Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 15 mai 2020 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Saintonge l'a suspendue à titre conservatoire de ses activités cliniques et thérapeutiques, et d'enjoindre au centre hospitalier de régulariser sa situation.
Par un jugement n° 2001599 du 17 octobre 2022, le tribunal a annulé la décision
du 15 mai 2020 et a enjoint au centre hospitalier de Saintonge de régulariser la situation
de Mme C... dans un délai d'un mois.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 12 décembre 2022 sous le n° 22BX03046, le centre hospitalier de Saintonge, représenté par le cabinet SHBK Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 2 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les faits qu'il a rapportés établissent que l'aptitude physique et mentale de
Mme C... à exercer ses fonctions est manifestement obérée, ce qu'a également estimé le Centre national de gestion qui a désigné un comité d'experts afin d'évaluer cette aptitude ; c'est ainsi à tort que le tribunal a annulé la décision du 15 mai 2020 ; il existe " un vrai problème comportemental ", et la mesure de suspension est exempte de toute dimension disciplinaire ;
- les moyens invoqués en première instance par Mme C... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2023, Mme C..., représentée par
la SELARL Lelong, Duclos Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintonge une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement du tribunal est conforme à une jurisprudence constante et n'est entaché d'aucune erreur de droit ;
- elle maintient ses moyens de première instance tirés de l'irrégularité de la procédure contradictoire mise en œuvre par le centre hospitalier et de l'absence de preuve de la matérialité de faits permettant au directeur de l'établissement de prendre une décision de suspension à titre conservatoire.
II. Par un courrier enregistré le 22 février 2023, Mme C... a saisi la cour
d'une demande d'exécution du jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2001599 du
17 octobre 2022, et par une ordonnance du 21 août 2023 enregistrée sous le n° 23BX02111, le président de la cour a ouvert une procédure juridictionnelle.
Par des mémoires enregistrés les 26 septembre, 16 octobre et 7 novembre 2023, Mme C..., représentée par la SELARL Lelong, Duclos Avocats, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de prendre acte de sa réintégration le 10 octobre 2023 ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintonge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, elle a été convoquée le
5 octobre 2023 auprès du médecin du travail qui l'a déclarée apte, et elle a repris ses fonctions le 10 octobre 2023 ;
- alors qu'elle aurait dû être réintégrée dès le 17 novembre 2022 en exécution du jugement, elle est fondée à solliciter une somme au titre des frais irrépétibles ;
- le jugement reste partiellement inexécuté en ce qu'aucun élément ne lui
a été communiqué sur la régularisation rétroactive de sa carrière, et en ce que la somme
de 1 300 euros mise à la charge du centre hospitalier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative n'a pas été versée.
Par un mémoire enregistré le 31 octobre 2023, le centre hospitalier de Saintonge, représenté par le cabinet SHBK Avocats, fait valoir que dès lors qu'il a dû organiser une procédure de réintégration avec une visite médicale, aucun retard d'exécution ne peut lui être reproché, de sorte que la demande présentée par Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Duclos, représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a été recrutée en 2013 par le centre hospitalier de Saintonge en qualité de praticienne contractuelle, affectée dans le service de gastro-entérologie, et titularisée à compter du 1er janvier 2015. Par une décision du 15 mai 2020, le directeur du centre hospitalier l'a suspendue à titre conservatoire de l'ensemble de ses activités cliniques et thérapeutiques, aux motifs que son comportement était incompatible avec la sécurité des patients et qu'il était nécessaire de " rétablir la confiance et la sérénité au sein de l'équipe médicale ". Par un jugement du 17 octobre 2022, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision et a enjoint au centre hospitalier de procéder à la régularisation de la situation de Mme C... dans un délai d'un mois. Le centre hospitalier de Saintonge relève appel de ce jugement par la requête n° 22BX03046, et Mme C... en demande l'exécution par la requête n° 23BX02111. Il y a lieu de joindre ces requêtes relatives au même jugement.
