger ; le lien marital est établi avec M. E... ;
- M. E... a souffert de plusieurs pathologies cardiaques, pulmonaires, rhumatismales et neurologiques imputables à l'exécution de ses services en Indochine ;
- les premiers juges, ainsi que la ministre des armées, ont commis une erreur de droit en rejetant la demande de pension militaire d'invalidité de M. E... au seul motif qu'il est décédé avant d'avoir pu être examiné par le médecin expert, conformément aux dispositions de l'article R. 151-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, sans avoir procédé à l'examen des pièces d'ordre médical versées à l'appui de sa demande ;
- les premiers juges, ainsi que la ministre des armées, ont commis une erreur d'appréciation en déniant tout lien de causalité entre les pathologies dont souffrait M. E... et ses services en Indochine, alors que les certificats médicaux versés au dossier démontrent l'imputabilité au service des pathologies dont il souffrait ; les pièces médicales fournies par M. E... mettent en évidence une blessure par des plaies balistiques au niveau de la cuisse droite subie dans le cadre de son service, cette blessure a conduit à sa paraplégie ; avant son service en Indochine, il souffrait d'une pathologie physique qui s'est aggravée en raison de blessures notamment par balles survenues à l'occasion de ses fonctions ;
- dans l'hypothèse où la cour aurait des doutes sur l'imputabilité au service des pathologies de M. E..., il y a lieu d'ordonner une expertise sur pièces permettant d'établir cette imputabilité ;
- le moyen tiré par le ministre de ce que le lien marital entre Mme C... et M. E... n'est pas établi avec certitude présente un caractère diffamant et il y a lieu pour la cour d'apprécier l'opportunité d'enjoindre au ministre de l'économie et des finances de le retirer de ses écritures.
Par un mémoire en défense enregistré 11 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- à titre principal, la requête d'appel de Mme C... a été déposée
le 13 avril 2023, après l'expiration du délai de recours de deux mois prévu par l'article
R. 811-2 du code de justice administrative, délai qui lui est applicable dès lors qu'elle a élu domicile à Bordeaux au cabinet de son avocat, Me Geny ; elle est ainsi irrecevable ;
- Mme C... ne justifie pas d'un intérêt à agir contre la décision de rejet de la demande de pension militaire de M. E... du 1er juillet, dès lors que son lien marital avec M. E... n'est pas établi avec certitude ; la date de naissance mentionnée sur l'acte recognitif de mariage produit par la requérante mentionne que M. E... est né en 1929 alors que sur tous les autres documents d'identité et administratif, il est fait mention d'une naissance en 1928 ;
- à titre subsidiaire, les premiers juges ainsi que l'administration n'ont pas fondé leurs appréciations sur la seule circonstance que M. E... est décédé avant que l'expertise médicale soit réalisée ; au contraire, ils se sont fondés sur l'ensemble des documents médicaux figurant au dossier pour juger que le lien entre les pathologies dont souffrait M. E... et l'exercice de ses fonctions militaires en Indochine ne pouvait être regardé comme établi ;
- les premiers juges, ainsi que l'administration, n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en rejetant la demande de pension militaire de M. E..., dès lors que les documents médicaux produits par Mme C... sont insuffisants pour établir la réalité du lien entre les pathologies pour lesquelles M. E... a demandé une pension et son service militaire ;
- à titre infiniment subsidiaire, Mme C... ne remplit pas les conditions prévues par l'article L. 141-2 du code lui permettant de bénéficier d'une pension de réversion, dès lors que M. E... n'a jamais été titulaire d'une pension militaire d'invalidité et qu'il n'est pas établi de façon certaine que les pathologies dont il se prévalait avant son décès étaient liées à l'exercice de ses fonctions militaires en Indochine ; en outre, il y a aurait lieu de limiter les arrérages aux trois années précédant la demande, en application de l'article L. 151-3.
