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09/07/2024 | FRANCE | N°22BX03004

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 09 juillet 2024, 22BX03004


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune d'Audenge a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a prononcé l'application du régime forestier à 1 597 hectares 52 ares et 29 centiares de bois et forêts appartenant à la commune d'Audenge.

Par un jugement n° 2100779 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 décembre 2020.



Proc

dure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 7 décembre 2022, le ministre de l'agricultu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Audenge a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a prononcé l'application du régime forestier à 1 597 hectares 52 ares et 29 centiares de bois et forêts appartenant à la commune d'Audenge.

Par un jugement n° 2100779 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 décembre 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 octobre 2022 ;

2°) de rejeter la demande de la commune d'Audenge.

Il soutient qu'une procédure de participation du public n'est requise, conformément à l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, que pour les décisions ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, et non pas pour toutes les décisions ayant une incidence sur l'environnement ; en l'espèce, la décision d'application du régime forestier se borne à définir un périmètre et à rendre applicable un régime juridique préexistant dans le code forestier sans y ajouter aucune disposition ; cette décision n'a ainsi pas d'incidence directe et significative sur l'environnement et ne devait pas être précédée d'une procédure de participation du public ; c'est ainsi à tort que le tribunal a retenu, pour annuler l'arrêté attaqué, le vice de procédure tiré de l'absence de mise en œuvre de la procédure de participation du public prévue à l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2023, la commune d'Audenge, représentée par Me Memlouk, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen soulevé par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire n'est pas fondé ;

- la consultation prévue à l'article R. 214-3 du code forestier n'a pas été menée régulièrement dès lors que la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ne pouvait donner son avis en lieu et place du ministre de l'Intérieur ; l'avis n'est pas signé par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; la ministre de la transition écologique n'a pas été consultée ;

- aucun motif d'intérêt général ne fonde l'arrêté en litige, qui ne met fin à aucune situation irrégulière ; l'application non consensuelle du régime forestier est susceptible de nuire à l'intérêt général en raison, notamment, de la perte de garanties durables qu'elle cause ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 4.3 et 9.1 de la charte européenne de l'autonomie locale ;

- il méconnaît le principe de sécurité juridique dès lors qu'aucun dispositif transitoire n'est prévu ; il entraîne la perte de garanties de gestion durable ; il porte atteinte aux relations contractuelles qu'elle a nouées pour dix ans avec un gestionnaire forestier ;

- l'article R. 214-3 du code forestier, qui constitue la base légale de l'arrêté en litige, méconnaît lui-même le principe de sécurité juridique dès lors qu'il ne prévoit pas de régime transitoire.

Par ordonnance du 1er février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 1er mars 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la charte de l'environnement ;

- le code de l'environnement ;

- le code forestier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pauline Reynaud,

- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,

- et les observations de Me Memlouk, représentant la commune d'Audenge.

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Audenge est propriétaire de 1 692 hectares de bois et forêts, qu'elle gère conformément au règlement type de gestion applicable sur le périmètre du schéma régional d'aménagement du plateau landais, approuvé par arrêté de la préfète de la région Nouvelle-Aquitaine du 30 avril 2019, avec le concours d'un gestionnaire forestier spécialisé. Par un courrier du 14 novembre 2019, la préfète de la Gironde a proposé à la commune d'Audenge de rendre applicable le régime forestier à 1 597 hectares 52 ares et 29 centiares de bois et forêts lui appartenant. Le 6 janvier 2020, la commune d'Audenge a fait part de son désaccord. Par un arrêté du 11 décembre 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a prononcé l'application du régime forestier sur ces bois et forêts. La commune d'Audenge a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cet arrêté. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relève appel du jugement n° 2100779 du 6 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 décembre 2020.

Sur le motif d'annulation retenu par le jugement :

