Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 28 juin 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2304130 du 17 octobre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Cesso, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du
17 octobre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 28 juin 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 900 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté est signé par une autorité incompétente, faute de délégation de signature régulière ;
- la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il vit en France depuis plus de 12 ans, qu'il est socialement bien intégré comme le démontrent les avis du maire de sa commune et de la commission du titre de séjour et le fait qu'il a travaillé à chaque fois qu'il disposait d'un titre de séjour, qu'il est marié et a deux filles mineures qui ne connaissent pas le Nigéria et qui sont scolarisées depuis trois ans ; si la commission du titre de séjour, bien qu'ayant émis un avis favorable, a relevé que sa maîtrise du français était insuffisante, cette appréciation s'explique par le stress ; il bénéficie en outre d'une promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée auprès d'un employeur qui avait déposé une demande d'autorisation de travail à son profit ;
- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet n'a pas examiné la demande au titre du travail sur ce fondement, alors que le métier de chauffeur routier fait partie des métiers en tension et qu'il a travaillé huit mois depuis août 2022 ; sa durée de présence, la durée de scolarisation de ses enfants et sa bonne intégration justifiait également sa régularisation exceptionnelle au titre de sa vie privée et familiale ;
- la décision est entachée, pour les mêmes motifs, d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'intérêt supérieur de ses deux filles qui sont scolarisées en France depuis plus de trois ans, qui ne connaissent pas le Nigéria et qui encourent des risques d'excision si elles sont amenées à vivre dans ce pays ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale dès lors qu'il remplit les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour de plein droit ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne et elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, pour les mêmes motifs que ceux énoncés pour le refus de titre de séjour ;
- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur des enfants pour les mêmes raisons que le refus de titre de séjour ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée, en ce que le préfet ne tient pas compte de l'ancienneté de son séjour ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, méconnaît l'intérêt supérieur des enfants et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale dès lors que le préfet n'apporte aucun élément pour remettre en cause la véracité des documents produits pour démontrer que ses filles encourent un risque d'excision au Nigéria.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 avril 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête, en s'en remettant à ses écritures de première instance.
M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- et les observations de Me Cesso, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant nigérian né le 19 octobre 1980, est entré en France
le 11 février 2011 afin de solliciter l'asile. Sa demande de protection a été rejetée, en dernier lieu, par la Cour nationale du droit d'asile le 27 février 2013. Concomitamment à sa demande d'asile, M. B... a demandé son admission au séjour en raison de son état de santé. Des titres de séjour, valables du 8 février 2012 au 14 janvier 2014, lui ont été délivrés. Sa demande de renouvellement a été rejetée par une décision du 22 janvier 2015, assortie d'une obligation de quitter le territoire français. La légalité de cet arrêté préfectoral a été confirmée en dernier lieu par la cour le 15 décembre 2015. Une nouvelle demande d'admission au séjour, formulée le 24 février 2016, a été rejetée par un arrêté du 8 octobre 2018, comportant également une obligation de quitter le territoire français et une interdiction de retour pour une durée de deux ans. La légalité de cet arrêté a été confirmée en dernier lieu par la cour
le 20 février 2020. Par un arrêté du 12 avril 2021, la préfète de la Gironde a rejeté une nouvelle demande de titre de séjour présentée par M. B... le 11 août 2020 et a à nouveau prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français et une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Par un arrêt du 23 juin 2022, la cour a annulé cet arrêté au motif que la commission du titre de séjour n'avait pas été saisie pour avis alors que M. B... était présent en France depuis plus de dix ans. En exécution de cet arrêt, le préfet de la Gironde a réexaminé sa situation et, par un arrêté du 28 juin 2023, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a enjoint de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de deux ans. Par un jugement du 17 octobre 2023 dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est présent en France depuis
le 11 février 2011, soit 12 ans à la date de la décision en litige, et qu'il y a vécu en situation régulière, sous couvert de titres de séjour en raison de son état de santé, du 8 février 2012 au 14 janvier 2014. Il est marié depuis 8 ans à une compatriote, elle-même présente sur le territoire depuis plus de dix ans. Le couple a deux filles nées le 16 février 2015 et
le 28 mars 2017, scolarisées depuis plusieurs années et qui n'ont pas vécu ailleurs qu'en France et pourraient être exposées à un risque d'excision au Nigéria. A la date de l'arrêté en litige, M. B... disposait d'une proposition d'embauche en contrat à durée indéterminée par la société Ansamble pour un poste de chauffeur livreur préparateur à temps plein. Ainsi que l'a relevé la commission du titre de séjour, qui a rendu un avis favorable à sa demande, l'intéressé a régulièrement travaillé lorsqu'il a été mis en possession d'un document l'y autorisant, exerçant successivement des missions d'intérim en tant qu'ouvrier entre juillet 2012 et janvier 2015, de manutentionnaire au second semestre 2018 et de livreur au second semestre 2022. Il a également effectué du bénévolat comme chauffeur au sein des Restos du cœur, notamment en 2019. Dans ces conditions, alors même que sa durée de présence a été acquise malgré deux obligations de quitter le territoire français et une interdiction de retour, que la commission du titre de séjour a relevé une insuffisante maîtrise de la langue française malgré les cours qu'il a suivis lors des premiers mois de son séjour en France et que son épouse est en situation irrégulière, la décision refusant de délivrer à M. B... un titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts qu'elle poursuit. Elle méconnaît ainsi les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et doit être annulée, de même que les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour de deux ans.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. L'annulation de l'arrêté préfectoral en litige implique nécessairement que soit délivrée à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans
ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Cesso sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 octobre 2023 et l'arrêté du préfet de la Gironde du 28 juin 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L'Etat versera à Me Cesso la somme de 1 200 euros sur le fondement de
l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Gironde et à Me Cesso.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX03137