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11/07/2024 | FRANCE | N°22BX01580

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 11 juillet 2024, 22BX01580


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme (SA) Pompière Agence en Douane a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite de rejet de sa réclamation préalable, et de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser une indemnité de 600 000 euros avec intérêts en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un défaut d'entretien normal de l'autoroute A1.



Par un jugement n° 2100263 du 7 avril 2022, le t

ribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Pompière Agence en Douane a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite de rejet de sa réclamation préalable, et de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser une indemnité de 600 000 euros avec intérêts en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un défaut d'entretien normal de l'autoroute A1.

Par un jugement n° 2100263 du 7 avril 2022, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 juin 2022 et des mémoires enregistrés les 27 juin et 21 juillet 2023, la SA Pompière Agence en Douane, représentée par la SELAS Fidal, demande

à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa réclamation préalable ;

3°) de condamner la collectivité territoriale de Martinique à lui verser une indemnité de 600 000 euros avec intérêts et capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu de défaut d'entretien normal de l'ouvrage et a fait une application erronée des dispositions de l'article R. 411-25 du code de la route et de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière ; le jugement est ainsi irrégulier ;

- l'absence de signalisation de la hauteur du pont est établie ;

- alors que l'échangeur de la Pointe des Sables qui s'est effondré en septembre 2018 n'a été remis en circulation qu'en septembre 2020, aucun itinéraire alternatif n'était envisageable le 29 avril 2019, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu la hauteur du pont de 4,79 m à 4,90 m invoquée après mesures par la collectivité de Martinique, qu'elle conteste car elle est en contradiction avec la hauteur du chargement de 4,64 m retenue par l'expert judiciaire et non contestée par les parties, qui est à l'origine du choc sur le tablier du pont ; nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ;

- le tribunal s'est fondé sur une citation incomplète de l'article 61 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière, sans tenir compte de ce qu'elle précise que lorsque la hauteur libre est variable, il est recommandé d'indiquer la cote libre aux points où elle atteint 4,75 m sur autoroute ;

- le tablier du pont présente de nombreux impacts visibles causés par les chocs de plusieurs véhicules, ce qui démontre que l'ouvrage présente un caractère particulièrement dangereux et que la collectivité aurait dû signaler sa hauteur ;

- dès lors que les autres axes routiers qui auraient permis d'acheminer la livraison n'étaient pas ouverts à la circulation, la collectivité ne saurait soutenir qu'un circuit personnalisé aurait pu lui être proposé si elle s'était rapprochée de ses services ;

- contrairement à ce que soutient la collectivité territoriale de Martinique, le chargement n'était pas un convoi exceptionnel, et au demeurant, le code de la route ne réglemente pas la hauteur des convois exceptionnels ;

- l'existence d'une imprudence fautive du conducteur n'est pas démontrée, et si la cour retenait une cause exonératoire de responsabilité, celle-ci ne pourrait être que partielle ;

- son préjudice, incluant l'indemnisation de son cocontractant, la société Assistance 97 pour le compte de laquelle elle transportait le groupe électrogène abîmé lors de l'accident, ainsi que les frais et honoraires avancés et à intervenir, s'élève à 600 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2023 la collectivité territoriale de Martinique conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SA Pompière Agence en douane une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la présence d'impacts sur le tablier du pont ne saurait caractériser une dangerosité de l'ouvrage appelant des mesures de sécurité particulières ;

- comme l'ont relevé les premiers juges, aucune signalisation n'était nécessaire s'agissant d'un ouvrage d'une hauteur supérieure à 4,30 m ;

- la société SA Pompière agence en douane, qui a une expérience de transporteur en Martinique depuis plus de 75 ans, avait connaissance de l'itinéraire passant sous le pont B..., lequel préexistait à la construction des nouveaux itinéraires de desserte ; la force de l'impact démontre une imprudence du conducteur ; ainsi, le dommage est entièrement imputable à la faute de la victime ;

- les recommandations de l'article 61 de l'instruction ministérielle relatives aux ponts dont la hauteur libre est variable ne sont pas applicables au pont B....

Par ordonnance du 29 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée

au 15 septembre 2023.

Un mémoire présenté pour la collectivité de Martinique a été enregistré le 17 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la route ;

- l'arrêté du 7 juin 1977 relatif à la signalisation des routes et autoroutes ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Coquerel, représentant la SA Pompière Agence en Douane.

Considérant ce qui suit :

1. Le 29 avril 2019 vers 16 heures, alors qu'un semi-remorque appartenant à la SA Pompière Agence en Douane circulait sur l'autoroute A1 de la Martinique dans le sens de Fort-de-France au Lamentin pour livrer un groupe électrogène à la société anonyme de raffinerie aux Antilles, le containeur chargé sur la plateforme est entré en collision avec la partie basse du tablier du pont dit B..., ce qui a endommagé le groupe électrogène. Par lettre reçue le 24 février 2021, la SA Pompière Agence en Douane, qui avait indemnisé la société Assistance 97 pour le compte de laquelle elle transportait cet équipement, a demandé à la collectivité territoriale de Martinique de lui verser une indemnité de 600 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de cet accident, en invoquant un défaut d'entretien normal caractérisé par une absence de signalisation de la hauteur du pont.