2. D'une part, aux termes du I de l'article L. 211-1 du code forestier : " Relèvent du régime forestier, constitué des dispositions du présent livre, et sont administrés conformément à celui-ci : (...) / 2° Les bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution qui appartiennent aux collectivités et personnes morales suivantes, ou sur lesquels elles ont des droits de propriété indivis, et auxquels ce régime a été rendu applicable dans les conditions prévues à l'article L. 214-3 : / a) Les régions, la collectivité territoriale de Corse, les départements, les communes ou leurs groupements, les sections de communes (...) ". Selon l'article L. 214-3 du même code : " Dans les bois et forêts des collectivités territoriales et des autres personnes morales mentionnées au 2° du I de l'article L. 211-1 susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution, l'application du régime forestier est prononcée par l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la collectivité ou de la personne morale intéressée. En cas de désaccord, la décision est prise par arrêté du ministre chargé des forêts ". Aux termes de l'article R. 214-2 du même code : " Pour l'application de l'article L. 214-3, le préfet prononce l'application du régime forestier sur la proposition de l'Office national des forêts, après avis de la collectivité ou personne morale propriétaire. / En cas de désaccord entre la collectivité ou personne morale intéressée et l'Office national des forêts, l'application du régime forestier est prononcée par arrêté du ministre chargé des forêts après avis, selon le cas, des autres ministres concernés ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Aux termes de l'article L. 112-4 du code forestier : " Les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public est applicable aux décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement prises en application du présent code sont, sous réserve des dispositions particulières que celui-ci édicte, énoncées aux articles L. 120-1 à L. 120-2 du code de l'environnement ". Aux termes du I de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, qui reprend les dispositions de l'article L. 120-1 du même code : " Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration (...) Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 112-1 du code forestier alors en vigueur : " Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers. / Sont reconnus d'intérêt général : / 1° La protection et la mise en valeur des bois et forêts ainsi que le reboisement dans le cadre d'une gestion durable ; / 2° La conservation des ressources génétiques et de la biodiversité forestières ; / 3° La protection de la ressource en eau et de la qualité de l'air par la forêt dans le cadre d'une gestion durable ; / 4° La protection ainsi que la fixation des sols par la forêt, notamment en zone de montagne ; / 5° La fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage de carbone dans les bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique (...) ". Aux termes de l'article L. 121-3 du code forestier : " Les bois et forêts relevant du régime forestier satisfont de manière spécifique à des besoins d'intérêt général soit par l'accomplissement des obligations particulières prévues par ce régime, soit par une promotion d'activités telles que l'accueil du public, la conservation des milieux, la prise en compte de la biodiversité et la recherche scientifique ". Aux termes de l'article L. 122-10 du code forestier : " Dans les bois et forêts relevant du régime forestier, en particulier dans ceux appartenant à l'Etat mentionnés au 1° du I de l'article L. 211-1, l'ouverture au public doit être recherchée le plus largement possible. Celle-ci implique des mesures permettant la protection des bois et forêts et des milieux naturels, notamment pour garantir la conservation des sites les plus fragiles ainsi que des mesures nécessaires à la sécurité du public ".

5. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 121-3 du code forestier que l'application du régime forestier se traduit par des obligations spécifiques en matière de préservation du patrimoine forestier, de gestion des bois et forêts, de vente des coupes et produits des coupes de bois, ou encore par l'existence d'un droit pénal forestier. Par ailleurs, l'application du régime forestier impose aux communes la conclusion d'un document d'aménagement, prévu à l'article L. 212-2 du code forestier, qui prévoit notamment la prise en compte des objectifs de gestion durable, notamment la contribution actuelle et potentielle de la forêt à l'équilibre des fonctions écologique, économique et sociale du territoire où elle se situe, ainsi que des caractéristiques des bassins d'approvisionnement des industries du bois. Si le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire soutient que les incidences sur l'environnement peuvent être prises en considération à l'occasion des décisions subséquentes ultérieures nécessaires à la mise en œuvre du régime forestier, telle que l'adoption du document d'aménagement, il résulte de la seule application du régime forestier, l'obligation de conclure des documents d'aménagements. Dans ces conditions, eu égard à son objet et à sa portée, l'arrêté attaqué, qui implique par lui-même des obligations particulières prévues par le régime forestier, que ce soit la promotion d'activités telles que l'accueil du public, la conservation des milieux ou encore la prise en compte de la biodiversité et la recherche scientifique, doit être regardé comme ayant un impact direct et significatif sur l'environnement au sens de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement.

6. Or, il est constant que l'arrêté prononçant l'application du régime forestier, qu'aucune disposition législative ne soumet à une procédure particulière organisant la participation du public à son élaboration, n'a pas été précédé de la mise en œuvre de la procédure de participation du public prévue par les dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement.

7. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

8. En l'espèce, l'absence de mise en œuvre, préalablement à l'arrêté attaqué, de la procédure de participation du public prévue par les dispositions de l'article 7 de la charte de l'environnement, a privé le public d'une garantie. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a accueilli le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué était entaché d'un vice de procédure et a, pour ce motif, annulé cet arrêté.

9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 décembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la commune d'Audenge de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la commune d'Audenge la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Audenge et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.

La rapporteure,

Pauline ReynaudLa présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX03004


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03004
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Pauline REYNAUD
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : SCP BOIVIN & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;22bx03004 ?
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