Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2302890 du 13 octobre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 décembre 2023, Mme D..., représentée par
Me Le Guédard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 27 janvier 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à défaut de réexaminer sa situation dans le même délai, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- elle résidait en France avec son époux et leurs quatre enfants depuis près de six ans
à la date de la décision ; son fils aîné a obtenu un CAP spécialisé en réparation de carrosseries
le 14 novembre 2022, le cadet est scolarisé en classe de sixième, et les jumelles nées en France le 2 septembre 2019, actuellement en petite section de maternelle, ne connaissent pas l'Albanie et s'expriment en français ; elle a pris des cours de français dès 2017, elle travaille comme aide-ménagère auprès de plusieurs employeurs qui sont satisfaits de ses services, et la société By Bâtiment a déposé le 9 novembre 2023 une demande d'autorisation de travail à son bénéfice ; son époux, qui a travaillé comme bénévole à la banque alimentaire de juillet à décembre 2019, s'est vu proposer le 10 octobre 2021 une promesse d'embauche en qualité de plaquiste sous contrat à durée indéterminée, et il effectue des missions d'intérim comme ouvrier polyvalent depuis mars 2023 ; sa famille est locataire d'un logement depuis juillet 2023 et paie le loyer sans aide extérieure, et l'intégration sociale est démontrée par les attestations produites ; son fils aîné devenu majeur, qui a déposé le 15 mars 2022 une demande de titre de séjour, toujours en cours d'instruction, n'est pas en situation irrégulière ; la cellule familiale ne peut se reconstituer en Albanie compte tenu des risques encourus et de l'intérêt supérieur des enfants ; ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 432-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- eu égard à l'ancienneté de son séjour et à son intégration, et alors qu'elle avait travaillé plus de huit mois sur les 24 derniers mois au jour du dépôt de sa demande, c'est à tort que le tribunal a jugé qu'elle ne remplissait pas les conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- dès lors que sa famille a fui l'Albanie en raison de menaces et de violences exercées par l'oncle et le cousin de son époux, la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 712-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; à tout le moins, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 mars 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il s'en rapporte à ses écritures de première instance, qu'il produit.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me Pitel-Marie, représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., de nationalité albanaise, a déclaré être entrée en France
le 26 février 2017, accompagnée de son époux et de leurs deux enfants nés le 5 février 2004
et le 2 septembre 2011. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection
des réfugiés et apatrides le 13 juin 2017, puis par la Cour nationale du droit d'asile le
9 novembre 2017. L'arrêté du 4 décembre 2017 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 18BX01130 du 25 octobre 2018, et par un jugement n° 2106532 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé pour irrégularité de procédure l'arrêté du 27 août 2021 qui avait pris les mêmes décisions en exécution de l'injonction de réexamen prononcée par la cour. Après un nouveau réexamen, le préfet de la Gironde a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme D..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi par un arrêté
du 27 janvier 2023. Mme D... relève appel du jugement du 13 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / (...). " Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. La préfète était saisie d'une demande de réexamen sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à l'état de santé, et le refus réitéré à ce titre n'est pas contesté. Toutefois, en examinant la situation de Mme D... au regard de ses liens privés, familiaux et sociaux et en relevant que l'intéressée n'entre dans aucun autre cas d'attribution d'un titre de séjour de plein droit, elle a implicitement mais nécessairement opposé un refus sur le fondement de l'article L. 423-23 cité au point précédent. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision, le 27 janvier 2023, Mme D... résidait en France depuis près de six ans avec son époux et leurs enfants, des jumelles étant nées à Bordeaux le 2 septembre 2019. Toutefois, son époux avait fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français par un arrêté du même jour, son fils aîné devenu majeur, quand bien même il aurait disposé d'une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du traitement d'une demande de titre de séjour, ne pouvait être regardé comme disposant d'un droit au séjour inscrit dans la durée, et les attestations produites ne démontrent pas l'existence de liens sociaux et amicaux particulièrement intenses. Mme D... a nécessairement conservé des liens en Albanie, où résident encore ses parents et l'un de ses frères, et l'impossibilité alléguée de poursuivre sa vie familiale dans ce pays avec son époux et ses enfants n'est pas démontrée. La légalité d'une décision s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise, l'argumentation relative à l'évolution de la situation familiale au regard de l'insertion professionnelle, du logement et des revenus postérieurement au 27 janvier 2023 est inopérante. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent être accueillis.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
5. Les trois enfants mineurs, âgés respectivement de onze ans et trois ans à la date des refus de titre de séjour opposés à leurs parents, ont vocation à suivre ces derniers dont ils ont la nationalité. A supposer que Mme D... entende invoquer la méconnaissance des stipulations précitées en faisant valoir que ses enfants parlent français et ne pourraient poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions en Albanie, les difficultés ainsi alléguées ne suffisent pas à caractériser une méconnaissance de leur intérêt supérieur.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...). "
7. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé. Mme D... n'établit ni même n'allègue avoir présenté une demande sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne prévoient pas l'attribution d'un titre de séjour de plein droit, et ne relèvent donc pas des fondements dont la préfète de la Gironde s'est saisie d'office. La méconnaissance de ces dispositions ne peut donc être utilement invoquée.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
8. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de la décision de refus de titre de séjour.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
10. En second lieu, aux termes de l'article de l'article 3 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis
à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants. " Aux termes de
l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
du 4 novembre 1950 ".
11. En se bornant à faire valoir qu'elle aurait fui l'Albanie en raison de menaces et de violences de l'oncle et du cousin de son époux pour obtenir la cession d'un terrain, Mme D... n'établit pas être exposée à des risques réels et actuels en cas de retour en Albanie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23BX03167