Par des mémoires en défense enregistrés les 12 mai 2023 et 30 août 2023, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la commission de recours de l'invalidité (CRI) et les premiers juges n'ont pas rejeté la demande au seul motif que M. E... est décédé avant d'avoir pu être examiné par le médecin expert mais également parce qu'il résultait de l'instruction que Mme C... n'avait produit, à l'appui de ses demandes, aucun document d'ordre médical ou administratif, de nature à établir que les pathologies dont il était atteint étaient liées à son service ;
- s'agissant du lien entre la pathologie constatée au livret médical en 1960 et la paralysie de M. E..., d'une part, M. E... a été hospitalisé du 2 avril 1960 au
5 mai 1960 pour un volumineux abcès profond de la cuisse droite, et il n'est pas fait mention d'une quelconque blessure par balle, et d'autre part la paralysie dont a souffert M. E... trouve son origine dans un hématome sous dural chronique pariétal gauche médicalement constaté le 12 juillet 2012, la littérature médicale indiquant que l'hématome sous-dural est la plus fréquente des hémorragies intracrâniennes survenant après un traumatisme " et qu'il intervient le plus souvent " dans les suites d'un choc au crâne ayant entraîné une lésion d'une veine " ;
- l'ensemble des certificats médicaux produits par Mme C... sont insuffisants pour établir la preuve d'une relation entre la paraplégie dont était atteint
M. E... avant son décès en 2018 et une blessure survenue pendant son service ;
- si M. E... a évoqué, à l'appui de sa demande de pension militaire d'invalidité, des problèmes cardiaques, de l'asthme et des rhumatismes, il n'existe aucun constat médical contemporain de son service relatif à ces pathologies ; de même, aucun élément médical ne permet de relier les pathologies dont il souffrait en 2018 à un fait précis qui serait survenu pendant son service ;
- une mesure d'expertise médicale sur pièces n'est pas nécessaire dès lors que les documents présents au dossier de M. E... sont suffisants pour rejeter l'imputabilité au service des infirmités pour lesquelles il a formulé une demande de pension militaire d'invalidité.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2022, modifiée le 8 décembre 2022 pour changement d'avocat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Catherine Girault,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... F..., né en 1928 au Maroc et décédé le 14 octobre 2018, a servi au sein de l'armée de terre française par contrats d'engagement successifs du 10 novembre 1947 au 10 novembre 1951, puis du 8 avril 1954 au 8 avril 1964, périodes au cours desquelles il a effectué plusieurs séjours en Indochine, avant d'être radié des contrôles le 8 avril 1964. Par un courrier du 1er février 2018 complété le 4 mai 2018, il a sollicité auprès du ministère des armées le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au titre de plusieurs pathologies qu'il estimait imputables à son service en Indochine. Postérieurement à son décès le 14 octobre 2018, par une décision du 6 janvier 2020, le ministère des armées a refusé de lui attribuer le bénéfice de cette pension. Sa veuve, Mme B... C..., a formé un recours administratif préalable obligatoire, en application des dispositions de l'article R. 711-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, auprès de la commission de recours de l'invalidité (CRI) enregistré le 12 mars 2020. Par une décision du 1er juillet 2020, la CRI a rejeté son recours. Par un jugement du 28 juin 2022, dont Mme C... relève appel, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er juillet 2020.
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à la date de la demande de pension : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service (...) ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Est présumée imputable au service : 1° Toute blessure constatée par suite d'un accident, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ; (...) / 3° Toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1, L. 461-2 et L. 461-3 du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le militaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ces tableaux ; (...) ". Selon l'article L.121-2 (...) " Dans tous les cas, la filiation médicale doit être établie entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée ". Le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité et soumis de ce fait à des contraintes et des sujétions identiques.
3. En premier lieu, il n'est pas contesté par l'appelante que la paralysie pour laquelle M. E... a demandé une pension militaire d'invalidité a été diagnostiquée en 2009, soit bien longtemps après l'exercice de ses fonctions, qui se sont achevées en 1964. Par suite, il y avait lieu d'examiner si la filiation médicale pouvait être retenue entre les pathologies survenues pendant le service et l'état de M. E... avant son décès, survenu par arrêt cardiaque à l'âge de 90 ans.
4. En deuxième lieu, M. E..., avait demandé l'octroi d'une première pension militaire d'invalidité en raison, notamment, d'une paralysie qui a été diagnostiquée en 2009 qu'il imputait à des blessures par balles dont il aurait été victime au cours de ses services en Indochine entre les années 1954 et 1964. Il résulte de l'instruction que l'intéressé a été examiné, avant son décès, par plusieurs médecins au cours de l'année 2018. Leurs certificats concluent unanimement au constat que l'intéressé souffrait d'une paralysie du membre inférieur droit depuis 2009. Si ces médecins indiquent, en reprenant ses dires, que cette infirmité résulterait de " plaies balistiques " survenues lors de ses services en Indochine, il résulte pourtant de l'instruction, et notamment de son livret médical, qui ne mentionne par ailleurs qu'une dysenterie amibienne et une entorse tibio-tarsienne, que M. E... a été hospitalisé le 2 avril 1960 pour drainage chirurgical d'un " volumineux abcès profond de la cuisse droite ", sans qu'il ne soit fait mention de blessures par balles. Au demeurant, si cette hospitalisation est intervenue au cours de son engagement en Indochine, Mme C... ne produit aucun document relatant un fait précis ou des circonstances particulières de service à l'origine des affections que son époux invoquait. En tout état de cause, il ressort d'un compte rendu de radiologie du 18 février 2009 établi par le Dr D... que M. E... présentait des signes évocateurs d'un hématome sous-dural chronique pariétal gauche, pathologie susceptible d'entraîner une paralysie. Le certificat médical d'aptitude physique établi le 12 juillet 2012 corrobore à cet égard ce lien de causalité. Par ailleurs, M. E... a été opéré d'une fracture de la hanche droite en 2010, sans qu'aucun lien ait été fait avec l'abcès à la cuisse qui l'avait affecté 50 ans auparavant. Enfin, M. E... a également fondé sa demande de pension militaire sur des pathologies cardiaque, neurologique, d'asthme et de rhumatismes. Toutefois, l'appelante n'apporte aucun élément de nature à suspecter que ces infirmités seraient en lien avec les services de son époux en Indochine. Par suite, l'ensemble des éléments médicaux fournis par Mme C... apparaissent insuffisants pour qu'elle soit regardée comme établissant, ainsi qu'il lui incombe, que les pathologies dont souffrait son époux présentaient un lien direct et certain avec son activité militaire, et aucune expertise sur pièces ne serait utile en l'espèce.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonctions et celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2024.
La présidente-assesseure,
Anne Meyer
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02460