Sur la requête n° 22BX03046 :
2. Le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.
3. La décision du 15 mai 2020 fait état de divers témoignages de médecins et de personnels de l'encadrement attestant dans un passé récent de conduites addictives sur le lieu de travail, d'une appréciation unanime des différents praticiens de l'équipe médicale, exprimée lors d'une réunion du 12 février 2020, selon laquelle l'attitude de Mme C... mettrait en danger la sécurité des patients, et d'un rapport du chef du service de gastro-entérologie du 4 mai 2020, cosigné par un autre médecin de ce service. En appel comme en première instance, et comme devant la présidente de la 2ème chambre de la cour qui a rejeté sa demande de suspension de l'exécution du jugement par une décision n° 23BX00021 du 15 février 2023, le centre hospitalier de Saintonge ne produit aucun témoignage sur des conduites addictives ou une attitude susceptible de mettre en danger la sécurité des patients, mais seulement le rapport du 4 mai 2020. Alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il existe une grave et ancienne mésentente au sein du service, ce rapport comporte des accusations non étayées sur des faits remontant à 2014, 2015, 2016 ou 2018, prétendument rapportés par des infirmières, des patients ou des médecins, relatifs à une impossibilité de joindre Mme C... durant ses permanences de soins, à des retards réguliers notamment pour les consultations, à des patients mécontents et à des insuffisances dans la prise en charge médicale, ainsi qu'à la disparition d'une quantité importante de psychotropes dans trois unités d'hospitalisation en 2018 dont il est insinué, sans référence à aucun élément de preuve, qu'elle aurait été le fait de Mme C.... Les seuls faits récents reprochés à cette dernière, qualifiés de " comportement préoccupant ", sont relatifs à la rédaction le 30 avril 2020 d'une fiche d'évènement indésirable concernant la prise en charge d'un patient par le chef de service, et son emportement le même jour au sujet du bureau qui lui avait été attribué à son retour de congé de maternité le 6 avril 2020, ce local de 10 m² sans fenêtre ni point d'eau ayant été décrit par le médecin du travail comme ne remplissant pas les conditions ergonomiques nécessaires à l'activité de consultation. S'ils confirment la mésentente entre Mme C... et son chef de service, ces faits ne sauraient caractériser l'existence de circonstances exceptionnelles mettant en péril la continuité du service et la sécurité des patients. Le centre hospitalier de Saintonge n'est donc pas fondé à soutenir que l'aptitude physique et mentale de Mme C... à exercer ses fonctions aurait été " manifestement obérée " à la date de la décision, et son appel ne peut qu'être rejeté.
Sur la requête n° 23BX02111 :
4. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte. "
5. En l'absence de définition, par le jugement ou l'arrêt dont l'exécution lui est demandée, des mesures qu'implique nécessairement cette décision, il appartient au juge saisi sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative d'y procéder lui-même en tenant compte des situations de droit et de fait existant à la date de sa décision. Il ne peut toutefois remettre en cause les mesures qui ont précédemment été prescrites ni méconnaître l'autorité qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution lui est demandée. En particulier, la rectification des erreurs de droit ou de fait dont serait entachée la décision en cause ne peut procéder que de l'exercice, dans les délais fixés par les dispositions applicables, des voies de recours ouvertes contre cette décision.
6. En premier lieu, la décision du 15 mai 2020 a prononcé la suspension temporaire des activités cliniques et thérapeutiques de Mme C... avec maintien de sa rémunération. L'injonction de procéder à la régularisation de la situation de Mme C... prononcée par le jugement du tribunal administratif de Poitiers impliquait nécessairement sa réintégration effective dans ses fonctions, laquelle a eu lieu le 10 octobre 2023, et non une reconstitution de carrière, la décision du 15 mai 2020 n'étant pas susceptible d'avoir une incidence sur le déroulement de carrière de l'intéressée. L'injonction a ainsi été exécutée par la réintégration.
7. En second lieu, le centre hospitalier de Saintonge ne justifie pas avoir versé la somme de 1 300 euros mise à sa charge par le jugement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu de lui enjoindre de justifier de ce paiement dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
8. Le centre hospitalier de Saintonge, qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, et eu égard notamment à l'exécution tardive de l'injonction de régularisation de la situation de l'intéressée, il y a lieu de mettre à la charge de cet établissement une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... à l'occasion de chacun des litiges n° 22BX03046 et n° 23BX02111, soit au total 3 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 22BX03046 du centre hospitalier de Saintonge est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'exécution de l'injonction de réintégration de Mme C... prononcée par le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2001599
du 17 octobre 2022.
Article 3 : Il est enjoint au centre hospitalier de Saintonge de verser à Mme C... la somme
de 1 300 euros mise à sa charge par le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2001599 du 17 octobre 2022 dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Article 4 : Le centre hospitalier de Saintonge versera à Mme C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Saintonge et à Mme B... C....
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Anne Meyer, présidente, rapporteure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller,
Mme Edwige Michaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.
Le premier assesseur,
Olivier Cotte
La présidente, rapporteure,
Anne A...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 22BX03046, 23BX02111