Sur la régularité du jugement :

2. En reprochant au tribunal de ne pas avoir retenu le défaut d'entretien normal qu'elle invoquait et d'avoir fait une application erronée des dispositions de l'article R. 411-25 du code de la route et de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière, la SA Pompière Agence en Douane met en cause le bien-fondé, et non la régularité du jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. La réclamation préalable présentée par la SA Pompière Agence en Douane n'a eu pour effet que de lier le contentieux à l'égard de sa demande indemnitaire. La requête présentant le caractère d'un recours de plein contentieux, les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

4. En premier lieu, il appartient à la victime d'un dommage survenu à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public dont elle était usagère et le dommage dont elle se prévaut. La collectivité en charge de l'ouvrage public peut s'exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit de ce que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.

5. Le lien entre le pont B... surplombant l'autoroute et le dommage subi par le chargement transporté par la SA Pompière Agence en Douane est établi. Pour apporter la preuve de l'entretien normal de l'ouvrage, la collectivité de Martinique fait valoir qu'elle n'avait pas à mettre en place une signalisation relative à la hauteur du pont.

6. Aux termes de l'article R. 411-25 du code de la route : " Le ministre chargé de la voirie nationale et le ministre de l'intérieur fixent par arrêté conjoint publié au Journal officiel de la République française les conditions dans lesquelles est établie la signalisation routière pour signifier une prescription de l'autorité investie du pouvoir de police ou donner une information aux usagers (...) ". Aux termes de l'article 61 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, approuvée par l'arrêté du 7 juin 1977 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes, qui figure dans la quatrième partie de cette instruction : " (...) / Tous les passages où la hauteur libre au-dessus d'un point quelconque de la chaussée mesurée normalement à celle-ci est inférieure à 4,30 m, doivent être signalés (...). / (...) / Lorsque la hauteur libre est variable (cas notamment des ponts voûtés) il est recommandé d'indiquer sur les bandeaux la cote libre en différents points et notamment aux droits des bords de chaussées, ainsi qu'aux points, s'ils existent, où cette cote atteint 4,30 m sur route et 4,75 m sur autoroute. / (...). "

7. La collectivité de Martinique a produit en première instance un relevé par télémètre faisant apparaître que la hauteur libre entre la chaussée et le tablier du pont était de 4,87 à 4,90 m, et de 4,79 m au niveau de la zone d'impact. Elle produit en outre en appel un constat d'huissier du 8 mars 2023 relatif à la mesure d'une hauteur de 4,881 m entre l'axe de la voie de droite de l'autoroute et la partie basse du tablier du pont au point d'impact de la collision. Si l'expert judiciaire missionné pour évaluer les détériorations du groupe électrogène a rappelé les circonstances de l'accident en indiquant que la hauteur globale du chargement atteignait 4,64 m, il a précisé que ces éléments présentés en introduction de son rapport, rapportés par le dossier, n'entraient pas dans le cadre de sa mission et ne l'engageaient pas. Le tablier du pont étant horizontal avec une hauteur constante, les recommandations de l'article 61 de l'instruction interministérielle relatives aux passages dont la hauteur libre est variable ne sont pas applicables. Ainsi, aucune obligation de signalisation n'incombait à la collectivité de Martinique, laquelle apporte la preuve de l'entretien normal de l'autoroute. Au surplus, la collectivité fait valoir à juste titre que la SA Pompière Agence en Douane, entreprise spécialisée dans le transport de marchandises en Martinique depuis plus de 75 ans, connaissait parfaitement les lieux. Dans ces circonstances, le chauffeur de la société requérante a commis une imprudence en empruntant le parcours en cause avec un chargement de grande hauteur sans s'assurer au préalable de la possibilité de passer sous le pont, ce qui est fautif, sans qu'une impossibilité d'emprunter un autre itinéraire puisse être utilement invoquée.

8. En second lieu, en l'absence de défaut d'aménagement ou d'entretien normal, la responsabilité d'une collectivité publique peut être engagée lorsque l'ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels sont exposés les usagers du fait de sa conception, doit être regardé comme présentant par lui-même le caractère d'un ouvrage exceptionnellement dangereux. Toutefois, l'existence d'autres accidents de même nature, quand bien même elle serait établie antérieurement au 29 avril 2019, ce qui n'est pas le cas, ne saurait faire regarder la hauteur du pont B... comme exceptionnellement dangereuse pour les usagers de l'autoroute A1.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Pompière Agence en Douane n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

10. La SA Pompière Agence en Douane, qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la collectivité territoriale de Martinique à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA Pompière Agence en Douane est rejetée.

Article 2 : La SA Pompière Agence en Douane versera à la collectivité territoriale de Martinique une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Pompière Agence en Douane et à la collectivité territoriale de Martinique.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX01580


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01580
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CATOL

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-11;22bx01580 ?
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